Les mille et une vies de Jean-Louis Etienne

Jean-Louis Etienne ne s'arrête jamais ! À près de 75 ans, le célèbre médecin explorateur originaire du Tarn en Midi-Pyrénées donne cette semaine le coup d'envoi d'une nouvelle aventure aux confins de l'antarctique. Avec son Polar Pod, il va se laisser dériver pendant 3 ans...

À la découverte de l'océan Austral, un acteur majeur de l'équilibre climatique mondial

C'est une maison perchée dans les arbres, quelque part à la lisière d'une forêt de Cuq-les-Vielmur dans le Tarn. C'est ici que Jean-Louis Etienne aime s'ancrer lorsqu'il ne rêve pas à ses projets d'exploration ou de dérive arctique. Nous l'avions rencontré dans cette cabane de druide en 2002 lorsqu'il mûrissait sa "mission banquise" en solitaire sur les glaces du pôle Nord. Vingt ans plus tard, rien n'a changé. La passion est intacte, et cette fois, c'est au chevet d'un océan méconnu du grand public que le docteur Etienne veut s'engager : l'océan Austral. Il faut imaginer un anneau océanique de 20 000 km de circonférence qui réunit autour du continent antarctique les eaux de l'Atlantique, de l'Indien et du Pacifique. Animé par le courant circumpolaire, son débit est de 150 millions de mètres cubes par seconde, soit 150 fois le débit de tous les fleuves du monde réunis !

Si Jean-Louis Etienne s'intéresse particulièrement à cet océan, c'est qu'il absorbe 50% de la quantité de gaz carbonique émis par les activités humaines. C'est le principal puits de carbone océanique de la planète. Sans lui, l'air serait peut-être irrespirable ! Cette ceinture d'eau très froide isole par ailleurs comme une glacière le continent antarctique des flux de chaleur des latitudes moyenne. Loin, rude, immense, désolé et dangereux, l'océan Austral est encore mal connu.

Il y a un besoin crucial de mesures en mer en toutes saisons pour connaître plus précisément les "performances" de cet océan dans la régulation du climat sur terre.

Jean-Louis Etienne part pour un long voyage. Pour cette expédition australe, le Polar Pod (Plateforme Océanographique Dérivante) fera deux tours du monde. En tout, trois années en orbite autour de l'Antarctique entrainé par le courant circumpolaire entre 50° et 55° de latitude sud à une vitesse moyenne de 1,5 km/h !

Le Polar Pod, un vaisseau révolutionnaire pour naviguer dans les "cinquantièmes hurlants"

À l'image de la station spatiale internationale, le Polar Pod sera une station océanographique internationale accompagnée d'un bateau ravitailleur qui relaiera tous les deux mois un équipage de huit personnes composé de trois marins, de quatre scientifiques et d'un(e) cuisinier(e). Pour vivre dans cet univers hostile, il a fallu imaginer un immense navire vertical capable de supporter les houles géantes et les vagues scélérates que l'on rencontre dans le grand sud.

Si on veut échapper à l'agitation de surface, il faut avoir un bateau très profond qui peut être pris dans des eaux stables...

précise Jean-Louis Etienne qui, avec le bureau d'architecture et d'ingénierie navale lorientais ship-st, a donc imaginé cette bouée-navire d'une hauteur de 100 mètres, avec 80 mètres de tirant d'eau et un lest de 150 tonnes ! Des essais sur maquette ont déjà été réalisés à Brest au bassin à vagues de l'Ifremer qui sera le maître d'œuvre de ce vaisseau austral dont la construction est prévue pour début 2022.

On nous a imposé des normes de construction équivalentes à celles des plates-formes pétrolières en mer du Nord, notamment celles de pouvoir résister à une vague cinquantennale de 38 mètres de haut !

Pour se perfectionner, Jean-Louis Etienne s'est même exilé pendant deux ans en famille à l'institut océanographique de San Diego en Californie qui a mis au point dans les années 60 le projet FLIP, une plateforme instrumentale flottante capable de passer de la position horizontale à verticale, l'ancêtre du Polar Pod.

Sans motorisation, entrainé par le courant circumpolaire et les vents d'ouest, alimenté en énergies par six éoliennes, Polar Pod est un navire "zéro émissions". Avec ses voiles asymétriques, il pourra s'éloigner s'il le faut de la route d'un iceberg. Equipées d'hydrophones de grandes sensibilités, les équipes du Polar Pod vont pouvoir réaliser à partir de fin 2023 un inventaire de la faune marine aux quatre saisons pendant trois années consécutives, promettant ainsi une cartographie sonore unique de la biodiversité de cet océan qui n'échappe pas à la pression anthropique. 

