Migrants à Calais : une nuit dans le manège infernal de la rocade portuaire

Nuit noire, poids lourds lancés à toute vitesse, forces de l'ordre sous tension, et barrages inlassablement replacés par des cohortes de migrants prêts à tout pour passer en Angleterre : un jeu dangereux se joue tous les soirs sur la rocade portuaire de Calais.

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Dès minuit, la radio de police crache des appels à renfort, avec une rengaine : "barrage posé échangeur 47". Les fourgons de CRS tournent déjà dans le manège infernal de la rocade, si peu éclairé.

En ce début de nuit d'été, la menace plane mais les migrants demeurent invisibles pour les non-avertis. Le petit bois qui sépare la route des premières résidences calaisiennes, à 1,5 km de la "Jungle", bruisse de craquements. Détonation soudaine, une épaisse fumée blanche s'élève des cimes et envahit le ciel : la première grenade lacrymogène est lancée. Elle vient s'ajouter aux 30.000 déjà tirées depuis octobre, selon un décompte du syndicaliste policier Gilles Debove (SGP-FO).


Barrages

Au travers des longs barreaux que forment les troncs d'arbre, se détachent des dizaines de silhouettes progressant lentement en file indienne, de l'autre côté du bois. Le premier objectif des migrants est de rassembler branchages, paille et barrières de métal pour concevoir des barrages. Tentatives aussi méthodiques que désespérées.

Peu avant 02H00, on devine quelques têtes sur un talus sombre et informe. A 100 mètres, un trente tonnes, monstre de tôle et de mécanique, avale la route en leur direction. Subitement, la cinquantaine de migrants se déverse sur la rocade et, rapides et organisés, posent leurs barrages. Crissement de pneus, coups de klaxon scandalisés... le camion pile, et se retrouve encerclé en une poignée de secondes. Le conducteur, manifestement paniqué, entame de brusques manoeuvres marche arrière-marche avant sur plusieurs dizaines de mètres, au hasard.

On frôle le drame, mais au bout d'une minute, le camion parvient à repartir sur les chapeaux de roue, sans faire de victime. La veille, un autre migrant n'a pas eu la même chance : il a péri percuté par un poids lourd, comme six autres depuis le début de l'année.


Burlesque 

Vers 04H00, deux policiers de la BAC arrêtent leur voiture banalisée. Sur l'autre bord de la route, ils ont repéré un groupe de migrants s'affairant à un énième barrage, et actionnent leur lance-grenades lacrymogènes. La riposte ne tarde pas : du ciel obscur pleut une dizaine de projectiles, dont certains passent à quelques centimètres des fonctionnaires tête nue. Ce sont leurs grenades à eux.

On atteint alors le pic d'activité. Les migrants sentent le jour proche et redoublent leurs efforts. Ils posent un barrage trois fois de suite au même endroit. Mais cette nuit-là, les conducteurs parviennent à forcer les barrages presque chaque fois. L'exercice aura peut-être fait un heureux. Vers 05H00, un poids lourd se retrouve coincé, l'espace de quelques secondes. Parmi les candidats à l'exil qui se hâtent, on distingue des femmes, des adolescents.

Sur la dizaine qui grimpent, un a la bonne idée de se faufiler derrière la cabine conducteur, un espace n'excédant pas un mètre, tandis que les autres doivent se laisser retomber sur l'asphalte faute de prise fiable. Se croyant délesté de tout passager clandestin, le chauffeur pourrait ne pas demander de contrôle thermique lors de son arrivée au port.

Ces migrants qui sans cesse reposent en accéléré leurs barrages de bric et de broc, souvent au même endroit, avant de repartir en catastrophe quand la cavalerie déboule, donnent au spectacle une dimension burlesque. A l'aube, raconte Gilles Debove, ils sortent des talus, des buissons et des fossés, lèvent les mains en criant "We go back +Jungle+" à l'adresse des policiers, avant de rentrer. Comme des gamins jouant à cache-cache ils pourraient tout aussi bien dire: "Pouce !", s'ils ne jouaient pas leur vie.
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