Le 14 novembre dernier, l'Assemblée nationale a adopté à l'unanimité une proposition de loi sénatoriale visant à revaloriser la fonction de secrétaire de mairie. Une fonction méconnue, confrontée à de nombreux clichés, mais sans laquelle nombre de communes, notamment rurales, ne pourraient pas fonctionner.
"Quand j'ai postulé au poste de secrétaire de mairie en 2020, je pensais comme tout le monde que j'allais être petite secrétaire dans une commune. Mais quand j'ai vu tout le travail qu'il y avait à faire, je me suis dit 'ah mais non ! Ce n'est pas du tout ça !', raconte Sandrine Ducros. On fait tout ! Tout ! Tout !"
S’il n’y a pas une relation de confiance avec M. le maire, ça ne peut pas aller. Le maire et la secrétaire de mairie, c’est un binôme.
Sandrine Ducros, secrétaire de mairie
Et d'énumérer la longue liste des domaines de compétences d'une secrétaire de mairie : état civil, urbanisme, cadastre, facturation, subventions, paie, réglementations, marchés publics, demandes de subventions, dossiers d'investissement, budget, administration des services techniques. "Pour les gens, une secrétaire de mairie n’est là que quand la mairie est ouverte et ne fait que répondre au téléphone, déplore-t-elle. Mais ce n’est pas ça du tout. Je prépare tout, je vérifie avec le maire et il signe les bordereaux de mandat. C'est pour ça que la base, c’est de savoir s’arranger avec M. le Maire. S’il n’y a pas une relation de confiance avec M. le maire, ça ne peut pas aller. Le maire et la secrétaire de mairie, c’est un binôme. Le maire n’est pas tout le temps là et c’est la secrétaire qui fait tout."
Depuis trois ans, cette quinquagénaire officie à Puisieux-et-Clanlieu et Vénérolles, deux communes rurales de l'Aisne, "et dans le syndicat scolaire qui est à Hauteville." Contrairement à 89 % des secrétaires de mairie qui sont fonctionnaires, Sandrine est contractuelle. Une liberté à laquelle elle tient : "si ça ne me plaît plus, je démissionne et je m'en vais. En 2026, il va y avoir si des élections municipales. Si ça ne fonctionne pas avec le nouveau maire, je m'en vais. Tout simplement."
Fonction la plus basse et grade le plus bas
Après 12 ans comme agent polyvalent à la mairie de Saint-Quentin et 17 ans en tant que cadre dans le privé à Toulouse, elle a choisi de devenir secrétaire de mairie "parce que ce qui me plaît dans ce métier, c’est d’être indépendante. J’organise mon travail, explique-t-elle alors qu'elle vient d'ouvrir la mairie de Puisieux-et-Claulieu. Et puis on apprend tous les jours. On apprend sur le tas. Moi, je n'ai pas eu de formation pour devenir secrétaire de mairie."
Ses trois affectations lui assurent un temps complet, rémunéré en tant que rédacteur territorial. Car Sandrine a su faire valoir ses expériences professionnelles précédentes quand il s'est agi de négocier son grade et donc sa rémunération. Une chance dont elle a conscience au regard de la situation de la majorité de ses collègues : selon une étude du Centre national de la fonction publique territoriale datant de 2021, si, en France, 59,3 % des 23 380 secrétaires de mairie sont en catégorie C, la plus basse des trois fonctions, beaucoup sont adjoints administratifs, le grade le moins élevé et donc le moins payé. "Moi, on me demanderait le travail qu’on demande à certaines collègues qui sont adjointes administratives premier grade à tout juste 1 300 euros net par mois, je refuserais, avoue tout de go Sandrine. Quand on voit toutes les responsabilités qu’on a, ce n’est plus possible. Toutes les secrétaires de mairie devraient avoir un statut de cadre. Alors, la nouvelle loi, franchement, il était temps. Ça va dans le bon sens."
Pénurie de candidats
Le 14 novembre dernier, l'Assemblée nationale a en effet adopté à l'unanimité une proposition sénatoriale visant à revaloriser la fonction de secrétaire de mairie :
La mesure principale est qu'à compter du 1er janvier 2028, une secrétaire de mairie ne pourra plus être recrutée en catégorie C.
Un changement que les maires, notamment ceux des communes rurales, réclamaient depuis deux ans pour rendre la fonction plus attractive et ainsi faire face à la pénurie de candidats : selon un rapport du Sénat d'avril dernier, près de 2 000 postes de secrétaires de mairie sont actuellement à pourvoir, principalement dans les communes de moins de 2 000 habitants. Un chiffre qui n'englobe pas les postes occupés par des intérimaires, plus fréquents qu'on ne le pense.
Un tiers de départ à la retraite d'ici à 10 ans
Et la situation risque de s'aggraver dans les années à venir : 25 % des secrétaires de mairie ont plus de 55 ans. Un tiers des agents aujourd'hui employé partira à la retraite d'ici à 10 ans.
