Le confinement a commencé il y a une semaine exactement en France et dans le Nord-Pas-de-Calais. Une semaine que mes trois enfants sont cloitrés à Lille… avec leurs joies, leurs angoisses et beaucoup de questions.
Je m’appelle Ophélie, je suis journaliste et mère de trois enfants. Elsa, la grande, a dix ans. Ulysse est mon cadet de sept ans. La petite Fleur a quatre ans. Il y a une semaine, leur monde a changé.
"C'est pas la vraie guerre"
Pour eux, tout a commencé lundi dernier. Après une première journée sans école, Emmanuel Macron s’est adressé aux Français. Avec mon mari, nous n'avons pas voulu exclure les enfants de ce moment historique. C'est donc ensemble que nous avons écouté.
"Nous sommes en guerre !", a martelé le Président de la République. Six fois, il l’a répété. Six fois, j’ai tremblé. Elsa, Ulysse et Fleur, si vivants d’habitude, en sont restés figés. Alors que le monde médiatique s’agitait autour du mot "confinement" (pourquoi le Président ne l’a-t-il pas prononcé ?), je laissais mes enfants digérer la nouvelle.
Quelques jours plus tard, nous en reparlons avec Ulysse :
Ulysse : "C’était un discours très important. Il nous disait qu’on était en guerre… en guerre contre une maladie !"
Moi : "C’est quoi la guerre pour toi ?"
Ulysse : "Pour moi, la guerre, c’est d’envahir des pays, de tuer des personnes. On avait déjà fait une guerre contre l’Allemagne. Je ne pensais pas qu’on en ferait une autre ! Là, c’est contre un virus très dangereux"
Moi : "Tu l’imaginais comme ça, la guerre ?"
Ulysse : "C’est pas non plus la vraie guerre où il y a des bombes, où il y a des gens avec des pistolets. Là, c’est contre une maladie, une maladie grave. Et puis, je ne pensais pas que ce serait dans tous les pays du monde".
Moi : "Le coronavirus, il est tout seul contre nous tous ?"
Ulysse : "Non, il n’est pas seul. Il a aussi une troupe. Peut-être qu’il a fait des bébés et qu’il grossit. Maintenant, il se disperse partout, la Chine, le Japon, la France, la Belgique, l’Espagne, le Portugal, le Pôle Nord je crois…"
A quel moment a-t-il compris tout cela ? D’où lui viennent cette maturité et cette sérénité face aux événements qui nous troublent ? Depuis une semaine, nous discutons comme rarement. Chaque jour, j'apprends sur eux.
Peur pour les autres
Nous réapprenons à vivre ensemble loin de la frénésie du quotidien. Je sens que mon aînée, Elsa, est la plus émotive. C’est sans doute une question d’âge.
Elsa : "Le coronavirus, il va nous attaquer, maman ?"
Moi : "Oui… et non, ma puce. Ça te fait peur ?"
Elsa : "Oui, j’ai peur. Mais je n’ai pas peur pour moi. Nous, les enfants, on ne meure pas à cause du coronavirus. On porte la maladie. C’est pour ça qu’on ne va plus à l’école… pour ne pas rendre nos enseignants malades. Moi, j’ai peur pour les gens que j’aime… vous mes parents, mais surtout mes grands-parents."
Moi : "C’est pour ça qu’on ne les voit pas en ce moment…"
Elsa : "Oui, je sais. Mais ils me manquent !"
Moi : "Personne n’est malade dans la famille, donc ça va".
Elsa : "Oui, mais j’ai quand même peur".
Etonnante empathie des enfants en ces temps incertains, là où tant d’adultes ont choisi la loi du "chacun pour soi".
Leurs mains sont toutes asséchées à force de les laver. Quand j’insiste en leur demandant : "C’est embêtant tout ça ?", ils me répondent en choeur "oui !". Et la petite Fleur d’ajouter : "On ne peut plus se faire de bisou !". A quatre ans aussi, on peut avoir une grande lucidité.
Le "conoravirus"
Mes enfants sont des êtres sociaux. Elsa, Ulysse et Fleur ont besoin des autres tout le temps, à chaque instant. Je ne suis pas surprise quand ils me disent que l’école leur manque. Leurs amis surtout. Alors, forcément, ils nous sollicitent, beaucoup trop parfois. Dessiner. Lire l'histoire. Faire les devoirs. Un peu de sport. Ils crient trop fort. Ils tournent en rond. Mais comment leur en vouloir ?
Nous jouons. Le jeu du goût occupe nos fins de matinée : avant de se mettre à table le midi, les yeux bandés, les enfants tentent de découvrir de nouvelles saveurs. La moutarde a laissé un souvenir impérissable. C’est une autre façon d’apprendre, me semble-t-il. Fleur y trouve son compte :
Fleur : "Moi, j’aime bien l’école à la maison."Moi : "Et pourquoi ?"
Fleur : "La maison, c’est un peu comme une école ! Le jardin, c’est presque comme le jardin de la récréation. La cuisine, elle ressemble un tout petit peu à la cantine. Et puis, on peut lire des livres comme à l’école."
Moi : "Rien ne change alors ?"
Fleur : "C’est quand même bizarre de ne pas aller au parc. C’est à cause du "cono-ra-virus" (sic) !"
On les presse moins. Le rythme est plus serein. "Les récréations sont un peu plus longues", précise Ulysse.
L'enfermement
Il n’empêche. En une petite semaine, insidieusement, l’enfermement les change. "On se sent recroquevillés chez soi. On a l’impression d’être malades alors que c’est pas nous qui sommes malades".
Et je comprends que, malgré leurs efforts pour se montrer à la hauteur de la situation, tout cela leur semble injuste. Les prochaines vacances ont été annulées.
En fin de semaine, une autre nouvelle les a bouleversés : l’arrivée du printemps. "Quoi ?! Le printemps arrive et on ne peut même pas sortir ! Cette maladie ne tombe vraiment pas du tout au bon moment". Ulysse partage alors un secret espoir :
Ulysse : "Ça va durer encore une ou deux semaines. Il faut tenir !"
Moi : "Et si je te dis que ça va durer 6 semaines ?"
Ulysse : "Moi, je crois qu’avec le printemps, le virus va partir. Il va faire trop chaud pour lui ! S’il reste, ça va me faire peur. S’il reste pour toute la vie, ça va être très dangereux pour nous."
Pour conclure, Elsa, Ulysse et Fleur ont insisté. Je dois vous passer un message : "Maman, dis-leur qu’il faut se laver les mains ! Et dis-leur aussi qu’ils doivent rester chez eux". Si les plus petits ont compris, pourquoi pas nous ?