TEMOIGNAGE. Coronavirus : "On téléphone à 40 anciens chaque jour", raconte Jacques Olivier, le maire de Bertry

Suite de notre série sur les maires et la crise du coronavirus. Aujourd'hui, Jacques Olivier, le maire de Bertry, près de Caudry dans le Nord, raconte son quotidien.

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La mort... Comme une vague qui lui arrive dessus. Brutale. Douloureuse. Inévitable. Jacques Olivier est maire (PS) de Bertry, également vice-président de la communauté d'agglomération du Caudrésis et du Catésis et à ce titre responsable du crématorium. A lui donc de gérer de plus en plus de cérémonies dans des conditions de plus en plus pénibles pour les familles. Peu de monde et peu de temps pour un dernier adieu : les consignes liées au Covid 19 sont strictes. Un deuil bouleversant et bouleversé. Jacques Olivier tient le coup. Il a cette formule : "J'ai la chance d'avoir du plomb dans les chaussures."

Ce que le maire de Bertry veut dire, c'est qu'il peut s'appuyer sur sa longue et solide expérience d'élu. A 64 ans, cet ancien directeur d'école entame son quatrième mandat. "Je n'ose pas imaginer ce que vivent les nouveaux maires qui découvrent la fonction en pleine épidémie, qui sont plongés dans cette crise à peine élus. On n'est pas formé à ça. On fait en fonction de ses compétences. Ce n'est pas simple. Ce n'est pas agréable."

En ce début de semaine, Jacques Olivier est chez lui pour prendre connaissance d'une longue note de service émanant de la Préfecture, concernant justement les nouvelles dispositions prises par le Gouvernement pour les opérations funéraires. Lecture glaçante. Interdiction jusqu'au 30 avril (au moins) des soins mortuaires lorsqu'il y a certitude ou présomption de Covid 19. Ou encore possibilité de déroger à certaines règles, comme la présence du maire pour la fermeture du cercueil, lorsque le corps est déplacé vers une autre commune. 
 


"Tout évolue très vite, note le maire de Bertry. C'est le signe que nous entrons dans le pic de l'épidémie, que le Gouvernement veut s'adapter à l'état d'urgence sanitaire, qu'il veut éviter tout blocage, simplifier au maximum les procédures et alléger les contraintes administratives. Je le constate aujourd'hui : le crématorium de Caudry atteint ses capacités maximales de fonctionnement ; plus... et il faudra avoir recours aux heures supplémentaires."


C'est la réalité. On voit la maladie. On ne voit pas la mort.


Même avec "du plomb dans les chaussures", on sent bien Jacques Olivier profondément touché par ce qu'il vit en ce moment. " Les familles n'ont plus de cérémonie. Moins de dix minutes et moins de vingt personnes pour se recueillir. Les urnes funéraires restent au crématorium. C'est dur. Je l'ai vécu : une habitante de ma commune est décédée, sans doute du coronavirus ; son mari n'a eu que quelques minutes pour lui dire au revoir, avant que le corps soit rapidement mis dans une housse fermée. C'est la réalité. On voit la maladie ; on ne voit pas la mort."

Bertry est un gros village de 2 000 habitants, à une quinzaine de kilomètres de Cambrai. Ici comme ailleurs, la municipalité s'est vite organisée pour que les personnes âgées ne se retrouvent pas trop isolées. Deux lignes téléphoniques ont été ouvertes : un numéro de secours qui permet de joindre - jour et nuit - le maire ou un adjoint ; et un numéro d'écoute. "Pour parler, explique Jacques Olivier. Il y a 350 "anciens" sur la commune ; on en appelle une quarantaine chaque jour. On donne des nouvelles. Et surtout - surtout ! - on discute d'autres sujets que le Covid 19. On est leur rayon de soleil. Ces "anciens", il ne faudra pas les oublier lorsque le confinement sera levé ; ils auront forcément perdu en autonomie physique et intellectuelle."
 
La mairie de Bertry tourne au ralenti. Seuls cinq employés municipaux restent déployés chaque jour sur le terrain, sans se croiser, sur un effectif de 16 personnes. Jacques Olivier, lui, est dans son bureau le matin ; chez lui ensuite. "Quand je ne suis pas appelé dehors !

Gérer le crématorium, soutenir les familles en deuil, lire les nouvelles adaptations du droit funéraire, est-ce une source d'angoisse pour Monsieur le maire ? Cela pèse t-il sur son moral ? "Je n'ai pas peur de la mort, sinon je ne serais pas le responsable du crématorium, sinon je m'enferme et je ne suis plus au service des autres." 

Un silence et cette ultime réflexion : "Curieusement, la première chose à laquelle j'ai pensé en devenant maire, juste après ma première élection en 2001, c'est que je pouvais être confronté un jour à la mort de masse, à cause d'une guerre ou d'une épidémie." Un vague pressentiment. 

 
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