Suite à la révélation de nouveaux témoignages accusant de violences sexuelles l'Abbé Pierre, fondateur d'Emmaüs, l'organisme caritatif entend s'émanciper de la figure du religieux pour préserver sa mission. Mais la prise de distance est loin d'être évidente, tant le souvenir de l'abbé est partout.
La communauté de l'Emmaüs de Douvres-la-Délivrande (Calvados) panse ses plaies. Vendredi 6 septembre, 17 nouveaux témoignages de femmes ont été révélés par le cabinet Egaé, accusant de violences sexuelles l'Abbé Pierre, le fondateur de l'organisme caritatif, décédé en 2007.
Ces révélations viennent s'ajouter aux témoignages déjà rendus publics par Egaé en juillet. Le cabinet avait été chargé d'une enquête par Emmaüs et la Fondation Abbé-Pierre, une autre institution fondée par le religieux. L'abbé est accusé d'agressions sexuelles, notamment sur une enfant, de baisers forcés, ainsi que de masturbation et de fellation forcées. "Les faits décrits se sont déroulés des années 50 aux années 2000", note le rapport du cabinet.
Meurtrie par ces accusations gravissimes, l'antenne d'Emmaüs à Douvres-la-Délivrande entend s'émanciper de la figure de son fondateur, Henri Grouès de son vrai nom, pour se réinventer au nom de l'intérêt général.
"Un avant et un après"
"Évidemment, il y aura un avant et un après", évoque David Perual, le coresponsable de la communauté Emmaüs de Douvres-la-Délivrande. L'enjeu est de préserver la mission d'Emmaüs, qui tient des recycleries dans lesquelles elle emploie des personnes en situation d'exclusion.
Mais la prise de distance est loin d'être évidente, car l'Abbé Pierre est partout. Son portrait s'affiche en grand sur les murs et les camions dans les 117 lieux d’accueil que compte l'association en France. Même le slogan de la communauté, "de la rue à la vie", avait été soufflé par le père fondateur.
"Le mouvement ne se résume pas à un seul homme, veut cependant croire David Perual. Il est composé des bénévoles, des compagnons, des salariés. L'Abbé Pierre est mort depuis de nombreuses années maintenant et le mouvement perdure". "Dans notre société qui rencontre de grandes difficultés au niveau social, Emmaüs a toute sa place", affirme-t-il.
La communauté de Douvres-la-Délivrande, née il y a un demi-siècle, est l'un des lieux historiques de l'institution. Le château de Tailleville, où l'antenne a établi ses quartiers, a été acheté en 1973, quand l'abbé était encore la figure tutélaire. Jusqu'à la révélation des accusations de violences sexuelles, il y était admiré pour son combat en faveur des sans-abri et des précaires, mené jusqu'à sa mort, à 94 ans.
La question du souvenir du fondateur agite donc profondément la communauté. "Il ne faut pas que son nom disparaisse, quand on voit toute la misère qu'il y a partout dans le monde. Il a aussi fait des choses fabuleuses", avance Anne-Marie, une bénévole de l'association. "Je pense qu'il faut en parler, condamner. Mais il a fait quand même des choses bien, (...) il y a quelque chose derrière qui est important", juge Dominique, une cliente de la recyclerie.
"Dénoncer les actes intolérables"
Emmaüs France a d'ores et déjà annoncé qu'elle fera disparaître la mention "fondateur Abbé Pierre" de son logo. La Fondation Abbé-Pierre, l'autre œuvre du religieux, a fait savoir qu'elle sera rebaptisée. À Esteville (Seine-Maritime), où l'homme est enterré, le lieu de mémoire qui lui est dédié fermera ses portes avant la fin de l'année.
"Notre Mouvement sait ce qu’il doit à l’abbé Pierre. Il a inspiré nos organisations et les a incarnées durant de nombreuses années. (...) Nous sommes désormais confrontés à la douleur insupportable qu’il a fait subir", a déclaré l'association dans un communiqué, vendredi 6 septembre, ajoutant que "l’action au quotidien, si précieuse et nécessaire, serait entachée d’un malaise profond si rien ne changeait". "Emmaüs combat toutes les formes de violences. Sa place est donc celle de dénoncer tous les actes intolérables, quels qu’en soient les auteurs", termine le communiqué.