C'est l'un des plus gros succès de la bande-dessinée en 2021. Avec quatre de ses amis et confrères, le dessinateur Denis Bajram, installé à Bayeux (Calvados), a redonné vie au célèbre robot Goldorak, créé il y a bientôt 50 ans par Go Nagai. Un rêve pour les enfants des années 70-80 biberonnés aux émissions de Dorothée.
Dans son pays natal, on l'appelle UFO Robo Grendizer (Grendizer, le robot ovni). La série mettant en scène Actarus, le prince d'Euphor, ayant fuit sa planète ravagée par les forces de Vega à bord de Goldorak, a vu le jour au Japon en 1975. Et n'a pas forcément marqué les esprits contrairement à d'autres œuvres de Go Nagai, le concepteur (charadesigner) du robot géant, comme Devilman ou Mazinger Z (dont Goldorak est une série dérivée). En revanche, quand il débarque dans notre pays trois ans plus tard, le succès est bien plus important et marque le début d'une révolution culturelle : une véritable passion pour la culture "manga" (les séries animées dans un premier temps puis les véritables mangas, les BD, ensuite) en France.
En 1978, Denis Bajram a 8 ans. Et ce dessin animé apparu sur les petits écrans va en quelque sorte changer sa vie. "La première BD que j'ai faite, j'avais 10 ans. C'était un Goldorak de 20 pages, un peu moins bien que ce qu'on fait quand on est adulte", raconte le dessinateur dans l'atelier qu'il partage à Bayeux avec sa compagne Valérie Mangin, scénariste de BD (sur les Alix notamment). "C'est un rêve de gosse. Je dirais que j'ai fait de la bande dessinée pour pouvoir raconter des histoires de Goldorak. Pouvoir à 50 ans faire l'ultime histoire de Goldorak, c'est génial."
Avant de réaliser ce rêve, l'ancien étudiant des Beaux-Arts de Caen et des Arts déco de Paris s'est fait un nom sur la série "Cryozone" scénarisée par Thierry Cailleteau avant de se lancer, tout seul (dessin et scénario) sur sa grande œuvre, la saga Universal War (qui connaitra une publication aux USA chez Marvel). Un gigantesque projet qui doit, à terme, comprendre pas moins de 18 tomes (la série est à mi-parcours). Et qui a pris un peu de retard à cause d'un robot géant.
"Je ne me sens pas capable de le faire tout seul"
"L'idée, elle apparait chez le scénariste Xavier Dorison. Il m'en parle à moi parce qu’il sait que je suis comme lui, très fan de Goldorak. Mais moi je ne me sens pas capable de le faire tout seul", raconte Denis Bajram. "Goldorak, déjà, il y a une culture manga dedans. Et la manière de présenter les personnages dans le manga ou le dessin animé japonais, c'est très différent de ce qu'on fait ici. Ce n’est pas une histoire de gros yeux et de petits nez. C'est qu'il y a une manière d'animer les personnages qui est vraiment particulière à la culture du Japon et je ne me sentais pas capable de le faire. Donc Brice Cossu est arrivé sur le projet au départ pour rapporter cette culture-là parce qu'il est plus jeune et lui il a appris à dessiner avec ses codes là." Mais l'équipe n'est pas encore au complet pour un projet aussi ambitieux.
Dans l'atelier bayeusain, de multiples objets, figurines, tasse, jouet mais aussi calendrier "des PTT" d'époque témoignent de la passion d'enfance du dessinateur pour le "formidable robot des temps nouveaux" (les anciens reconnaitront le tout premier générique français chanté par Noam).
Mais avec l'âge, les centres d'intérêt de Denis Bajram ont évolué. " (Dans Goldorak) il y a un côté SF beaucoup plus fun que ce que je fais habituellement. Moi, je fais de la hard science, de la science-fiction assez scientifique et Goldorak, c'est des ovnis et des extraterrestres avec des pointes à la place des oreilles. Donc on est on n'est pas du tout dans la même SF. Et ça, Alexis Sentenac, il a ce sens de la SF comme ça. J’ai donc proposé à mes deux camarades d'atelier virtuel de se joindre à moi au dessin. Et puis finalement il y a un coloriste assez génial (Yohann Guillo) qui est venu sur le projet. Et on se retrouve à cinq."
Cinq auteurs en fusion
Comme Actarus qui fusionne avec son robot, les cinq mousquetaires ont mêlé leurs stylos et leurs pinceaux (même s'ils travaillent sur ordinateur) pour raconter cette histoire se déroulant plusieurs années après l'épilogue de la série animée. Le prince d'Euphor et sa sœur Vénusia sont repartis depuis longtemps sur leur planète d'origine. Pour les humains, les forces de Véga ne sont plus qu'un lointain souvenir. Mais soudain, un gigantesque golgoth, sans doute le plus puissant jamais vu, surgit sur la planète bleue. "Sur le projet, on ne sait plus qui a fait quoi. On s'est fusionné dans un seul auteur et je dirais même qu'avec le scénariste Xavier Dorison, comme j'ai travaillé sur l'histoire avec lui, j'ai l'impression que cette histoire est autant de moi que de lui- même si c'est lui qui a fait le gros du travail d'écriture - et j'aurais du mal à distinguer ce qui est de lui ou de moi. Là on est arrivé au niveau de fusion qui est assez rare."
