"Les locavores ne sont pas des mangeurs de locataires" : la résilience alimentaire expliquée à tous

Résilience alimentaire, locavore, circuit court : avec la crise du Covid-19, ces mots s'affichent régulièrement dans les médias. Mais pour vous, cela reste du charabia ? Nous avons trouvé le spécialiste. Nous lui avons posé cinq questions et imposé une contrainte : des réponses simples.

"Désolé, je n'ai pas eu le temps avant : j'ai eu deux visios ce matin et je prépare celle de ce soir" : voila la première phrase de notre spécialiste.  Stéphane Linou est occupé mais son charmant accent du sud-ouest vaut l'attente. Et son propos encore plus. Il s'agit bien d'un spécialiste.

Spécialiste et militant. En 2004 dans l'Aude, il crée une des premières AMAP (Association pour le Maintien d'une Agriculture de Proximité) de France. Quatre ans plus tard, il décide de passer une année entière en se nourrissant uniquement d'aliments produits à moins de 150 kilomètres de chez lui. Pas de café, de chocolat, de bananes... et il a survécu et même mieux vécu. Le terme "locavore" est apparu dans le dictionnaire quelques mois plus tard. Elu conseiller général EELV (Europe Ecologie les Verts) en 2011, puis conseiller municipal à Castelnaudary, il ne s'est pas représenté aux dernières élections : "Je suis encore conseiller municipal mais seulement jusqu'à ce soir", nous précise Stéphane Linou dans un sourire.

Militant et spécialiste. A plus de quarante ans, il a repris ses études pour passer un Master. Le sujet de son mémoire : "Résilience alimentaire et sécurité nationale". Sous le même titre, son travail universitaire a été publié l'an dernier sous la forme d'un livre-enquête. Ce  soir, Stéphane Linou organise un nouveau débat public en visoconférence sur la production locale et la PAC, la Politique Agricole Commune. Quelques heures avant, il accepte de répondre à nos questions en se pliant à notre contrainte : des réponses simples. Nous n'avions pas dit des réponses courtes...


Résilience alimentaire, locavore : Définitions ?

SL : La résilience alimentaire, pour faire simple, c'est la capacité d'un système, un territoire, une commune ou une famille, à avoir toujours à manger, que ce soit des aliments produits par eux-mêmes ou des approvisionnements bien sécurisés. Et ce, quelles que soient les perturbations et les crises qui peuvent arriver. C'est de la préparation, de l'anticipation et de la production.

Locavore, ce n'est pas "mangeur de locataires". Ce sont des personnes qui ne consomment que des produits et une nourriture issus d'un rayon de moins de 150 kilomètres autour de leur assiette. Cette expérience, je l'ai faite en 2008. Pendant un an, je n'ai mangé que du local. Et moi, aux notions de résilience alimentaire et de locavore, je rajoute un angle important qui est celui de la sécurité nationale. Il faudrait qu'on soit capable de se nourrir, pour la plupart de notre alimentation, dans ce rayon-là (150 kilomètres), pour des raisons de sécurité : pour qu'on n'ait pas à se taper dessus en cas de rupture ou de problèmes sur les approvisionnements amenés par les camions.


Pourquoi n'a-t-on jamais autant parlé de résilience alimentaire et de locavore que pendant cette période de crise sanitaire ?

SL : Les gens ne comprennent les choses que lorsqu'ils les vivent dans leur chair. Et là, avec le souffle du boulet, la question de la résilience a été ressentie par tout le monde car on risquait de ne pas avoir assez à manger et parce qu'on avait pas une visiblité dans le temps. Du coup, ils ont compris qu'il était important d'avoir des producteurs au plus près de chez eux, des producteurs qu'ils connaissent.

On était dans l'inconscience et l'insouciance amenées par notre ébriété energétique : le pétrole nous a amené à abandonner les productions autour de chez nous, pour les faire venir d'ailleurs. Mais lorsque la perfusion a connu une avarie, que les transports ont eu beaucoup plus de mal à nous amener la nourriture, on s'est dit : "Mince ! Cela serait bien d'avoir de la production à côté". C'est parce qu'on l'a ressenti dans notre corps, parce qu'on a eu peur, qu'on s'est posé la question de la résilience alimentaire. De nombreuses personnes ont percuté uniquement parce qu'elles ont été touchées personnellement.


Vous parlez de "local" et de "rayon restreint". En même temps vous organisez des réunions publiques sur la PAC, la Politique Agricole Commune, synonyme de "global" à l'échelle de l'Europe. Il n'y a pas une contradiction ?

