TÉMOIGNAGE - Son mari, agriculteur dans la Somme, s'est suicidé : "Il a décidé de ne plus souffrir"

C'est l'une des professions les plus touchées par ce fléau. Près de deux agriculteurs se suicident chaque jour selon la Mutualité sociale agricole. Camille Beaurain décrit dans son livre les événements qui ont conduit son mari, jeune exploitant du Vimeu dans la Somme, à mettre fin à ses jours.

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C'était il y a deux ans. Le 27 octobre 2017. Ce jour où la vie de Camille Beaurain bascule, elle a alors 24 ans. Son mari Augustin, agriculteur dans le Vimeu dans la Somme, est retrouvé pendu dans son exploitation. Quelques minutes d'inattention de ses proches lui permettent de commettre l'irréparable. Camille n'a rien pu faire, ni lors de sa première tentative quelques mois plus tôt, ni ce jour-là. 

"Il n'a rien laissé paraître. Il avait complètement occulté sa première tentative. On n'en parlait pas et moi je ne voulais rien montrer. Je ne voulais pas qu'il pense que je le surveillais. Mais j'avais très peur qu'il passe de nouveau à l'acte."
 


Pour vivre avec Augustin sur la ferme dans la Somme, Camille avait quitté le Pas-de-Calais où elle habitait en pleine ville. Elle n'est pas issue du monde agricole mais a fini par y prendre goût. Elle s'occupe avec son mari d'un élevage de porc. "Il m'a transmis sa passion. J'ai appris le métier et j'ai fini par ne plus pouvoir m'en passer", confie-t-elle. 
 

Entre 50 et 60 heures par semaine

Malgré leur détermination commune, le couple doit subir les contraintes liées à l'exploitation. "On faisait de l'élevage, de l'insémination des truies à l'engraissement. C'est du lundi au dimanche. On cultivait également l'aliment de nos porcs, cela demande énormément de temps et on n'était pas automatisés faute de moyens", explique Camille. "Pour l’engraissement, c’était 80 à 100 seaux par jour à la main. À cela on rajoute : les posts sevrages, la nourriture des truies, les soins aux porcelets. C’est une charge de travail énorme. On faisait entre 50 et 60 heures par semaine", poursuit-elle.
 

On se levait, on parlait cochon. On se couchait, on parlait cochon


Le couple, tenu de se rendre disponible à toute heure, vit en vase clos sans aucune vie privée. La vie professionnelle prend le dessus, à tel point qu'il n'existe pas d'autres sujets de conversation. "On se levait on parlait cochon, on se couchait on parlait cochon... En dix ans de vie commune, je ne suis allée qu'un week-end à Paris et lorsque nous sommes partis en Charente-Maritime c'était pour acheter un tracteur, on a fait l'aller-retour dans la nuit", raconte Camille.
 

Travaillent mais touchent le RSA

Elle et son mari consacrent leur vie entière à leur exploitation, mais ne gagnent pas leur vie. Ils doivent faire face à la conjoncture économique : le prix du porc passe à un euro du kilo. Un coup dur pour ces agriculteurs. "On ne choisit pas nos prix de vente. Nous, on cultivait tous les aliments qu’on donnait à nos porcs, et le kilo nous était payé le même prix que celui qui nourrit ses cochons avec des aliments tout préparés. En une année, sur notre exploitation de 50 truies, on a perdu entre 50 000 et 80 000 euros", affirme Camille.
 

En une année, sur notre exploitation de 50 truies, on a perdu entre 50 000 et 80 000 euros


Il faut alors combler les pertes mais aussi faire face à de plus en plus de contrôles et de mises aux normes. Malgré les aides de la PAC (Politique Agricole Commune), le couple est à bout. "On pense qu’on touche des millions des aides de la PAC, mais non... C’est en fonction du nombre d’hectares. Nous, pour 50 hectares, on touchait environ 14 000 euros par an. Et les porcs n’étaient pas pris en compte dans la demande d’aides", déplore Camille.

La jeune femme raconte cette honte de devoir payer les factures en plusieurs fois, de demander de l'aide à la MSA (Mutuelle sociale agricole) pour avoir des tickets alimentaires, de toucher le RSA alors qu'elle et son mari travaillent. "Je peux vous dire que quand vous travaillez du lundi au dimanche et que vous touchez le RSA, ça du mal à passer. Ce n'est pas normal qu'on en soit arrivés là."
 

La descente aux enfers 

Lorsque le couple arrive enfin à s'en sortir, le moral est toujours au plus bas. "Augustin est parvenu à inséminer plus de truies mais n'était toujours pas satisfait de son travail. Il n’était plus fier de lui, même quand on réussissait. Physiquement il allait bien mais c'était dans sa tête", soupire Camille.
 

Il n’était plus fier de lui, même quand on réussissait.


"Mon mari a décidé de ne plus souffrir. Je ne lui en veux absolument pas. Pour moi ce n'est pas lui qui a fait ce geste-là. C'est l'homme qui souffrait, qui n’en pouvait plus, qui avait cette pression administrative au-dessus de la tête. Ce n"était pas le mari qui partageait ma vie au quotidien", affirme-t-elle. 
 

Aujourd'hui, Camille Beaurain a changé de vie et garde des enfants. Depuis sa sortie en septembre, son livre "Tu m'as laissée en vie" rencontre un écho favorable. La jeune femme souhaite avant tout que son mari ne soit pas mort en vain. "Il fallait que ça sorte pour que les gens réalisent ce qu'est une exploitation agricole. Derrière tout ce système de non-dit il y a des vies humaines. J'avais besoin d'en parler."
 
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