Alpine F1 : immersion dans les secrets de l'excellence

C’est le sport mécanique le plus populaire du monde. Seule une poignée de constructeurs et de pilotes peuvent entrer dans le cercle très fermé de la F1. Parmi eux, Esteban Ocon et Pierre Gasly, 2 Normands chargés de faire briller Alpine sur les circuits. Depuis 2021 la marque dieppoise du groupe Renault est devenue l’étendard sportif du géant français. Une écurie à l’ADN 100 % normand qui nous a exceptionnellement ouvert ses portes.

Si la formule 1 est une histoire de vitesse, découvrir l’envers du décor est en revanche un travail de longue haleine. La crise du Covid, les agendas surchargés des pilotes et les impératifs de confidentialité ont longtemps retardé la réalisation de ce feuilleton. Mais 3 ans après notre première demande de reportage nous voici enfin en Angleterre dans l’Oxforshire, la Silicon Valley de la F1.

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Dans les coulisses de l'écurie Alpine F1 avec Esteban Ocon - épisode 1 ©France 3 Normandie

Cette campagne paisible accueille la majorité des usines des écuries de l’élite. C'est dans la petite commune d’Enstone que se situent les impressionnants locaux d’Alpine, où la marque dieppoise y développe ses châssis de formule 1. C’est ici également que nous avons eu l’opportunité de rencontrer Esteban Ocon. Le pilote ébroïcien se rend chaque semaine sur le site anglais pour travailler avec ses ingénieurs sur le simulateur de course.

Ce jour-là le pilote arrive avec quelques heures de retard. Son avion en provenance de Suisse avait dû reporter son atterrissage pour cause de brouillard, pas de quoi effacer le sourire si caractéristique du jeune champion de 26 ans. "On va tâcher de rattraper le temps perdu", nous glisse-t-il sereinement avant de rejoindre le simulateur. Une pièce aussi perfectionnée que confidentielle dans laquelle nous avons pu pénétrer quelques minutes. A l’intérieur, Ocon retrouve son ingénieur de course Josh Peckett. Entre les deux hommes la relation est permanente avant, pendant et après la course pour optimiser les performances de la voiture.

"On n’a plus d’essais, comme on pouvait les avoir auparavant. Donc la meilleure préparation possible pour nous avant les essais libres, c’est vraiment le simulateur. Cela permet de faire le plus de kilomètres possibles pour moi, en tant que pilote, mais aussi pour l’équipe. On teste des choses que nous ne pourrions pas faire en condition réelle" détaille le pilote normand. Derrière son allure de jeu vidéo futuriste, le simulateur est un outil technologique ultra réaliste.

Grâce à énormément de données accumulées, on est capable de reproduire précisément dans ce simulateur ce qu’on observe sur la piste. Ici il y a beaucoup de personnes spécialisées dans ce domaine. On passe beaucoup de temps non seulement à tester ce qu’on va faire à la prochaine course mais on s’appuie aussi sur les informations du dernier Grand Prix pour s’assurer que nos modélisations correspondent à la réalité

Josh Peckett, ingénieur de course d'Esteban Ocon

Les pilotes nouvelles générations sont devenus des développeurs pour ces voitures en constante évolution.

"Les pilotes sont en bout de chaîne mais en réalité ils sont toute la chaîne" analyse le PDG d’Alpine, Laurent Rossi. "Souvent je les appelle les directeurs du pilotage, pour leur donner une fonction comme aux autres. Ce n’est pas juste l’homme que l’on met dans la voiture et qui va passer la ligne même si c’est évidemment très important ! Mais ils sont dans toute la chaîne car ils nous donnent un constant retour d’information sur la performance de la monoplace".

Après une journée intense devant l’écran géant du simulateur Esteban Ocon repart vers de nouveaux cieux pour la prochaine compétition mais à Enstone les équipes continuent de travailler d’arrache-pied.

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Dans les coulisses de l'écurie Alpine F1 - épisode 2 ©France 3 Normandie

 On a l’impression que la F1 est un sport fait par peu de personne et dans l’immédiateté mais la réalité est tout autre. Une écurie c’est une véritable fourmilière où chacun tient un rôle précis sans tâche redondante

Laurent Rossi, PDG d'Alpine

Dans le centre technique d’Enstone, 800 collaborateurs d’une vingtaine de nationalités sont à pied d’œuvre pour concevoir, développer et fabriquer le châssis des 2 formules 1 de l’écurie.

Rob White est le directeur des opérations du site qui produit chaque année les 25 000 pièces nécessaires pour constituer une monoplace.

"Toute la formule 1 est une histoire de petits détails, d’optimisations multi paramètres. On est toujours en train de chercher à gagner un millième de seconde par tour et derrière ça il y a de la conception, du développement et de validation de pièces et de système très pointus".

