Le 5 novembre, la France est passée en "risque élevé" à la grippe aviaire. En conséquence, le ministère de l'Agriculture a ordonné le confinement de toutes les exploitations avicoles de l'Hexagone. Certains éleveurs normands de volailles de plein air s'indignent d'une mesure qui pourrait durer.
Des volailles confinées neuf mois sur douze : telle est la crainte de plusieurs éleveurs normands estampillés "plein air", soutenus par la Confédération Paysanne. Pour faire face à la propagation de la grippe aviaire dite influenza en Europe, le Gouvernement a pris le 5 novembre un arrêté de mise à l’abri des volailles des élevages commerciaux et la claustration ou mise sous filet des basses-cours.
Alors que 130 cas de structures contaminées ont été détectés sur le continent, seules trois exploitations de l'Est ont pour l'instant été touchées en France. Les petits producteurs français estiment que les mesures prises par l'Etat sur tout le territoire répondent à un principe de précaution démesuré qui leur fait craindre l'éventualité d'une généralisation de l'enfermement des volailles durant toute la période migratoire, qui s'étale d'octobre à juin.
Tous confinés pour sauver le foie gras ?
Derrière ces décisions drastiques, le syndicat agricole minoritaire voit "la patte du lobby du foie gras", qui doit à tout prix éviter une contamination des élevages de canards, a fortiori à l'approche des fêtes de Noël. Pour pouvoir exporter ce produit phare de sa gastronomie, la France doit absolument avoir le statut de "pays indemne d'influenza", ce qui n'a pas été le cas entre novembre 2020 et septembre 2021.
L'industrie du foie gras a perdu 22% de sa production depuis le début de l'année car c'est dans le Sud-Ouest que les contaminations d'élevages se sont concentrées. Si quinze départements ont été touchés en métropole, 95% des foyers ont été recensés dans les Landes, le Gers et les Pyrénées-Atlantique, où environ 3,5 millions de volailles ont été abattues pour limiter la propagation du virus.
A la différence de nos fermes où les élevages sont autarciques, où les poulets grandissent et sont tués, les canards font quatre ou cinq élevages avant d'être abattus. Ca augmente les risques de propagation du virus, d'autant plus que ces structures industrielles concentrent une forte densité de bêtes, souvent appauvries génétiquement.
Peu ou pas touchés par les contaminations, les élevages bio, de plein air se sentent pris en otage par des mesures de précaution gouvernementales difficilement applicables sur le terrain. "On ne peut pas enfermer nos poules, s'exclame Denis Saulnier, éleveur à Condé-sur-Vire, nous n'avons pas les bâtiments pour les loger. Nos cabanes sont juste des abris nocturnes, en aucun cas disposés à confiner les volailles. Si on les enferme dedans, elles vont se marcher dessus, s'attaquer, vivre dans leurs excréments et finir par mourir d'écrasement ou de maladies".
"On ne veut pas tromper les consommateurs !"
Il y a une alternative au confinement : installer un filet de protection au-dessus des enclos. Une installation pas toujours réalisable compte tenu de la végétation. Une autre solution serait d'investir dans des bâtiments industriels pour loger les poules durant les périodes sensibles à la contamination à la grippe aviaire. "D'une, je n'ai pas l'argent pour, et de plus, ce n'est pas notre rôle, ni notre manière de travailler, poursuit l'agriculteur manchois. On a choisi le bio, le plein air. C'est un mode de vie par rapport à nos animaux, par rapport à nos clients, où on recherche une qualité de travail et de viande". Pour être à peu près dans les clous avec les autorités sanitaires, il a déjà réduit la taille des enclos de ses volailles. Mais en conséquence, il n'entre plus dans le cahier des charges très pointu des appellations "bio" et "de plein air". Qu'en serait-il s'il fallait effectivement enfermer ses bêtes ?
On ne veut pas mentir aux consommateurs ! On commercialise des poulets, des pintades, élevés en plein air, sur des grandes terres. S'ils sont enfermés les trois quarts du temps, l'appellation n'est plus valable. Ca change le goût de la viande, la forme de l'animal. Ca me pose un problème éthique, et aussi vis-à-vis des consommateurs. Il y a deux ans, on a mis des plan biosécurité en place. On a fait des formations, des aménagements pour se retrouver aux normes. Maintenant, s'il nous faut encore tout changer, je ne sais pas comment on peut faire.
Des discussions entre les éleveurs et les autorités sanitaires sont en cours pour trouver une solution viable. En attendant, les éleveurs ne respectant pas les dispositifs de lutte contre la propagation de la grippe aviaire s'exposent à des sanctions allant de l'amende à la fermeture administrive, sans oublier l'éventualité de ne toucher aucune indemnité en cas de contamination de l'élevage.