L'ancien député-maire de Cherbourg, 49 ans, qui avait voté non au référendum de 2005, s'est fait l'avocat inlassable du traité budgétaire.
Inattendu ministre délégué aux Affaires européennes, Bernard Cazeneuve a pris son bâton de pèlerin auprès de ses anciens collègues "nonistes" pour essayer de réduire une nouvelle fracture à gauche.
"On ne peut pas rêver bizutage plus formateur. Il y a une dimension passionnelle du débat européen en France", reconnaît-il.
L'onction de Cohn-Bendit
Révélé par sa pugnacité comme rapporteur de la mission d'information parlementaire sur l'attentat de Karachi, Bernard Cazeneuve en avait étonné plus d'un.
"Cazeneuve? Je ne l'ai jamais entendu parler sur l'Europe". Daniel Cohn-Bendit, qui l'avait accueilli par cette formule, ne tarit plus d'éloges aujourd'hui. "Il a une approche pas du tout idéologique, pas péremptoire. Il explique bien le traité, la stratégie française de relance, il s'est vraiment plongé dans les dossiers", juge l'eurodéputé écologiste.
En choisissant à ce poste un militant du "non" au traité constitutionnel, qui avait dénoncé, tout comme son mentor Laurent Fabius, "la pente libérale de l'Europe", François Hollande voulait tourner la page des déchirures socialistes de 2005.
Un espoir vite enterré dès lors qu'il fut clair que le traité rédigé par Angela Merkel et Nicolas Sarkozy ne serait pas "renégocié" mais simplement "complété" d'un volet croissance.
Alors, pour vendre la ratification du traité, Bernard Cazeneuve, ex-porte-parole de campagne de François Hollande, a mis les bouchées doubles.
Depuis la fin de l'été, cet avocat affable au visage rond, aux formules précises et mesurées, a multiplié les rencontres avec les élus socialistes et écologistes, reçus par petites fournées au ministère. Avec à chaque fois la même pédagogie un peu mécanique pour convaincre comment un traité, dénoncé en mars pour sa "logique d'austérité", était devenu en juin "une étape dans la réorientation de l'Europe" grâce aux contreparties obtenues (pacte de croissance, taxe sur les transactions financières, etc) même si celles-ci sont encore loin d'être mises en oeuvre.
"Fonction de soutier"
Niant avoir fait un virage à 180 degrés par rapport à son passé de "noniste", Bernard Cazeneuve juge au contraire être cohérent.
"La politique, ça ne consiste pas à toujours dire non, quel que soit le contexte.L'incohérence est chez ceux qui n'accompagnent pas la démarche de réorientation de l'Europe qu'ils réclamaient", estime-t-il.
Après avoir pris ses fonctions, il est allé à la rencontre de "grands européens": Valéry Giscard d'Estaing, Jacques Delors, Michel Rocard...etc. "Je ne cherchais pas l'absolution mais j'ai appris d'eux que l'Europe est un combat dans lequel on ne l'emporte qu'en construisant une démarche et non pas en restant dans une posture déclaratoire. Changer l'Europe, c'est mieux que jouer la crise de l'Europe", dit-il.
Dans le même temps, il sait bien que la politique européenne se décide avant tout à l'Elysée, Matignon ou Bercy. "Je suis là pour préparer et suivre les décisions. C'est une fonction de soutier", admet-il.
Une fonction à laquelle il a pris goût et veut donner de l'ambition. Là où Nicolas Sarkozy a irrité ses partenaires européens en usant cinq ministres (Jean-Pierre Jouyet, Bruno Le Maire, Pierre Lellouche, Laurent Wauquiez et Jean Leonetti), Bernard Cazeneuve entend bien rester "tout le quinquennat".