La culture de l’exigence à toutes les étapes de créations. A l’image du volant, véritable ordinateur de bord des pilotes. Un condensé de technologie d’une valeur de 40 000 euros, du sur-mesure pour mettre Esteban Ocon dans les meilleures dispositions dès la grille de départ. C’est ce que nous explique Sam Merry, technicien électronique chez Alpine F1 team

"La forme du volant est capitale pour que le pilote réalise le meilleur démarrage possible…s’il est à l’aise avec ça on peut avoir l’espoir de faire un très bon départ"  

Aérodynamisme, poids, résistance sont au cœur des préoccupations des équipes Alpine. Mais la performance s’applique aussi à la sécurité, une priorité pour la Fédération et les constructeurs depuis 1994 et la mort d’Ayrton Senna.

Mick Butler est le monsieur sécurité d’Enstone, il nous présente une pièce en fibre de carbone d’une trentaine de centimètres, à priori anodine, mais qui peut sauver des vies.

"Quand il y a un impact, la pièce s’écrase d’abord rapidement puis ralenti progressivement et s’arrête avant le pilote de manière à limiter les dommages. Il y a une époque où beaucoup de pilotes mourraient en course, heureusement aujourd’hui c’est devenu très exceptionnel grâce à ce type de technologie que nous cherchons constamment à améliorer ".   

A notre grande surprise cette pièce est totalement assemblée à la main. Les robots de dernières générations n’ont pas éclipsé le geste de l’homme. Le savoir-faire et des dizaines de marteaux restent indispensables pour façonner ces pièces uniques. Une fierté pour le directeur de l’usine.

"Nos artisans sont capables de sortir des pièces de très haut niveau avec les mêmes exigences de précisions que des pièces usinées"

Artisans ou ingénieurs, tous œuvrent collectivement pour quelques heures de haute performance sur la piste. "A chaque fois qu’ils sont sur le circuit, c’est incroyable de voir la voiture rouler, de voir tout le travail qu’on a fourni sur la piste et qu’ils donnent le meilleur avec ce qu’on a construit" nous raconte, des étoiles plein les yeux, Alex Aitchison, jeune apprenti designer.

On ne peut pas décevoir ces personnes ! Je dois toujours être au top de ma forme, il faut toujours que je sois au top de mes capacités sur n’importe quel Grand Prix ! C’est pour cela que je travaille si dur, pour faire briller tous ces gens talentueux qui nous donnent cette belle arme en piste

Esteban Ocon, Pilote Alpine F1 Team

Une arme dont le moteur est conçu en France à Viry-Châtillon, un autre haut lieu de conception dédié à la performance de l’écurie Alpine.

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Dans les coulisses de l'écurie Alpine F1 - épisode 3 ©France 3 Normandie

Retour pour nous dans l’hexagone en région parisienne. Là-bas nous découvrons le pendant français du site d’Enstone avec l’usine moteur d’Alpine de Viry-Châtillon, où 400 personnes travaillent à l’élaboration de l’unité de puissance des voitures F1.

"L’unité de puissance c’est un moteur thermique auquel sont associés 2 systèmes de récupération d’énergies donc 2 moteurs électriques" nous détaille Bruno Famin, directeur exécutif de l’usine Alpine de Viry-Châtillon. " Aujourd’hui c’est vraiment la manière de récupérer et de restituer l’énergie qui devient extrêmement important au moins autant que la façon dont on brûle le carburant pour l’utiliser en énergie mécanique"

L’usine produit une cinquantaine de moteurs F1 par an. Selon la réglementation de la FIA (Fédération International de l’Automobile), 3 moteurs seulement pourront être utilisés sur chaque voiture de l’écurie pour réaliser l’ensemble des Grands Prix d’une saison. Les motoristes mènent désormais une nouvelle course, celle de la fiabilité.

"Il y une vingtaine d’années on produisait 400 ou 500 moteurs et on changeait de moteur à chaque séance d’essai, on est loin de cette époque ! On est arrivé sur quelque chose de beaucoup plus raisonnable et un moteur actuellement doit faire autant de kilomètres qu’une voiture qui gagne les 24h du Mans".

Pour tenir au moins 6 000 km par saison à haute intensité, les moteurs sont analysés ici avant, pendant et après chaque course. Pour se faire, l’usine dispose de plusieurs types de banc d’essais. Certains permettent de développer le moteur, d’autre de tester les performances, l’ultime étape consiste à valider sa résistance.

"Le challenge ici ,c’est de simuler ce qui se passe en piste pour qu’on puisse tester les pièces dans des conditions similaires à ce que nous allons vivre pendant la saison", explique Benjamin Bruel ingénieur d’essais de l’unité de puissance. "On va jouer avec des conditions chaudes ou froides, reproduire les conditions de pluie avec les niveaux d’hydrométrie pour être le plus représentatif possible. Il faut parfois savoir casser une pièce dans les mêmes conditions qu’un incident réel pour savoir ce qui s’est passé et résoudre le problème"

Des équipes aux petits soins pour ce concentré de technologie pouvant porter une F1 à plus de 350 Km/h. Le moteur d’1litre 6 n’est pourtant pas plus grand que celui d’une petite berline mais il est capable délivrer 1000 chevaux.

