Ariane Chemin, grand reporter au Monde, a rêvé d’interviewer l’écrivain dont l’œuvre a accompagné nos vies. De Prague à Rennes, de Paris à la Corse elle part sur ses traces. Mais le récit laisse dans l’ombre tous les printemps et les étés passés dans la lumière de la Côte d’Opale.
Reconnaître entre mille, une longue silhouette au cœur de la capitale.
Apercevoir un des écrivains dont toute une génération dira "il est l’auteur de mes 20 ans".
Et devoir rester à distance.
Ariane Chemin, grand reporter, croise souvent dans Paris Milan Kundera et son épouse, sans oser les aborder.
"Deux corps aussi bouleversants que leurs vies de tourments à travers les siècles et les frontières, deux âmes sœurs enroulées l’une à l’autre dans un même destin..."
Milan Kundera.
Naissance en 1929 en Tchécoslovaquie. Arrivée des nazis.
lnvasion de Prague par les Soviétiques en 1968 .
Une vie comme un destin .
Un roman dont l’histoire personnelle raconterait celle de l’Europe.
Puis viendra 1975, l’exil, l’installation en France.
Tous les honneurs sauf le Nobel de littérature.
Pourquoi à sa découverte, le livre de la journaliste au Monde, me serre-t-il le cœur ? Parce que comme elle à Paris, je vais le croiser aussi de longues années, mais dans une station balnéaire de la Côte d’Opale, chaque printemps, chaque été.
L’auteur de "Risibles Amours", de "La Plaisanterie" et de "La vie est ailleurs" a ici une résidence secondaire.
Qu’est il venu chercher dans la petite ville du bord de mer?
Une lumière ? Un décor ? L’anonymat ?
Certains jours j’aperçois sur la place du Marché ou au détour d’une rue le couple Kundera et je ne sais que faire de ce cadeau impossible.
L’aborder ? Impensable.
Un journaliste peut-il être un admirateur ?
Milan Kundera n’est jamais seul. Vēra sa femme depuis 50 ans ouvre la voie. Dirige les opérations. Toujours belle. Lui est enfermé dans son silence et peut être sa timidité. Fuyant la foule, fuyant les journalistes.
Je peine à convaincre mes amis qu’aucun entretien, aucune interview, rien ne naîtra de cette apparition.
Ariane Chemin saura gagner la confiance de Vēra, mais lui, elle ne pourra jamais l’approcher.
"Nos vies n’ont aucun intérêt" lui dit cette ancienne présentatrice de télévision qui racontera pourtant leur rencontre à Brno, leur premier rendez-vous.
Fin des années 70 elle est bien plus connue que son mari, mais à Prague tous deux sont surveillés. Kundera et la police communiste, ce sont des kilomètres d’archives noircies de rapports du service de renseignement tchécoslovaque.
Ce soir de juillet dans la petite ville du bord de mer une chaîne diffuse "L’insoutenable légèreté de l’être", le livre chef d’œuvre de ma jeunesse.
Je ne saurai dire pourquoi Tomas et Tereza, Sabina et son chapeau melon ne sont jamais vraiment sortis de ma vie.
Je pense que peut être dans son appartement face à la mer lui aussi regarde Juliette Binoche et Daniel Day- Lewis.
Basculant dans le sommeil et dans la nuit d’été je pense comme une midinette "je m’endors dans la même ville que Kundera."
À la Maison de la Presse, un vendeur de journaux répond à mes questions. "Oui il vient chaque matin, mais une séance de dédicaces n’est pas prévue!"
On respecte sa tranquillité. Sur les étagères pourtant, comme un hommage silencieux, tous les romans sont là, en Folio, bien serrés et alignés comme de petits soldats.
La mairie s’est heurtée à un refus poli mais ferme. Aucun salon du livre, aucune apparition officielle.
Tout le monde s’y est cassé les dents.
Rideau.
Printemps 2021, Ariane Chemin l’auteure d’"A la recherche de Milan Kundera", laisse peu d’espoir d’un retour en bord de mer. "Avec l’âge, c’est dans l’impasse du VIIe arrondissement que tourne dorénavant sa vie. Les escapades sont rares."
Il y a même un dernier coup de griffe sur la station balnéaire qui ne distrait plus Vēra.
Qu’importe.
S’il a longuement marché sur cette plage, et mis ses pas dans cette ville, c’était tout sauf une erreur qu’un jour y avoir posé ses valises.