L'Europe, où les tensions montaient face à l'afflux de dizaines de milliers de réfugiés et de migrants, était sous le choc après la publication des photos du corps sur une plage turque d'un petit garçon mort noyé dans le naufrage de deux embarcations transportant des Syriens.
Ces bateaux étaient partis dans la nuit de mardi à mercredi de la ville côtière turque de Bodrum à destination de l'île grecque de Kos, l'un des plus courts passages maritimes entre la Turquie et l'Europe, lorsqu'ils ont chaviré, ont expliqué les garde-côtes turcs.
Rapidement prévenus par les cris des naufragés, les sauveteurs ont repêché 12 corps sans vie parmi lesquels celui d'Aylan Kurdi, âgé de 3 ans et dont le frère, Galip, 5 ans, a aussi péri dans le naufrage, selon des médias turcs. Les photos des deux frères et du cadavre d'Aylan, tee-shirt rouge et short bleu, face contre terre, sur une des plages de la station balnéaire de Bodrum a envahi les réseaux sociaux sous le mot-dièse #KiyiyaVuranInsanlik ("l'humanité échouée" en turc), qui est devenu l'un des mot-dièse les plus partagés sur Twitter.
Les images étaient aussi largement reprises par la presse européenne, y compris par des journaux qui avaient auparavant adopté une ligne dure sur la crise migratoire. "Toute petite victime d'une tragédie humaine", titre ainsi jeudi le Daily Mail sur une photo montrant un policier turc portant le cadavre de l'enfant. "Insoutenable", juge de son côté The Mirror.
"Si ces images extraordinairement fortes d'un enfant syrien rejeté sur une plage ne modifient par l'attitude de l'Europe vis-à-vis des réfugiés, qu'est-ce qui le fera ?", interroge The Independent.
En Italie, le quotidien La Repubblica a tweeté "La photo qui fait taire le monde", et en Espagne, El Pais en faisait le "symbole du drame migratoire", tandis qu'El Periodico titrait sur le "Naufrage de l'Europe". "Certains disent que l'image est trop offensante pour être partagée en ligne ou imprimée dans nos journaux", écrit dans une tribune Peter Bouckaert, directeur pour les situations d'urgence de HRW. "Mais ce que je trouve offensant c'est que des corps d'enfants noyés viennent s'échouer sur nos rivages, alors que l'on aurait pu en faire plus pour leur sauver la vie", a-t-il ajouté expliquant avoir lui-même
longtemps hésité avant de tweeter la photo du corps d'Aylan Kurdi.
Un flux continu
A peine avaient-ils débarqué sur les côtes italiennes et grecques, où les arrivées ne tarissent pas, que migrants et réfugiés continuaient d'être attirés comme des aimants par l'Allemagne. Au seul port athénien du Pirée, près de 4.500 d'entre eux ont mis pied à terre mercredi sur le continent européen, transférés par bateaux spéciaux de Lesbos, en Egée orientale.Au large des côtes libyennes, ce sont près de 3.000 personnes, dont des centaines de femmes et d'enfants, qui ont été secourues mercredi, selon les garde-côtes italiens et l'ONG Médecins sans frontières.
Selon l'ambassadeur russe à l'ONU Vitali Tchourkine, le Conseil de sécurité étudiait la possibilité d'adopter une résolution, un texte "plus limité" que celui prévu initialement, qui, s'il était adopté ne permettrait qu'une intervention navale européenne "en haute mer, et non dans les eaux territoriales" libyennes.
M. Tchourkine n'a pas donné de détails sur le projet de résolution, qui "pourrait bien" selon lui être adoptée en septembre.
La Grèce s'est engagée mercredi à "accélérer" l'enregistrement des exilés et leur identification. C'est là une des demandes de ses partenaires européens pour mettre fin à leur dispersion incontrôlée dans l'Union européenne. Depuis le début de l'année, la Grèce a compté un record de 160.000 arrivées, parmi les plus de 350.000 personnes au total ayant tenté le passage par la Méditerranée, dont plus de 2.600 sont morts pendant la traversée.
La plupart ont ensuite emprunté la route des Balkans pour gagner le nord de l'Europe, abandonnées à leur sort par les autorités grecques. Plusieurs centaines de réfugiés et de migrants ont continué d'affluer mercredi en Allemagne qui a renoncé à renvoyer les Syriens vers leur pays d'entrée dans l'UE et s'est engagée à traiter leurs demandes d'asile. Mardi, l'Allemagne avait enregistré une arrivée record de 3.709 personnes sans visa, passées par la Hongrie et l'Autriche. Vienne a du coup haussé le ton mercredi contre cette entaille allemande aux accords de Dublin réglant en principe la prise en charge des réfugiés dans l'UE. "J'ai toujours mis en garde contre une suspension des accords de Dublin (...) nous en voyons les effets maintenant", a déploré le ministre de l'Intérieur Johanna Mikl-Leitner.
A Budapest, une centaine de migrants ont manifesté devant la principale gare de la capitale hongroise cependant que la police empêchait 2.000 personnes de monter dans des trains pour l'Autriche et l'Allemagne. Mardi, 2.284 personnes, dont 353 enfants, sont entrées en Hongrie, qui a compté au total plus de 50.000 arrivées en août, en dépit de la clôture de barbelés érigée le long de sa frontière avec la Serbie.
L'espace Schengen menacé ?
Pour faire face à cet afflux de populations fuyant la guerre, les persécutions et la pauvreté au Moyen-Orient et en Afrique, "le plus important est d'apporter la paix et la stabilité" dans les régions en crise, a pour sa part affirmé le Premier ministre britannique David Cameron. "Je ne pense pas qu'une réponse puisse être trouvée en prenant en charge de plus en plus de réfugiés", a-t-il insisté.Dans le même temps, une pétition exhortant le gouvernement britannique à accueillir davantage de réfugiés avait recueilli mercredi en fin de journée plus de 44.000 signatures sur le site internet du Parlement. De son côté, le ministre espagnol des Affaires étrangères, Jose Manuel Garcia Margallo, a demandé que les critères de répartition des réfugiés au sein de l'UE fixés par Bruxelles soient "justes".
Le risque se dessine désormais d'une crispation menaçant la liberté de mouvement dans l'UE, un des principaux succès de la construction européenne.
Pour négocier une sortie de crise, la Commission européenne plaide pour une modification des accords de Dublin, au risque de relancer les divisions récurrentes entre les 28 sur ce chantier, à l'approche d'une réunion européenne le 14 septembre.
La question sera abordée jeudi et vendredi par le numéro deux de l'exécutif européen Frans Timmermans et le commissaire chargé des migrations Dimitris Avramopoulos, en visite en Grèce.
L'Allemagne, la France et l'Italie ont à cet égard réclamé, dans une lettre de leurs chefs de la diplomatie publiée mercredi, une refonte du droit d'asile en Europe, qu'ils jugent dépassé, et une meilleure répartition des migrants dans toute l'UE.