"On a cherché à compacter le moteur, à faire des formes d’échappements, de lignes d’admissions spécifiques de manière à optimiser son intégration dans l’auto et à obtenir la meilleure performance possible. Le lien entre Enstone et Viry-Chatillôn est donc très important. On ne peut pas faire d’un côté un moteur, de l’autre un châssis et assembler simplement les 2 ensemble et espérer que ça marche, ça c’était la F1 il y a 30 ans ! Aujourd’hui il faut tout intégrer ensemble pour optimiser". Bruno Famin rappelle ainsi que la clef du succès pour Alpine passe par la qualité de la collaboration entre les 2 sites d'Alpine F1.

On a vraiment raccroché le wagon des meilleurs constructeurs de moteurs en F1. Il y a seulement 4 fournisseurs en F1 et honnêtement on n’a peut-être pas le tout meilleur moteur mais on n’est pas un cran derrière comme on a pu l’être dans le passé 

Bruno Famin, Directeur exécutif de l'usine Alpine de Viry-Châtillon

4eme du classement constructeur en 2022 Alpine mise désormais sur ses 2 pilotes français pour franchir un nouveau palier.

Alpine une histoire normande

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Dans les coulisses de l'écurie Alpine F1 - épisode 4 ©France 3 Normandie

 

"En France la performance on dirait qu’elle est très normande aujourd’hui" constate le PDG du groupe. "On en est très content parce qu’on est énormément attaché aux racines d’Alpine".

 Un plaisir partagé par Esteban Ocon : "Je suis super fier de pouvoir travailler pour un grand groupe prestigieux et pour une marque normande". L’Ebroïcien retrouvera pour la saison 2023, Pierre Gasly le Rouennais, 2 pilotes de l’élite aux destins convergents.

"Ils ont le même âge, la même expérience en Grand Prix avec une centaine de GP au compteur, le même nombre de podiums, de victoires et de points accumulés dans leur carrière. Donc ils sont tous les deux incroyablement similaires, ce qui tombe bien car ça veut dire qu’ils sont performants quand on leur donne une monoplace".

Une histoire commune qui débute en karting sur le circuit d’Anneville-Ambourville. "Quand on était plus jeunes, on était très proches. On a commencé ensemble le kart, Pierre a fait ses premiers tours de roues avec moi ! A époque il jouait au foot et mon père lui a dit arrête le football t’es bien meilleur en kart ! " se souvient Esteban Ocon l’air amusé.  

Leur premier entraîneur, Didier Blot, savoure avec fierté le chemin parcouru par ses 2 protégés.

"C’est vraiment un truc incroyable ! Déjà c’est incroyable d’avoir entraîné 2 pilotes qui vont en Formule 1 ! Mais 2 pilotes qui se retrouvent dans une écurie française juste à côté de chez nous c’est improbable, ça tient du miracle !"

Lors de notre tournage à Enstone nous avons fait visionner à Esteban Ocon un message de Didier Blot lui remémorant quelques souvenirs. Son ex-entraîneur lui rappelait son abnégation en toutes circonstances, notamment lorsqu’il était le seul à rouler en karting sous la neige.

"C’est beaucoup d’émotions de le voir me dire ça. Je me rappelle de tous ces entraînements sur les petites pistes, il était là à chaque fois…quand il neigeait ou qu’il pleuvait... nous on sortait, alors que les autres enfants restaient à l’abri pour ne pas salir le kart…nous on y allait avec les gants et la combinaison de ski et même si ça piquait après, on revenait avec les mains bleues mais au moins on progressait. On a fait du chemin depuis mais on se rappelle toujours d’où on vient !"

Se souvenir des efforts et des sacrifices pour atteindre les sommets. En route Ocon et Gasly ont pris leur distance dans ce milieu hyper concurrentiel. On disait les 2 prodiges en froid, mais l’heure est désormais aux retrouvailles sous les couleurs d’Alpine.

 Ils savent tous les deux que tout le monde attend de voir s’ils vont s’entendre. Et s’il ne s’entendent pas, les perdants ce seront eux. A eux de montrer qu’à 26 ans ils ont grandi et qu’ils sont dans une phase de maturité qui va les faire passer de pilotes rapides à pilotes d’une écurie potentiellement championne du monde ! 

Laurent Rossi, PDG d'Alpine

"On a beaucoup de respect l’un pour l’autre et moi j’ai hâte de pouvoir collaborer de nouveau avec lui. Je pense que ça va être une super histoire qu’on va pouvoir écrire ensemble avec l’équipe" conclut Ocon.

Alpine s’est donné 100 Grand Prix pour prétendre au titre suprême. A l’horizon 2025 une écurie totalement française pourrait trôner sur la F1.    

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