Planter de la vigne et faire du vin, un défi que relèvent de plus en plus d'agriculteurs des Hauts-de-France

Disparue depuis plusieurs siècles du paysage des Hauts-de-France, la vigne fait son grand retour dans la région grâce à un groupement d'agriculteurs viticulteurs, les 130. Deux cuvées d'un Chardonnay 100 % Hauts-de-France ont déjà été commercialisées. L'objectif du collectif est d'atteindre une production de 450 000 bouteilles en 2026.

C'est une culture que l’on n'avait pas vue dans la Somme depuis le 18e siècle. Une culture exigeante. Qui demande une terre pierreuse, calcaire, pas trop humide. Du soleil. Et pas de gel. Une culture que l'on n'associe pas vraiment aux Hauts-de-France. Mais avec le réchauffement climatique, planter des vignes dans notre région n'est plus une idée saugrenue. Au point que plusieurs cuvées ont déjà vues le jour.

Comme celle de ce cru 100 % made inHauts de France à la robe couleur jaune paille. Aux reflets dorés et éclatants. Enfermé dans des bouteilles élégantes. Un Chardonnay, tranquille, assemblé à partir de la récolte des 130, un collectif d’agriculteurs viticulteurs lancé en 2018 par Ternoveo, un groupe de négoce agricole.

Parmi eux, Hervé Gorin, agriculteur à Chuignes, dans la Somme.

La viticulture, il s'y est mis en 2020 sur une ancienne pâture de 2,5 hectares. Après une première récolte en demi-teinte, celle de cette année promet d'être belle.

Un projet fou mais pragmatique

"L'année dernière, c'était une première récolte donc on a fait une demi-récolte, explique-t-il, penché sur les grappes déjà bien mûres. Cette année, on espère avoir une récolte entière, c'est-à-dire 80 quintaux. On a de belles grappes qui sont saines, qui n'ont pas de maladie. On a un cahier des charges très strict, donc on est tous sur des produits qui n'ont pas de contre-indications humaines."

Si Hervé Gorin a adhéré au projet de planter des vignes dans la Somme, c’est pour son côté innovant. Et un peu fou. Mais aussi parce que la diversification devient indispensable pour les cultivateurs de la région. Étendre les surfaces de culture pour augmenter le revenu d'une exploitation est aujourd'hui rarement possible. Il faut s'orienter vers des cultures qui rapportent plus. La vigne donc, la marge dégagée par la vente du raisin étant quatre fois supérieure à celle dégagée par le blé par exemple.

Et la vigne permet de valoriser des parcelles jusqu'alors plantées de céréales et devenues moins productives. La vigne, c'est l'assurance d'une valeur ajoutée pour ces terres. Des terres qui avaient oublié depuis des siècles qu'elles savaient faire pousser de la vigne. Notamment dans la Somme.

On ne met pas du raisin dans les bonnes terres du Santerre. Mais plutôt sur un coteau calcaire. Une terre rouge avec des cailloux et exposée plein sud.

Hervé Gorin, agriculteur-viticulteur

Car la Somme est, jusqu'au 18e siècle, une terre de viticulture : le vignoble de Picardie est florissant depuis le Moyen Âge. Gouet, Noir-franc, Moussy, Cocquart, Maillé, Blanc-vert fruleux, puis Gamay, Pinot noir et Meunier, les cépages locaux sont nombreux. À l'époque, on recense 318 communes du département cultivant de la vigne. La banlieue d'Amiens compte, en 1433, 112 hectares de vignes réparties entre une centaine de familles de vignerons.

La vigne se meurt en Picardie à partir du 17e siècle. Avec le développement des moyens de transport, l'arrivée des vins du sud de la France, moins chers et d'une qualité plus constante, les vins de Picardie commencent à décliner. L'épidémie de phylloxera qui sévit au 19e siècle achèvera les vignobles picards.

Des sols et un climat de plus en plus propices

En 2017, un agriculteur-céréalier installé à Terramesnil dans la Somme ouvre la voie au retour de la vigne dans le département. Au printemps de la même année, Maximilien de Wazières avait planté des vignes sur une parcelle de 3 hectares grâce à un financement participatif. Au milieu des champs de maïs et de colza, les pieds de Pinot noir et de Chardonnay poussent encore sans pesticides dans un sol calcaire.

Car "le principal critère de sélection, c'est le sol, résume Hervé Gorin. C'est nous qui proposons les parcelles et les techniciens de Ternovéo les valident par analyse de sol. On ne met pas du raisin dans les bonnes terres du Santerre. Mais plutôt sur un coteau calcaire. Une terre rouge avec des cailloux et exposée plein sud tant qu’à faire. On est tous sur des plantations qui vont du nord au sud pour l'ensoleillement."

Les mutations du climat dans notre région ne sont pas non plus étrangères au retour de la vigne dans les Hauts-de-France.

Aujourd'hui, six ans après le lancement du projet, ceux qui n'étaient au début qu’une dizaine sont une soixantaine. Avec 90 hectares plantés. L'objectif est de convertir à terme 130 agriculteurs – d'où le nom de groupement – et 200 hectares à la vigne.

