Les pêcheurs britanniques ont voté à 99% pour le Brexit, espérant retrouver l’usage exclusif de leurs eaux. Retour sur des décennies de relations tendues.
Les images ont fait le tour du monde. Août 2018, des navires anglais et français s'abordent en pleine mer. Les coques frottent, les insultes pleuvent.
Les pêcheurs français ne supportent pas de voir les bateaux anglais pêcher la coquille Saint-Jacques dans des zones où ils n’y sont pas encore autorisés. Ils craignent que leurs voisins ne pillent la ressource avant l’ouverture de leur saison.
Cet épisode illustre les relations parfois tendues entre professionnels de la mer des deux côtés de la Manche.
Reportage d'Erwan de Miniac
Depuis quand anglais et français se disputent-ils la mer ?
L'histoire pourrait remonter aux origines de la navigation et débute le long des côtes britanniques.Depuis toujours, c'est là où se trouve le poisson. C'est donc là que les pêcheurs français et notamment normands ont leurs habitudes.
"On a toujours toujours été pêcher au large des côtes britanniques" affirme sophie Leroy, vice-présidente du comité régional des pêches de Normandie. Les cordiers cherbourgeois y avaient notamment des bases avancées pour débarquer leur pêche qui était ensuite rapatriée par ferry.
Dans les années 60, à bord du Jacques Louise, Daniel Lefèvre, ancien président du Comité régional des pêches de Basse-Normandie, découvre le métier et les eaux anglaises. "On montait jusqu’à l’entrée du canal saint Georges (Pays de Galles). Un peu moins en Manche-Est puisque la tradition des cherbourgeois, c’était plus la Manche ouest." se rappelle-t-il.
Que dit la réglementation ?
En matière de pêche, la réglementation se met progressivement en place à partir du 19ème siècle. Les états réservent alors à leur flotte la zone jusqu’à 3 miles de leur côte (5 kilomètres et demi), soit la distance de la portée d’un canon.En 1964, Londres impose un accord plus restrictif.
Il interdit l'accès à ses eaux jusqu'aux 12 miles nautiques soit 22 kilomètres , sauf exception.
La convention crée en effet également une zone, toujours d'actualité, entre les 6 et les 12 miles nautiques anglais. Au cas par cas, selon leurs droits historiques, certains pays dont la France sont autorisés à y pêcher.
Un chalutage sous haute surveillance. "C’était pas de la rigolade, assure Daniel Lefèvre.
Donc les relations étaient assez épineuses.C’était encore avec les hommes armés, avec mitraillette, le déroutement vers la Grande-Bretagne, le jugement, la saisie plus les amendes
En 1973, l'adhésion du Royaume-Uni à l’Europe va permettre de réserver le reste de la Manche, au-delà des 12 miles nautiques, aux pêcheurs des pays membres.
Les tensions s’apaisent un peu mais quelques années plus tard, avec le développement de la pêche aux crustacés une nouvelle querelle va naître entre caseyeurs anglais et chalutiers français. La cohabitation est difficile. Les chaluts se prennent dans les casiers.
« On perdait du temps parce qu’on pêchait des casiers. Eux perdaient des casiers, perte de temps pour tout le monde. Ils appelaient leur marine et ils nous contrôlaient et à force de contrôle il y avait toujours quelque chose qui n’allait pas. » se rappelle l’ancien pêcheur.
"Je t'aime, moi non plus"
Les pêcheurs vont donc tenter de rejouer l'entente cordiale
Français et Britanniques ont alors appris à se parler.On s’est dit, il faut trouver une solution. Il faut que tout le monde travaille. Tout le monde a besoin de gagner son pain.
"Plutôt que de se taper sur la figure à coups de fusils ou à coup d’élingues ou à coup de canettes de bière quand on s’abordait, voire casser des bateaux, on s’est dit : on se met autour d’une table et on va essayer de trouver une solution à nos propres problèmes, à une seule condition : que l’administration et l’europe ne s’en mêlent pas. "
Mais les relations ne seront jamais à l'abri d'un nouvel échauffement, comme en 2012 autour, déjà, de la coquille Saint Jacques.
Cette fois, ironie de l'histoire, ce sont les Normands qui voient arriver leurs voisins dans les eaux tricolores. En vertu des directives européennes, les pêcheurs britanniques ont également accès toute l’année aux zones de pêche situées au-delà de 12 miles des côtes françaises alors que les Français ne s’autorisent pas à pêcher la Saint-Jacques entre le printemps et début octobre.
Pour Sophie Leroy, également patronne de l’armement cherbourgeois, cette attitude pénalise les chalutiers normands qui, eux, continuent de pêcher au large des côtes britanniques "parce que les anglais, quands ils voient arriver des bateaux français dans leurs 6-12 miles, ils disent : on va faire comme ils nous ont fait l’année dernière avec nos bateaux à la coquille, on va les virer, on va leur jeter des trucs … et c’est l’escalade".
L'après brexit ?
Avec le Brexit, tout est désormais remis dans la balance. Si les eaux britanniques devaient être interdites aux navires normands, c'est bien vers la Baie de Seine que les chalutiers iraient se reporter, en concurrence directe avec leurs collègues français.Les négociations qui vont s’ouvrir s’annoncent donc musclées. Les professionnels normands craignent de perdre leur droit de pêcher dans la zone des 6-12 miles anglais.
Ils ont toutefois un argument pour eux : 75% de la pêche britannique est exportée dans l’union européenne. Les professionnels normands espèrent bien que l’ouverture au marché européen leur permette de conserver un accès aux zones de pêche britanniques.
➡️ A revoir, notre édition spéciale pêche à la veille du brexit du 15 janvier
Richard Corbett, Député européen travailliste anti-brexit :
Les poissons ne respectent pas les frontières, c'est scandaleux
Les invités :
David Cormand, Député européen groupe Les Verts
Richard Corbett, Député européen travailliste anti-brexit
Stéphane Travert, député de la Manche, ancien ministre de la pêche