RC Lens : le baroud médiatique d'Hafiz Mammadov en Azerbaïdjan

Depuis sa réapparition publique vendredi dernier à Bakou, Hafiz Mammadov semble mener une véritable campagne médiatique en Azerbaïdjan, pour faire pression sur le gouvernement, tenter de se remettre en selle et obtenir un coup de pouce financier pour le RC Lens. Un baroud d'honneur ?  

Invisible depuis l'été, Hafiz Mammadov a fait une apparition publique remarquée, vendredi dernier à Bakou, à l'hôtel Park Inn où se tenait le comité exécutif de l'AFFA, la Fédération azerbaïdjanaise de football. Entouré de nombreux journalistes venus assister à cette réunion, le propriétaire à 99.99% du RC Lens s'est livré, en toute décontraction, à une petite conférence de presse, nochalamment accoudé à une table, comme on peut le voir dans la vidéo ci-dessous.


Alors qu'il ne semble plus en mesure de financer ni le RC Lens, ni son autre club du FC Bakou - dont les salaires, les factures et les impôts ne sont plus payés - l'homme d'affaires s'est défendu d'être ruiné. "Il y a simplement quelques personnes à qui j’ai avancé de l’argent et qui ne me le rendent pas", s'est-il justifié. "Si l’on me rend mon argent, alors je pourrai continuer de financer le RC Lens et il n’y aura aucun problème. Si nous ne continuons pas notre travail avec la France, ce n’est pas très bon pour l’image de l’Azerbaïdjan."

Mammadov s'en prend à un puissant milliardaire

Parmi ces "personnes" qui lui devraient de l'argent, Hafiz Mammadov n'a cité pour le moment qu'un seul nom et pas n'importe lequel : Mübariz Mansimov, 47 ans, un armateur azerbaïdjanais installé en Turquie qui possède un important groupe maritime baptisé Palmali. Sa fortune personnelle est estimée à 1,35 milliard de dollars (1.27 milliard d'euros) par le magazine Forbes. Selon certains journaux, Mansimov serait un ancien agent du KGB - les services secrets de l'ex-Union Soviétique - ce que l'homme d'affaires a toujours nié. On le dit grand collectionneur d'armes et passionné de football. Il possède et sponsorise le club azerbaïdjanais du Khazar Lankaran et gravite autour du Besiktas​, le célèbre club d'Istanbul, dont il serait un fervent et actif supporter. Selon plusieurs médias turcs, il aurait contribué à l'arrivée Demba Ba sur les rives du Bosphore, grâce aux bonnes relations qu'il entretiendrait avec Roman Abramovitch, le propriétaire russe de Chelsea, où évoluait la saison dernière l'attaquant franco-sénégalais.   

Le Baghlan Group d'Hafiz Mammadov et Palmali, la société de Mübariz Mansimov, ont également oeuvré dans un même secteur, le transport d'hydrocarbures, en lien avec SOCAR, la compagnie pétrolière nationale azerbaïdjanaise. Mais le litige entre les deux hommes ne porterait pas sur cette activité. Lundi,  un site d'opposition politique au président Ilham Aliyev, Virtualaz.org - qui semble avoir recueilli les confidences du propriétaire du RC Lens - avançait une autre explication (une traduction anglaise est disponible sur le site Azeri Daili). Mansimov aurait racheté à Mammadov un jet privé Falcon. Une transaction un peu particulière puisqu'en échange de cet avion, le magnat du transport maritime se serait engagé à couvrir  un emprunt de 5 millions de dollars (4.7 millions d'euros) contracté par l'associé de Gervais Martel. Et de verser en plus 4 millions de dollars (3.8 millions d'euros) d'intérêts. Selon Hafiz Mammadov, Mübariz Mansimov - qui serait lui aussi en proie à des difficultés financières - n'aurait pas rempli sa part du contrat et n'aurait pas effectué les remboursements prévus. Il lui devrait ainsi à ce jour 8 millions de dollars (7.5 millions d'euros). 

Mis en cause personnellement, Mübariz Mansimov n'a pas répondu directement à Hafiz Mammadov. Mais un site internet réputé proche de lui, Komanda.az, s'en est chargé, samedi, dans un édito au vitriol. "Il devient clair qu'(Hafiz Mammadov) n'accepte pas la réalité", peut-on y lire. "Il est incapable d'accepter sa faillite personnelle. Laissez-nous vous dire une chose : le grand projet d'Hafka (surnom d'Hafiz Mammadov en Azerbaïdjan NDR), "Azerbaijan, Land of Fire" (marque créée par Mammadov pour promouvoir son pays, sponsor maillot de l'Atletico Madrid, du RC Lens et de Sheffield Wednesday NDR), n'a profité à personne d'autre qu'à lui-même." 