Des analyses de prélèvements d'eau et d'air pourront nous donner un bilan très précis des pollutions causées par les aérosols, les micro-plastiques, les pesticides, les polluants organiques et les métaux lourds.

Ce programme de recherche coordonné par David Antoine du laboratoire CNRS de Villefranche-sur-Mer bénéficie de l'engagement de chercheurs de douze pays et sera rendu accessible à l'ensemble de la communauté scientifique internationale. En vidéoconférence depuis Paris pour le lancement officiel de Polar Pod, Jean-Louis Etienne peut enfin avoir le sourire après des années passées à convaincre :

​​​​​​En 2026, à la fin de l'aventure Polar Pod, j'aurais 80 ans ! Affronter l'incrédulité, la méfiance, le déni est le prix de toute idée neuve. Le découragement est un test permanent à franchir, sinon rien de grand ne se réalise.

Aujourd'hui, le financement du Polar Pod est toujours en cours d'élaboration dans un partenariat public-privé qui verra collaborer de grandes entreprises françaises avec des institutions scientifiques internationales. Le site et le chantier de construction ne sont également pas encore choisis à l'heure actuelle, l'IFREMER a lancé un appel d'offres, les travaux commencent dans neuf mois à peine.

Jean-Louis Etienne, un pionnier de l'exploration polaire

Après son internat en chirurgie et une spécialité en nutrition et biologie du sport, Jean-Louis Etienne devient médecin d'expédition. Un choix dicté par son enfance dans le Tarn :

J'aimais être à l'extérieur, camper, et donc cet engagement pour le grand dehors a toujours été là !

Himalaya, Patagonie, Groenland, c'est le froid qui attire ce passionné d'alpinisme.

Ces régions polaires c'est l'intériorité, c'est l'âtre, c'est le feu, ce n'est pas l'extraversion d'une plage au soleil, c'est quelque chose qui vous ramène à vous. On passe du temps avec soi dans ces régions.

En 1986, il est le premier homme à atteindre le pôle Nord en solitaire après 63 jours de marche. Un exploit hors-norme qui lui donne la confiance pour continuer sur des projets toujours plus intenses.

En 1989, avec l'expédition internationale Trans Antarctica, il réalise la plus longue traversée du continent antarctique. Sept mois dans l'enfer des températures glaciales pour parcourir 6300 km en traineaux à chiens ! Puis c'est la conception et la construction d'un bateau mythique, Antarctica, avec qui il va mener plus de dix années d'expéditions polaires et de long mois d'hivernages pour expliquer le rôle fondamental que ces régions jouent sur l'équilibre d­­­u climat de la terre (la goélette aujourd'hui rebaptisée Tara poursuit cette aventure scientifique sur tous les océans de la planète.).

En 2002, il s'isole pendant plusieurs mois dans un module dérivant, le Polar Observer, pour étudier la fonte de la banquise. En 2010, il réalise cette fois la traversée du pôle Nord en ballon. Infatigable défenseur de la planète et des régions polaires, il n'oublie jamais le versant pédagogique de ses missions et emmène à chaque expédition dans son sillage des milliers d'écoliers qui le suivent dans ses aventures.  Ce spécialiste de "l'auto-confinement" nous avait accordé une interview en mars 2020 lors de la crise sanitaire.

Le temps que l'on passe avec nous-mêmes est un temps toujours constructif. A partir du moment où l'on prend le temps de vivre avec soi-même, c'est un chemin d'apaisement et de curiosité.

Avec cette nouvelle expédition océanographique dans l'océan Austral, Jean-Louis Etienne pose une pierre de plus au monumental édifice scientifique et aventurier qu'il a bâti à force de courage et de ténacité,  de passion aussi pour la nature et notre planète qu'il n'a de cesse d'arpenter pour mieux  les protéger de nos excès. 

On agit quand notre santé est menacée immédiatement, et sur le climat on se dit "on a le temps". NON, nous n'avons plus le temps !

Retrouvez notre podcast avec Jean-Louis Etienne qui se confie sur sa passion des régions polaires, son enfance, mais aussi ses grandes rencontres avec Erik Tabarly et le père Michel Jaouen :

 

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