"D'habitude on est chacun à son poste. Il y en a un qui fait que le scénario, il y en a un qui fait éventuellement les décors, un qui fait les personnages. A son arrivée, Brice Cossu devait faire les personnages et puis finalement il a tout fait. Moi, je ne devais pas faire les personnages manga et à l’arrivée je les ai faits comme tout le monde. On a fusionné, on est devenu un seul auteur et aujourd'hui je me sens à l’aise avec les personnages de culture manga, qui au début me faisaient peur. Et Brice, qui ne voulait pas au départ dessiner des robots géants, en dessine comme s’il avait toujours fait ça."
Adoubé (et contrôlé) par le papa de Goldorak
A la sortie de l'album, le père de Goldorak a exprimé dans une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux son admiration pour la travail accompli par les cinq Français. "On était adoubé depuis le départ parce qu'il nous autorisait à jouer avec son Goldorak. On ne se lance pas dans ce genre de projets sans l'autorisation du patron", prévient Denis Bajram, "Il a suivi tout le projet. Toutes les étapes ont été validées au Japon : scénario, storyboard, encrage, couleur et même tout ce qu'on a fait en marketing. On est sur quelque chose qui est ultra validé. Mais le fait qu'il nous envoie un message personnel en disant que lui, en tant qu'être humain, il avait aimé lire ce bouquin - qu’on lui avait traduit en japonais- bah voilà, c'est magique évidemment. Je ne pouvais pas rêver mieux et je pense au petit garçon de 10 ans que j'étais. Si on lui avait dit que le le créateur de Goldorak allait l’adouber, ben il aurait dit : j'y vais, je veux devenir auteur de BD, ça vaut le coup !"
A cette reconnaissance du créateur originel s'ajoute celle du public. Le Goldorak de Bajram, Dorison, Cossu, Sentenac et Guillo a terminé à la quatrième place des bande-dessinées les plus vendues l'an dernier en France. Près de 200 000 exemplaires écoulés fin décembre. Et un nouveau tirage équivalent lancé en début d'année. "Moi, je fais partie des gens qui ont eu du succès dès le départ donc j'ai je dirais que je n’ai pas être récompensé, je l'ai déjà été. Je dirais que ça paye aujourd'hui du fait qu'on a passé sept ans à faire ce Goldorak. En temps cumulé, en mettant le travail tout le monde (bout à bout), c'est sept années de boulot. C'est énorme pour un album de BD ! Et le fait que le public, comme le créateur d'origine, soit aussi heureux d'avoir cet album, ouf ! Si les gens nous avaient dit : “ouais bon c'est pas mal”, ça aurait gâché totalement le plaisir que nous on avons eu à faire ce livre."
One shot ! Et pas un de plus
Un tel succès pousserait beaucoup à envisager une suite. Pas Denis Bajram et ses collègues. "Non", répond catégorique le dessinateur quand on évoque la possibilité d'un tome 2. "Déjà, ça a été un exploit de pas s'engueuler entre auteurs en faisant ce genre de livre. Et puis là aujourd'hui, tout le monde aime ce livre. On a des critiques positives d'Arte et et aussi du du lecteur lambda ou des gens qui parfois n'ont pas entendu parler de Goldorak depuis 30 ou 40 ans. Avoir un livre qui plaît à tout le monde, comme ça, c'est magique. Franchement, prendre le risque de voir si avec le 2 il va y avoir des déçus, je ne préfère pas. En l'occurrence, mes quatre camarades pensent exactement la même chose donc il y n’aura pas de Goldorak 2."
Depuis le 2 juin, la maison de la culture d'Amiens propose une exposition intitulée "De Goldorak à Goldorak". Elle revient sur les coulisses de cette résurrection du robot géant mais retrace également tout le parcours de Denis Bajram. La boucle étant bouclée, le dessinateur bayeusain va pouvoir revenir à des travaux peut-être plus personnels comme la saga Universal War dont les fans attendent depuis longtemps le dixième volume (le tome 4 de la saison 2). "J'ai été en retard parce que je me suis pas mal occupé de la cause des auteurs (il a été président de la ligue des auteurs professionnels, après avoir, auparavant, lancé plusieurs association de défense des auteurs). Et puis après, Goldorak a pris quelques années. Mes lecteurs peuvent être rassurés : Il y aura un Goldora…", et Denis Bajram de partir dans un grand éclat de rire. "Il y aura un Universal War II tome 4, bientôt."