Pression sur l'Etat azerbaïdjanais

Pourtant, ce sont bien ses investissements dans le football -  notamment à Lens - qu'Hafiz Mammadov met explicitement en avant pour faire pression sur l'Etat azerbaïdjanais et tenter d'obtenir des arbitrages favorables. L'article publié lundi par Virtualaz.org (portail d'information créé par Eynulla Fatullayev, journaliste dissident, militant des droits de l'homme et ancien prisionner politique) - dont Mammadov semble être la principale source - est pour le moins surprenant. Le ton est volontiers alarmiste, son auteur n'hésitant pas à forcer le trait, ni à grossir, voire déformer la réalité. "D'ici le 20 mars, Hafiz Mammadov doit verser 14 millions d'euros à Lens, sinon la Direction Nationale du Contrôle de Gestion (DNCG) disqualifiera le club de football français", peut-on y lire. "Dans ce cas précis, ce n'est pas tant la réputation de Mammadov qui est en jeu que celle du gouvernement azerbaïdjanais. C'est ironique, mais il n'est pas seulement question de la réputation du pays. L'Azerbaïdjan pourrait perdre à travers le club au moins 110 millions d'euros​".

110 millions d'euros ? Il s'agit en fait de la valeur du RC Lens chiffrée par Virtualaz.org. "Avant l'arrivée d'Hafiz Mammadov, le club valait 13 millions selon des experts français" argumente le site internet. "Maintenant le club peut être vendu pour plus de 100 millions d'euros. Premièrement, Mammadov a lui-même investi 24 millions d'euros, avec la construction d'un nouveau stade. Deuxièmement, Lens, qui était en 2e division, est devenu un club à succès qui évolue désormais dans l'élite du football français". Un supporter lensois pourrait tomber de sa chaise en lisant ça. Virtualaz.org ne mentionne pas, bien évidemment, la situation sportive très délicate du club, avant-dernier de Ligue 1 et en position de relégable. Quant à la valeur mentionnée, elle est fantaisiste, même si elle s'appuie peut-être en partie sur des propos tenus par Gervais Martel en janvier dernier. Le président lensois affirmait en effet que le RCL allait disposer bientôt de "75 millions d'euros de fonds propres" grâce à la rénovation du stade Bollaert-Delelis. Or, comme nous l'avions expliqué, même si le club artésien dispose d'un bail emphytéotique qui lui donne le plein usage de l'enceinte jusqu'en 2052, il n'en est pas le propriétaire. Elle appartient à la Ville de Lens. Rappelons également que les travaux de rénovation du stade ont été pris en charge à 85% par les pouvoirs publics (Etat, région, communauté d'agglomération...) pour un montant de 60 millions d'euros.

Un autre argument avancé par Virtualaz.org est encore plus déroutant. "Dans le dossier lensois, il y a un aspect purement politique à prendre en compte : le propriétaire de la télévision publique de la région de Lens est aussi Hafiz Mammadov. L'image de l'Azerbaïdjan souffrirait de la perte des droits de propriété sur le club français". On vous rassure tout de suite, l'article ne fait pas référence à France 3 Nord Pas-de-Calais mais à Wéo, la chaîne créée par le Conseil Régional du Nord Pas-de-Calais et le Groupe La Voix du Nord, dont le RC Lens n'est qu'un simple actionnaire, très minoritaire. 1000 euros de titres Wéo - soit une toute petite participation - apparaissent en effet à l'actif du club dans le dernier bilan publié. Un détail que les journalistes azerbaïdjanais ignorent à coup sûr mais qu'Hafiz Mammadov a sans doute grossi et amplifié pour plaider sa cause.

Sauver le RC Lens ou se sauver lui-même ?

