La littérature administrative laissée par les fonctionnaires de Vichy en dit long sur le caractère implacable du régime. Une note du préfet conservée par les Archives Départementales du Calvados détaille les conditions dans lesquelles s'est opérée la rafle du 24 novembre 1943. Glaçant.

La note est signée d'un certain "C. Autin" qui est alors le directeur de cabinet du "préfet régional". Le 20 novembre 1943, depuis son bureau à la préfecture de Rouen, il donne instruction aux préfets des quatre départements concernés d'organiser une rafle. Celle-ci a eu lieu le "mercredi suivant", le 24 novembre 1943.

A cette date, comme le rappelle Yves Lecouturier dans son livre Shoah en Normandie (éditions Cheminements, 2004), "selon une statistique de la préfecture de Rouen, seuls 303 juifs demeurent en principe officiellement en Normandie" dont 50 dans la Manche, 79 dans le Calvados, 72 dans l'Eure, 20 en Seine-Inférieure, et 82 dans l'Orne. En effet, beaucoup des "israélites" recensés par le régime de Vichy dès le début de l'occupation ont déjà été arrêtés ou se sont enfuis. 

Dans le style impersonnel propre à l'administration, le directeur de cabinet du préfet détaille les conditions dans lesquelles doit s'opérer ce que les "Hautes Autorités Allemandes" désignent comme un "repli vers l'intérieur" des juifs vivant en Normandie. La note précise d'ailleurs que "le gouvernement français a accepté de prêter son concours à condition [que l'opération] ne revête pas un caractère de police et que certaines garanties soient données quant à la personne et aux biens des israélites évacués". Car officiellement, il ne s'agit que d'une "évacuation" à laquelle doit participer "le service des réfugiés et la Croix Rouge" : les fonctionnaires de l'Etat n'auront qu'à "notifier aux intéressés" l'ordre d'évacuation des juifs signé par le Dr Kiel, le "kommandeur de la Sicherheitspolizei".

Pour faciliter le transport, les "évacués" doivent s'en tenir à 50 kilos de bagages et être "puisque cela est géographiquement possible, réunis en un seul convoi"


Mais les instructions données aux préfets montrent le caractère méthodique et implacable du "concours" apporté par "l'Etat Français" à l'occupant nazi. Rien n'est laissé au hasard. "Il est désirable" que la Police et la Gendarmerie se fasse discrètes. Il leur est néanmoins conseillé d'être vigilantes "pour éviter des fuites qui ne manqueraient pas d'être reprochées aux autorités françaises". Pour faciliter le transport, les "évacués" doivent s'en tenir à 50 kilos de bagages et être "puisque cela est géographiquement possible, réunis en un seul convoi". La préfecture précise que "les opérations de ramassage et de groupage" pourront commencer dès le matin afin que tous puissent être acheminés à Paris "par le train express 308 arrivant à Paris mercredi à 22h15".

Les "évacués" sont regroupés à Drancy avant d'être déportés

Dans son livre, Yves Lecouturier, dresse le bilan de cette rafle. Les hauts-fonctionnaires si soucieux de l'efficacité de la mécanique administrative ont du être déçu : "Sur les 79 juifs officiellement recensés dans le département du Calvados, 11 sont évacués, 13 ont disparu et 18 sont maintenus sur place pour des raisons de santé". On apprend aussi que le commissaire de police de Caen déplore que certains juifs aient "pressenti" la rafle et qu'ils se soient "dérobés". Au moins 24 personnes ont aussi été arrêtées dans l'Orne, 3 dans la Manche (où 14 autres sont déclarés disparus) : l'information a manifestement fuité, ce qui a permis à bon nombre de familles de prendre la fuite à temps.

La plupart des "évacués" finiront à Drancy, l'anti-chambre des camps de la mort. C'est le cas de Lazare Borocowitch, blessé en 14-18 sous l'uniforme de la Légion Étrangère et de son épouse Camille. Le Livre Mémorial des victimes du nazisme dans le Calvados publié en 2004 par le conseil général et les Archives Départementales du Calvados nous apprend que que Lazare Borocowitch vit alors à Beuville avec sa femme. Il est arrêté une première fois en 1942 et interné pendant cinq mois pour "des sympathies communistes". Il est arrêté une seconde fois le 20 février 1943 "mais le préfet en accord avec les autorités allemandes décide de ne pas le maintenir en état d'arrestation. il bénéficie cinq jours plus tard d'une autorisation pour porter son travail chez un foureur caennais pendant les heures permises aux juifs". Arrêté en novembre 1943, il est "déporté le 3 février 1944 à Auschwitz où il disparaît à une date indéterminée".


La note adressé aux préfets en intégralité :












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