SL : Non, car la politique agricole commune n'est pas que globale : elle a aussi des répercussions très locales. La PAC représente 40% du budget européen. Et dans cette PAC, il y a 70% consacrés aux revenus des producteurs et 30% consacrés au développement rural, c'est à dire des investissements qui peuvent concerner des projets locaux. Si vous avez près de chez vous, par exemple, un abattoir de proximité ou un atelier de transformation de fruits en jus, c'est aussi l'argent de la PAC.

Donc la PAC est un outil tentaculaire qui concerne tout le milieu agricole, mais les gens ne le savent pas. Ils ne savent pas qu'ils paient environ 117 euros par an et par personne pour la Politique Agricole Commune. La PAC nous concerne donc tous. Et si les orientations de la PAC changent, le local sera concerné.


Et les municipales dans tout ça ?

SL : Avant le Covid, j'avais rédigé une letttre d'engagement à la disposition de tous les candidats aux élections municipales de France. Cette lettre rappelait qu'au Sénat, en décembre 2019, Françoise Laborde (sénatrice PRG de Haute-Garonne) avait défendu un projet de résolution qui portait le nom de mon livre-enquête "Résilience alimentaire et sécurité nationale".
Le gouvernement avait alors reconnu qu'il pouvait effectivement y avoir des désordres et des émeutes s'il y avait des problèmes d'acheminement de nourriture, étant donné qu'on ne produit pas localement et que les populations n'y sont pas préparées.

J'ai donc mis cette lettre-là à disposition des candidats qui s'engageaient à augmenter l'autonomie alimentaire de leur commune en créant des régies communales de production agricole, en augmentant la part du local dans les cantines car c'est au niveau communal que peut se décider l'approvisionnement en produits locaux. Cela concerne évidemmment les municipalités car, en cas de pépin, qui va-t-on voir ? L'élu à portée d'engueulade : le maire.

On ne va pas aller voir le président de la République s'il n'y a plus rien dans les magasins et qu'il n'y a des stocks nulle part. Les maires, comme les préfets, sont donc directement concernés par ce lien ancestral qui existe entre l'alimentation et la sécurité. Je n'ai pas envie qu'on ait à se taper dessus pour se nourrir. On a déjà frôlé la correctionellle, pendant cet épisode de Covid qui n'est pas terminé.


Comment voyez-vous l'avenir après cette crise sanitaire?

SL : Le futur n'a plus d'avenir. On doit réellement prendre cette alerte Covid comme une claque pédagogique. Cette crise sanitaire doit être convertie en crise salutaire. Il faut que, pour des raisons de sécurité, on puisse mettre à disposition des espaces pour des jardins potagers locaux, afin que les gens puissent produire eux-mêmes leur nouriture.

Certains vont peut-être en avoir marre de payer des impôts pour des espaces verts où il y a des géraniums et continuer en même temps de payer, toujours avec leurs impôts, des bons alimentaires. Il faut éviter des révoltes sociales  de la part des personnes précaires d'aujourd'hui et de demain. Car il va y avoir des millions de chômeurs supplémentaires. Tout le monde pense à réserver ses vacances sans se rendre compte, qu'en septembre, il n'aura peut-être plus de travail.

A l'échelle des communautés de communes ou de territoires plus larges, il faut également qu'il y ait des contractualisations directement entre les agriculteurs et les grandes et moyennes surfaces, les particuliers et la restauration collective. Cela permettra de maintenir des prix et des volumes dans le temps, pour maintenir des producteurs locaux, parce qu'ils seront payés correctement. C'est notre assurance-vie à tous ! Imaginons que certains territoires soient totalement confinés : on sera bien content d'avoir des producteurs locaux en vie et capables de produire.

Enfin, il faut aussi maintenir les exportations de sécurité. Par exemple, si nous n'exportions pas de céréales en Afrique du Nord, cette région du monde connaîtrait des déstabilisations politiques et des changements de régimes que nous ne souhaitons pas. Il y a donc des exportations liées à la géopolitique qui resteront nécessaires.

En résumé, je vois donc trois mondes qui devront cohabiter : la sécurité micro-locale avec les jardins ouvriers, la sécurité territoriale avec des producteurs qui contractualisent avec les cantines, les grandes et moyennes surfaces et les particuliers.
Et un troisième monde : une sécurité extérieure pour continuer à alimenter des pays qui, sans cela, seraient complètement déstabilisés et créeraient également des troubles à nos frontières.

Le lien entre alimentation et sécurité, c'est le plus vieux du monde mais nous l'avons oublié depuis le pétrole : une énergie "facile", dense et à bon marché. On s'est endormi dans notre confort lié au pétrole et on a oublié les évidences.








 

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