Il est de plus en plus difficile de recruter des travailleurs saisonniers pour le secteur de l'hôtellerie-restauration. De nombreux établissements essaient de s'adapter tant bien que mal à cette situation.
Depuis près de 15 ans, Hervé Mouillard prépare ses tables pour le service de midi. Mais depuis quelque temps, il a effectué quelques changements dans son restaurant. En cinq ans, l’établissement est passé de 120 à 75 couverts faute de saisonniers. Pour la même raison, il a également été contraint de changer ses horaires d'ouverture. Et pour cet été, il peine à recruter.
Réduire les horaires d'ouverture
"On a pris la décision avant le Covid de fermer un jour par semaine en pleine saison. Et là, on est à deux jours de fermeture par semaine. On est obligé de refuser du monde parce qu’on n’a pas assez de personnel. Ça n’est pas logique en plein milieu d’une station balnéaire. On a du bon personnel. Mais aujourd’hui, on n’en a pas assez pour faire tourner notre établissement comme on le souhaite. On pensait il y a quelques années que ça allait évoluer dans le bon sens. Mais ça fait 20 ans qu’on est dans la restauration et on voit la situation se dégrader d’année en année", déplore-t-il.
Des établissements qui ferment partiellement, une situation nouvelle pour le secteur. D'autant plus, qu'après la crise sanitaire, les restaurateurs et les hôteliers pensaient reprendre leurs activités normalement. "La cessation d’activité en lien avec le manque de personnel, c’est récent, constate Bruno Asnar, le président de l'Union des métiers et l'industrie de l'hôtellerie (Umih) de la Somme. Pour nous, c’est une nouveauté. On n’avait jamais été confronté à des établissements qui ne pouvaient pas travailler à 100 % de leur capacité pour cette raison. C’est un paradoxe parce qu’on a vécu des périodes compliquées avec la crise sanitaire et avec des périodes successives de fermeture et on était tous contents de travailler. Et aujourd’hui, on se rend compte qu’il y a des entreprises, beaucoup d’entreprises qui, comme l’année dernière, ferment partiellement, une journée ou deux par semaine."
Manque de candidats et mauvaise réputation du secteur
Moins de travail, c'est moins de recettes. Difficile à tenir dans un contexte économique difficile, confronté à la hausse des coûts de l'énergie et des denrées alimentaires. Quand il ne s'agit pas d'avoir encore des prêts Covid à rembourser.
Le manque de personnel a permis une remise en question du secteur notamment sur les salaires.
Pierre Nouchi, président d' l'Umih Hauts-de-France
Pour Pierre Nouchi, président de l'Umih Hauts-de-France, les raisons de cette difficulté à trouver des travailleurs saisonniers sont multiples. Identifier les candidats potentiels n'est pas chose aisée quand l'hôtellerie/restauration est en concurrence avec d'autres activités saisonnières. Ou quand les professionnels du littoral des Hauts-de-France doivent faire le poids face à la Côte d’Azur, par exemple, pour garder les élèves des écoles hôtelières de la région.
La mauvaise réputation du secteur ? C'est selon lui un faux procès qui n'a plus lieu d'être depuis longtemps : "90 % du temps, les gens sont quand même dans un environnement correct avec des dirigeants et des chefs d'entreprises corrects aujourd'hui, se défend-il. Le manque de personnel a permis une remise en question du secteur, notamment sur les salaires. On est largement au SMIC, on a des avantages en nature qui existent. Aujourd'hui, on ne peut pas dire que, dans nos métiers, une personne dite intéressante soit mal payée. Au contraire. Je peux vous assurer qu'il y a quand même des salaires assez importants pour des gens qui ne sont pas souvent formés. Et il y a des restaurateurs qui adaptent leurs horaires pour attirer vers nos métiers."
La problématique du logement des saisonniers
Le plus gros frein à l'embauche des saisonniers est identifié depuis longtemps : difficile dans une station balnéaire ou touristique de trouver un logement qui n'engloutisse pas la plus grande partie du salaire mensuel. "Je pense en particulier à la côte, Le Touquet, où c'est vraiment impossible de se loger, où il faut aller à 15 km ou 20 km, raconte-t-il. La solution doit venir des collectivités locales. Il faut une volonté de leur part. Et le schéma est simple : sans saisonnier, pas de tourisme ; sans tourisme, pas d'économie touristique locale."
Sans logement, on n’attire aucun saisonnier. C’est impossible.
Matthieu Gonsseaume, hôtelier-restaurateur à Fort-Mahon
Matthieu Gonsseaume n'a pas attendu pour trouver lui-même la solution au manque de saisonniers. Cet hôtelier-restaurateur à Fort-Mahon a décidé de mettre des logements à disposition de ses employés estivaux. "Il y a cinq chambres de l’hôtel qui sont réservées au personnel. Et il y a un autre logement à côté, dans lequel on peut loger le personnel. Sans ces logements, ça serait beaucoup plus compliqué, avoue-t-il. Évidemment, ça a un impact économique parce que ce sont des chambres qui ne sont pas louées aux clients. Mais on n’a pas le choix. Sans logement, on n’attire aucun saisonnier. C’est impossible. On ne peut pas se loger dans des villes comme les nôtres l’été. Avant, ils pouvaient encore se loger dans les campings, mais aujourd’hui, ça n’est plus possible : tout se monnaye. Et pour les saisonniers, tout est très cher."
Vendre ou fermer définitivement
Hervé Mouillard n'a pas cette possibilité. Alors en décembre dernier, il a décidé de mettre en vente son restaurant. Un paradoxe alors que l'établissement affiche régulièrement complet. La surcharge de travail est devenue trop lourde pour son épouse et lui. "Pour nous, ça n’est plus possible : il faut être tout le temps là, on ne fait plus rien à côté. Ce n’est plus vivable. Ça m’attriste beaucoup de devoir en arriver là. On l’a vraiment voulu cet établissement. Alors c’est vrai que 15 ans ici, avec tous les travaux et les investissements qu’on a faits ici, on a vraiment la boule au ventre de vendre. Ça n’était pas notre souhait. Moi, je ne me voyais rester ici jusqu’à la retraite. Mais ça ne sera pas le cas. Ça fait vraiment mal au cœur. Je n’ai pas envie de partir, mais on est au pied du mur : il faut vendre parce qu’on ne peut plus continuer comme ça", s'attriste-t-il.
Hervé et son épouse vont donc entamer une reconversion professionnelle, pour "ne travailler qu'à deux et ne plus être dépendants de salariés." Selon l’Umih, les Hauts-de-France ont besoin de 15 000 saisonniers cet été.
Avec Mary Sohier / FTV.