Quand les mers et les océans se vident de leurs poissons, les aquaculteurs remplacent peu à peu les pêcheurs. La région Paca compte une dizaine d'installations d'élevages marins. Valérie Simonet est allée à leur rencontre. Diffusion de son film ce dimanche à 12h55. Voir ici extraits et entretien.
L'émission complète en replay
Valérie Simonet dont la passion pour les sujets "mer" ne se dément pas *, nous emmène cette fois-ci dans l'univers peu médiatisé des éleveurs en mer. Agriculteurs en apnée ou plongeurs en bouteille, ces fermiers de la mer ont une conscience aiguë des problèmes environnementaux.
*[L'Histoire engloutie sous la mer │Pêcheurs d'oursins, les derniers des Mohicans│Corailleurs, à la vie à la mort│Les traversées aventureuses ]
A Marseille, Provence Aquaculture et plus à l'ouest, Cannes Aquaculture, deux fermes d'excellence ont vu le jour il y a 30 ans. Pour Aurélien Bergeron, responsable de l'exploitation marseillaise, comme pour Janie Charvoz, fondactrice de l'entreprise cannoise, le nerf de la guerre reste la nourriture de ces poissons d'élevage.
Trouver une alternative moins invasive pour la faune des océans reste un objectif à atteindre, afin de donner encore plus de cohérence à leur projet d'aquaculture écoresponsable. L'avenir pourrait bien s'écrire avec la recherche scientifique sur les algues. Une start up, hébergée par le laboratoire de Villefranche-sur-mer, annonce les premiers essais in vivo pour 2017.
Drones et caméras sous-marines contribuent à rendre plus perceptible, la haute technicité que réclament ces élevages en pleine mer.
Sous l'eau, on analyse le comportement de nos poissons dans la cage. Pour la nourriture, la quantité va varier en fonction de la température de l'eau
Le poisson sauvage se raréfiant, il devient inabordable pour beaucoup. Rares sont les restaurateurs qui viennent se servir chez les Charvoze dans la baie de Cannes, car la ferme respecte la zone d'achalandage des pêcheurs locaux. Seul, Bernard Leclerc, joue les ambassadeurs du poisson d'élevage qu'il met à la carte de son restaurant gastronomique de Valbonne.
Fermiers de la mer, un documentaire de Valérie Simonet à voir ce dimanche 29 janvier à 12h55
Entretien avec la réalisatrice Valérie Simonet
Pernette Zumthor : On connait plutôt les élevages de poissons de rivière, saumons, truites souvent de réputation mitigée mais beaucoup moins les élevages de poissons de mer. Depuis quand s’est développée l’aquaculture marine ?
Valérie Simonet : En matière d'élevage de poissons, la France et notamment l'ancêtre de l'Ifremer, a entamé des recherches, surtout sur la côte atlantique dans les années 70. Elle est d'ailleurs devenue une référence en matière de recherche et a fait profiter de nombreux pays européens de ses résultats. Paradoxalement, l'élevage de poissons marins est resté à la traîne dans notre pays, surtout du fait de fortes contraintes réglementaires.
Si l'on veut remonter dans l'Histoire, les premières tentatives d'élevage de poissons marins ont eu lieu dans la région dans les années 1860, à Marseille et dans l'Etang de Berre. Dans une première version du film, un historien témoignait de cette tentative d'élevage qui s'appuyait sur une croyance, héritée des Saints-Simoniens, que par la science, l'homme pourrait maîtriser la nature pour faire bien de l'humanité. Dans des espaces dévolus aux marais salants sur l'Etang de Berre, Léon Vidal, fils d'industriel et génial inventeur, a ainsi tenté d'élever des poissons de mer. Il se heurte justement aux piètres connaissances techniques sur la vie des poissons et leur reproduction en captivité. Cet essai sera un échec.
Il faudra donc attendre plus d'un siècle pour que dans les années 1980, les premiers élevages de poissons marins voient le jour dans la région. Les deux pionnières sont celles que l'on peut voir dans le film: le Frioul à Marseille et celle au devant de Cannes.
La région Paca compte aujourd'hui la plus grande concentration de ces élevages en France. Même si cela reste modeste: une dizaine de fermes seulement. Elles ont toutes misé sur la qualité et non la quantité de poissons produite, et la plupart sont certifiées bio ou dans une démarche bio.