La viticulture, une aventure et un autre métier

"Tous les ans, nous avons de nouveaux candidats. La fierté est d'autant plus importante que les deux premières cuvées qui sont sorties cette année sont réussies, se réjouit Christophe Dubreucq, directeur de commercialisation chez Ternoveo et initiateur du projet. Cette année, nous avons 48 000 bouteilles des deux premières cuvées, 7 000 bouteilles vont arriver en début d'année avec une cuvée qui demande quelques mois d'élevage supplémentaires. En 2024/2025, 150 000 bouteilles seront disponibles pour arriver en 2025/2026 à 450 000 bouteilles. Ce sont des vrais vins qui sont très appréciés par les consommateurs. C'est un projet qui était ambitieux, novateur, mais une réussite."

Un projet qu’Hélène et Alexis Eeckman vivent comme un défi. Agriculteurs à Jeancourt dans le nord de l'Aisne, le couple a rejoint les 130 en 2020.

"La vigne, c'est une autre aventure, mais on aime bien les challenges, reconnait Hélène, ancienne orthophoniste. On a eu vent du projet par hasard et on n'a pas mis longtemps à se décider. Parce qu'on aime l'aventure et on aime le vin. On a passé quelques coups de fil à la famille qui est dans la viticulture, mais dans le sud-ouest, et de là, on s'est dit 'on se lance'. Mais la viticulture, c'est un autre métier. C'est plein de rebondissements !"

D'autant que le couple a choisi de cultiver ses vignes en bio et de la désherber mécaniquement. Une évidence pour eux dont l'élevage de 12 000 poules pondeuses est en bio et les grandes cultures en conversion.

Premières parcelles en bio

"C'est beaucoup de surveillance, c'est sûr ! constate Alexis Eeckman. L'avantage qu'on a, c'est que, comme on n'y connaissait rien à la vigne, et je ne considère pas qu'on s'y connaisse encore beaucoup, autant mettre tout de suite la barre haut et partir directement avec la difficulté de manière à apprendre plus, à avoir les bons réflexes d'observation, connaitre les éventuelles maladies qui pourraient se développer et surtout prévoir. C'est tellement facile d'avoir la chimie qui règle tous les problèmes ! Partir directement avec des solutions biologiques, qui nécessitent de l'anticipation, permettait d'apprendre il nous semble au mieux le métier."

Après deux ans et demi de surveillance, leurs vignes en sont à leur troisième feuille, ce qui signifie qu'elle a traversé trois cycles végétatifs, le minimum pour avoir un bon raisin. La vendange pourra donc avoir lieu cette année.

Ce qui est passionnant dans ce projet, c'est de travailler avec différents types d'agriculteurs. Ils ont toute leur expertise de leur métier de base qui est la grande culture. Ca apporte un regard nouveau.

Laetitia Vankerkoven, œnologue et maître de chai des 130"

La première pour Hélène et Alexis, mais aussi l'une des premières en bio pour les 130. Alors Laetitia Vankerkoven, œnologue et maître de chai du groupement, la surveille particulièrement.

Ce jour-là, elle est venue vérifier le taux en sucre des raisins. Son réfractomètre indique une moyenne de 12 degrés. "Quand on fait un relevé comme ça, on a une conversion automatique dans le réfractomètre du degré de sucre, de la concentration en sucre en potentiel d'alcool. Moi, ça me permet de voir le potentiel de la parcelle, résume la jeune femme. On fait des relevés toutes les semaines et on voit l'évolution de la parcelle au cours du temps et d'évaluer la date de la vendange. Pour cette parcelle, je dois encore préciser avec certains raisins pour être sûre de ce que les mesures montrent, mais c'est une parcelle qui commence à être mûre". Et qui pourra donc être bientôt vendangée.

Un chai dans une ancienne sucrerie

Sur d'autres parcelles des 130, les vendanges ont commencé le 25 septembre. Elles se poursuivront jusqu'à début octobre. Le pressage et la vinification se feront ensuite dans le chai du groupement, installé dans une ancienne sucrerie à Dompierre-Becquincourt dans la Somme.

C'est là que Laetitia mettra au point le prochain cru des 130, prévu à la vente en février 2024. Une expérience professionnelle, mais aussi humaine sans comparaison pour cette ingénieure agronome belge, formée à l'œnologie à Montpellier pendant deux ans : "ce qui est passionnant dans ce projet, c'est de travailler avec différents types d'agriculteurs devenus vignerons parce qu'ils ont déjà toute leur expertise de leur métier de base qui est la grande culture, qu'ils apportent dans la viticulture et ça fait un mélange super intéressant pour nous qui sommes dans le monde du vin depuis toujours, ça apporte un regard nouveau et c’est très intéressant."

Pendant que Laetitia assemblera les différents cépages, la vigne, délestée de ses précieuses grappes, va, quant à elle, perdre ses feuilles et entrer en dormance pour l'hiver. Un repos qu'Hélène et Alexis vont, eux aussi, savourer. Avant de replonger dans cette aventure que le couple ne regrette pas de vivre malgré le travail que cela représente.

Passionnés par l'agriculture, s'orienter vers la viticulture leur a permis d’apprendre énormément. "On a commencé un truc, on ne savait rien : une vigne, comment on la taille ? Comment on la plante ? C'est quoi les maladies ? raconte Alexis. Et aujourd'hui, on reste des néophytes ! On ne va pas se comparer à des gars qui font ça depuis 50 ans ! Malgré tout, quand on parle entre nous, quand on parle aux techniciens et en parallèle, il y a toute la ressource internet qui permet d’apprendre beaucoup plus vite qu'on ne pourrait l'apprendre dans les livres, oui, on a vachement appris !"

Avec Yolande Malgras / FTV

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