Mais cette revalorisation salariale à venir ne réglera pas tous les problèmes, selon Gauthier Mangot. Pour le président de l'Association des secrétaires de mairie de la Somme, quid des agents actuellement en poste ? "Qu'est-ce qu'on fait pour celles qui sont aujourd'hui en catégorie C ? On les remonte en catégorie B ? Je doute fortement que ce soit possible. De la même manière, celles qui sont en catégorie B, pour qu’elles ne soient pas lésées, on les bascule en A ? Cet aspect-là ne passera pas au niveau des employeurs, c’est-à-dire les maires. Parce que forcément, quand vous reclassez sur une catégorie supérieure, la masse salariale n’est plus la même. Surtout dans une petite commune" Pour lui, il faut revoir les grilles de rémunération et les assortir de primes spécifiques à la fonction de secrétaire de mairie.
Être intercommunal, c'est le lot de beaucoup de secrétaires de mairie. (...) Le budget est voté chaque année et dans toutes les communes en mars/avril. Les élections se tiennent le même jour pour toutes les communes. Les cérémonies officielles également. Et on ne peut pas se dédoubler.
Gauthier Mangot, président de l'Association des secrétaires de mairie de la Somme
Et Gauthier Mangot sait de quoi il parle. S'il travaille depuis trois ans dans une commune intermédiaire de 1 300 administrés, il a jonglé sept ans entre les mairies de Gézaincourt, Mézerolles, Frohen-sur-Authie et Remaisnil en tant que secrétaire de mairie intercommunal. "La plus grosse faisait à peu près 400 habitants. Et la plus petite en a 30. Être intercommunal, c'est le lot de beaucoup de secrétaires de mairie", précise-t-il.
Des postes avec plusieurs employeurs
Quatre contrats pour un temps de travail hebdomadaire de plus de quarante heures, quatre employeurs, quatre fiches de paie chaque mois et une gymnastique intellectuelle de tous les instants : "L’avantage d’être intercommunal, c’est que c’est extrêmement formateur (...). Les relations avec les différents maires ne sont pas les mêmes, les problématiques de communes ne sont pas les mêmes, les manières de travailler ne sont pas les mêmes. Les inconvénients, c’est surtout par rapport aux calendriers : quand vous avez des étapes importantes dans la vie d’une commune, elles arrivent au même moment dans chaque commune. Le budget est voté chaque année et dans toutes les communes en mars/avril. Les élections se tiennent le même jour pour toutes les communes. Les cérémonies officielles également. Donc on ne peut pas se dédoubler ! Ça, c’est vraiment le gros inconvénient !"
Pas de formation au métier de secrétaire de mairie
Comme presque tous ses collègues, Gauthier Mangot a appris son métier "en allant", comme on dit dans les Hauts-de-France. L'absence de formation initiale, c'est ce qu'il déplore aussi un peu : "du jour au lendemain, on est propulsé sur un poste et on apprend sur le tas, en s’autoformant, on va dire ! D'autant plus que pour une secrétaire de mairie, la veille juridique est importante : on doit toujours être au courant des évolutions réglementaires. Et c’est souvent à nous d’aller chercher l’information parce qu’elle vient rarement jusqu’à nous, recadre Gauthier Mangot. Aujourd’hui, ça fait deux ans qu’il y a un cursus qui est mis en place par le Centre de gestion de la Somme en direction des demandeurs d’emploi qui souhaiteraient devenir secrétaires de mairie. C’est un cursus simplifié qui dure six semaines, je crois. Il y a une formation théorique et une formation pratique. Ça ne conduit pas à un diplôme ou à une formation qualifiante. On leur donne juste des outils pour assumer ensuite le poste. Officiellement, il n’y a aucun diplôme, aucun cursus pour devenir secrétaire de mairie."
Des dispositifs similaires existent dans d'autres départements, mais aucun parcours officiel n'existe vraiment. Une lacune qui devrait être comblée par la nouvelle loi qui met en place une formation initiale qualifiante à la fonction de secrétaire de mairie.
Un métier très féminisé
Ce qui par ailleurs pourrait aider à changer la vision qu'ont les administrés de leur secrétaire de mairie qui n'est en rien "une secrétaire à la mairie", ironise Gauthier Mangot. Un cliché malheureusement facilité par le fait que 93,7 % des secrétaires de mairie sont des femmes. "Vous avez remarqué que depuis tout à l'heure, vous comme moi, on dit 'une' secrétaire de mairie et 'elles' ? pointe Gauthier Mangot. Je suis formateur au Centre national de la fonction publique territoriale et en formation, je n'ai presque que des femmes devant moi."
Sandrine confirme : depuis qu'elle a pris attache avec ses collègues dans l'Aisne pour créer dans le département l'Association des secrétaires de mairie, elle n'a eu affaire qu'à des femmes.
Mais elle doit déjà mettre un terme à notre entretien matinal : officiellement, la mairie de Puisieux-et-Clanlieu n'ouvre le mardi qu'à 16h "mais moi, quand je suis en mairie, j’ouvre aux administrés. Même si c'est en dehors des horaires."