L'autre raison du faible développement sur le littoral français est la concurrence des autres activités et notamment le tourisme qui s'accommode mal de la présence de ces élevages considérés comme polluant l'environnement. Les concessions sur le domaine public maritime sont très difficiles à obtenir et leur surface ne s'accroît pas.
PZ : Quelle est la motivation de ces éleveurs ? plutôt écologique pour préserver un parc marin menacé ou purement mercantile ?
VS : Les éleveurs que j'ai rencontrés sont des professionnels de l'élevage, qui ont fait des études en biologie marine, en aquaculture. S'ils ne sont pas des militants de l'environnement, ils gagnent leur vie en élevant des poissons, ils ont une éthique et une vraie passion pour leur métier.
Le cahier des charges du bio en élevage marin est extrêmement contraignant en France. Ils sont suivis, doivent faire des prélèvements du milieu et doivent prouver qu'ils peuvent rendre les lieux dans leur état initial en un temps donné. Par ailleurs, la nourriture qu'ils déversent dans l'eau et qui est un des facteurs de pollution (en plus des déjections des poissons) est comptée au plus juste car elle coûte extrêmement cher.
PZ : Quelles sont les qualités des fermiers marins que vous avez rencontrés ?
VS : Ce sont des passionnés de la nature et de la vie au grand air. Des passionnés aussi de la vie sous-marine car ils passent la moitié de leur temps en immersion, comme un éleveur irait dans son champ... Ils sont entiers et ont, je le répète, une éthique véritable, en tout cas convaincante. Ils sont les héritiers éclairés de ce que l'agriculture a pu produire comme aberrations. Conscients des erreurs du passé, ils ne veulent pas les reproduire. La compagne de l'éleveur du Frioul, qui est elle-même gestionnaire de la ferme, est fille d'agriculteurs. Elle sait d'où elle vient.
Ce qu'il faut savoir, c'est que la moitié des produits de la mer que nous consommons aujourd'hui dans le monde provient de l'élevage. Le mouvement est inéluctable. Mieux vaut donc des professionnels sérieux, responsables et respectueux du milieu que des industriels qui ne cherchent que les rendements.
C'est le sens du choix que j'ai pu faire de ces personnages. Le thème reste polémique. Il n'y qu'à voir les réactions sur le net dès qu'on parle d'élevage de poissons. L'animal est considéré, sans doute à juste titre, comme le dernier animal sauvage que nous consommons et il est compliqué pour nous de le voir en cage... Le film démarre sur ce constat ironique.
PZ : Comment les pêcheurs locaux ont-ils accueilli les aquaculteurs ?
VS : Les aquaculteurs de la région ont bien compris leur intérêt, dès le départ, de ne pas marcher sur les plates-bandes des petits pêcheurs de tradition locaux. Ils sont donc très soucieux de ne pas entrer en concurrence avec eux. A Cannes, ils ne vendent par exemple pas aux restaurants.
En général l'aquaculture sert les grandes surfaces qui ont besoin de gros volumes et aussi de régularité (les aquaculteurs ne sont pas météo dépendants, à l'inverse des pêcheurs). En même temps, le nombre des petits métiers a diminué de façon terrible depuis 30 ans, il y a donc de la place pour tout le monde.
La famille Charvoz, à Cannes, est représentée dans les instances de prudhommie de pêche régionales et met un point d'honneur à dialoguer et à se battre aux côtés de ses confrères pêcheurs quand il le faut. C'est donc un "gentlemen agreement" qui régit les relations entre eux...
Entretien réalisé en le 24 janvier 2017
FERMIERS DE LA MER
Un film de 26’ de Valérie Simonet.Coproduction France 3 PACA / 13 Productions.
Diffusion sur PACA dimanche 29 janvier à 12h55.
Quelques sites à visiter
Provence Aquaculture
Visites de la ferme aquacole du Frioul pendant Septembre en mer
Laboratoire d'océanologie de Villefranche-sur-mer
Les élevages aquacoles sur le site du Comité régional des pêches maritimes et des élevages marins de Paca
Restaurant Bleu Lavande à Valbonne de Bernard Leclerc