Cette agitation médiatique, initiée et orchestrée par Hafiz Mammadov dans son pays, semble en tout cas prouver qu'il a tout à fait conscience de l'urgence de la situation au RC Lens. Mais l'instrumentalise-t-il à ses propres fins ou recherche-t-il véritablement une solution pour aider le club à s'en sortir financièrement ? Le doute est permis, d'autant que ce réveil semble bien tardif. D'ailleurs, dans sa communication, l'homme d'affaires évoque aussi l'Atletico Madrid sponsorisé par sa marque - "Azerbaijan, Land Of Fire" -  et insiste lourdement sur l'expiration prochaine du contrat. Non sans une certaine dramatisation là encore. "L'enjeu n'est pas seulement le sort de Lens", écrit ainsi Virtualaz.org dans son fameux article. "Mais aussi l'avenir d'une marque purement azerbaïdjanaise - Land of Fire - slogan officiel de l'un des plus grands clubs au monde, l'Atletico Madrid. Le contrat avec l'Atletico, qui à chaque match promeut l'Azerbaïdjan (d'ailleurs l'Atletico a participé activement à la campagne pour informer le monde du génocide de Khodjaly) s'arrête en octobre 2015. Mammadov payait chaque année 5 millions d'euros pour la marque. Cette année, l'Atletico (...) a exigé 15 millions de dollars. L'Azerbaïdjan ou Hafiz Mammadov ont jusqu'à mai pour faire une proposition adéquate de prolongement de contrat. Si ce n'est pas le cas, alors les stars du club comme Fernando Torres, Arda Turan et les autres porteront sur le terrain un autre slogan sur leur maillot. Et qui peut garantir qu'à la place de l'Azerbaïdjan, il n'y aura pas le logo du Mont Ararat  ? (symbole de l'Arménie, pays voisin et ennemi de l'Azerbaïdjan NDR). Après tout, c'est celui qui paye qui décide du slogan." On note que l'article fait référence au massacre de Khodjaly, qui a eu lieu le 26 février 1992 pendant la guerre du Haut-Karabagh entre l'Azerbaïdjan et l'Arménie. Selon l'Azerbaïdjan, plus de 600 civils ont été tués ce jour là par l'armée arménienne. L'Azerbaïdjan milite pour que ce massacre soit reconnu comme "génocide", une qualification rejetée par l'ONU en 1993. En 2013, les joueurs de l'Atletico Madrid, en visite à Bakou, étaient venus se recueillir devant un mémorial commémorant ce massacre, comme on peut le voir dans cette vidéo réalisée pour l'anniversaire d'Hafiz Mammadov. Virtualaz.org rappelle ainsi l'une des finalités de ce sponsoring très particulier.

"L'oligarque azerbaïdjanais cherche un moyen de s'échapper de ce labyrinthe", ajoute poètiquement le site internet qui semble se faire le porte-voix d'Hafiz Mammadov. "Pas pour son propre salut, car il a sûrement assez pour vivre une existence confortable. Il s'agit de sauver des clubs de football, et avec eux la réputation de l'Azerbaïdjan". Difficile d'y croire, d'autant que Virtualaz.org semble donner quelques indices sur les motivations réelles de l'homme d'affaires. A l'en croire, Mammadov souhaiterait pouvoir reprendre les rênes de la Bank of Azerbaijan. Cette banque privée était la propriété d'Hafiz et de ses fils, mais lorsqu'elle a fait faillite au printemps dernier, les Mammadov en ont été promptement chassés. "La banque a été transférée à de nouveaux propriétaires. Et alors ?", écrit Virtualaz.org. "La nouvelle direction a déclenché une véritable pagaille en accordant des prêts importants à des clients non solvables. Les six mois de cette nouvelle gouvernance ont tourné au fiasco financier. Et la banque doit revenir à l'oligarque Hafka. Il est revenu non seulement pour la sauvetage des "actifs" azerbaïdjanais que représentent ces clubs de football connus dans le monde entier, mais aussi pour celui d'une banque azerbaïdjanaise bien connue. A ce jour, le capital autorisé (c'est-à-dire le nombre maximal d'actions qui peuvent être émises NDR) de cette banque est d'environ 50 millions de dollars (47 millions d'euros NDR)....".

Et maintenant, quelles suites ? 

Pour l'instant, l'offensive médiatique d'Hafiz Mammadov en Azerbaïdjan semble assez peu fructueuse. Selon le site Sportinfo.az - qui a longtemps soutenu et relayé son son optimisme de façade contre vents et marées - l'oligarque aurait eu des rendez-vous ces derniers jours au ministère des finances pour obtenir un petit coup de pouce pour le RC Lens. Mais le ministre lui aurait opposé une fin de non recevoir et lui aurait conseillé tout simplement de revendre ses parts. Sportinfo.az évoque depuis plusieurs semaines une autre piste : celle d'un prêt de 10 millions d'euros avancé par la Pasha Bank​, la première banque privée du pays détenue par la belle-famille du président azerbaïdjanais, Ilham Aliyev. Difficile tout de même d'y croire quand on sait qu'en décembre 2013, le Baghlan Group d'Hafiz Mammadov n'est pas parvenu à rembourser une échéance concernant un emprunt obligataire de 150 millions de dollars (142 millions de dollars) que lui avaient accordé conjointement BNP Paribas et la Pasha Bank pour relancer l'exploitation de gisements d'hydrocarbures de la Mer Caspienne.

Du coup, l'homme d'affaires va-t-il devoir se résoudre à "rendre ses parts" dans le RC Lens comme le souhaite Gervais Martel ? Plusieurs médias azerbaïdjanais présentent en tout cas le 20 mars comme une date butoir. Hafiz Mammadov s'est-il formellement engagé à trouver une solution avant cette échéance, faute de quoi il renoncera à la propriété du club artésien ? C'est ce que Gervais Martel avait laissé entendre le 23 février dernier dans une interview à La Voix des Sports. "Ce qu’il nous a dit, c’est qu’il est quelqu’un d’honnête, et que si vraiment il voyait qu’il ne pouvait toujours pas (payer) à la mi-mars, il rendrait ses parts. Parce que s’il ne verse rien, et qu’il ne rend pas les parts, on est morts", avait-il déclaré. "L'affaire doit être réglée avant la mi-mars", a répété le président lensois dans une récente interview à But! Lens. "Je dois préparer mes budgets et les envoyer à la DNCG. Je dois travailler sur toutes les solutions, si on est en Ligue 1 et très vraisemblablement en Ligue 2. (...) Première solution : miracle, Hafiz Mammadov paye. Deuxième solution : quelqu’un d’Azerbaïdjan prend sa place avec tous les éléments chiffrés que j’ai donnés là-bas, c’est-à-dire qu’il arrive avec les 14 millions d'euros plus les besoins pour la saison prochaine si on est en Ligue 1 et des besoins supplémentaires si on est en Ligue 2. Troisième solution : Hafiz Mammadov rend ses parts et à nous de faire entrer quelqu’un qui prendra 100% du club et qui assumera ce que je viens de vous dire en trésorerie." 

A en croire l'article publié par Virtualaz.org, Hafiz Mammadov ne semble pourtant pas vraiment disposé à faire de cadeau à son associé français, mais a-t-il vraiment le choix aujourd'hui ? Selon le site azerbaïdjanais, il aurait peu apprécié la manoeuvre tentée fin décembre pour l'écarter du capital de RCL Holding, la société parisienne qui possède le RC Lens. Rappelez-vous, 2.5 millions d'euros avaient été avancés par une société off-shore détenue par un certain Anar Mammadov (sans lien de parenté), fils du ministre des transports d'Azerbaïdjan. D'après Gervais Martel, un accord avait été passé entre les deux hommes selon lequel Hafiz s'engageait à céder ses parts à Anar s'il ne parvenait pas à rembourser cette avance avant le 31 décembre. Sauf que le premier avait aussitôt démenti avoir passé un tel accord, allant jusqu'à crier à la falsification de signature dans un communiqué transmis à haqqin.az, un autre site dirigé par Eynulla Fatullayev. Cette accusation est d'ailleurs reprise par Virtualaz.org dans son article de lundi. "Gervais Martel a été forcé de revenir à la table des négociations avec le véritable propriétaire du club de Lens, Hafiz Mammadov", peut-on lire. "Toutes les parties, y compris Martel lui-même, ont rapidement oublié ces documents falsifiés. Comme s'il n'y avait pas eu de fraude avec les fac-similés. Toutefois, l'amnésie soudaine des auteurs du faux document n'a pas encore aidé Lens à se sortir de la faillite financière".

Le 20 mars approchant, on sera vite fixés sur le sens et la portée de cette échéance évoquée dans les médias azerbaïdjanais. En attendant, Hafiz Mammadov poursuit sa campagne médiatique, dans son pays. Selon le site Sportpress.az, l'homme d'affaires pourrait de nouveau balancer publiquement les noms d'autres personnes lui devant de l'argent, ainsi que le montant de leur dette... 
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