L'oeuvre millénaire est souvent - et abusivement - présentée comme la première bande-dessinée de l'histoire. Un site internet permet désormais à chacun de tisser sa propre histoire à la mode médiévale. La viralité du web fait le reste. A l'ère du tout-image, la tapisserie vit une deuxième jeunesse.
Faut-il y voir une nouvelle conséquence de "l'affaire du prêt" ? Depuis l'annonce d'un possible voyage de la tapisserie de Bayeux au Royaume-Uni, ce long ruban de lin n'a jamais été aussi tendance. "On nous demande souvent nos supports numériques pour des magazines, des illustrations. Et les demandes viennent du monde entier, sourit Loïc Jamin, maire-adjoint de Bayeux en charge du tourisme et des musées. Tout le monde s'intéresse de nouveau à la tapisserie". La fréquentation du musée est d'ailleurs en forte hausse cette année.
Le web, toujours à l'affût de fraîcheur et de nouveauté, s'en est fort logiquement emparé. Un site internet permet aujourd'hui à l'internaute de composer une image à la manière de la tapisserie de Bayeux. Il suffit de cliquer pour choisir des personnages, des animaux, des constructions. À chacun ensuite d'écrire sa légende (mais qui peut égaler Guillaume ?) : le lettrage médiéval est si nouveau qu'il n'est toujours pas disponible sur les logiciels de traitement de texte ! Puis, l'image peut être enregistrée pour vivre sa vie sur internet. Et elle est forcément courte. Les plus réussies sont promises au buzz : elles auront leur petite gloire éphémère. Les autres finiront noyées dans le réseau : sitôt postées, déjà oubliées.
"Il n'y a rien de vraiment nouveau à cela, observe le musée de la tapisserie. Un site permettait déjà de fabriquer des images semblables il y a quelques années". Les trois développeurs qui ont élaboré cet Historic Tale construcion kit expliquent que la première version du site élaborée par des étudiants allemands n'était plus accessible. Ils ont donc décidé de lui redonner vie. Le code est aujourd'hui librement accessible. Il ne pourra plus disparaître.
La tapisserie, éternel instrument de propagande
La tapisserie de Bayeux est depuis longtemps reproduite sur tous les supports imaginables. "On l'a même vue sur des pots de moutarde !" rappelle-t-on au musée. Le ruban de lin, sans doute tissé par des moines anglais au XIe siècle, est une oeuvre universelle. "Elle est dans le domaine public. L'état en est le propriétaire. la ville de Bayeux est chargée de la conserver et de l'exposer. Mais l'image n'est pas protégée, explique Loïc Jamin. Nous sommes spectateurs de l'usage qui en est fait".
En Irlande-du-nord, la tapisserie de Bayeux vient par exemple de rencontrer Game of Throne. L'office de tourisme local a en effet entrepris de raconter la célèbre série sur un long ruban de tissu afin de promouvoir la tradition irlandaise du tissage. Chaque nouvelle saison a donné lieu a un patient travail habilement relayé sur internet. "On est d'ailleurs en contact avec eux pour essayer de faire venir cette tapisserie chez nous" annonce l'adjoint au maire de Bayeux.
— Les belles tapisseries autogérées (@Belletapisserie) 12 avril 2018
Les réseaux sociaux, qui se délectent des détournements en tous genres, ont aussi trouvé dans ce monument de tissu un formidable terrain de jeu. Sur twitter, un compte baptisé les belles tapisseries autogérées croque l'actualité des conflits sociaux. La fête à Macron, les occupations d'université, la grève des cheminots, chaque image est un éditorial qui n'a de médiéval que l'aspect. "On peut regretter ces détournements à des fins partisanes, déplore Loïc Jamin. Mais après tout, c'était à l'origine une oeuvre politique. Il n'y a donc rien d'étonnant à cela !" La tapisserie a été tissée sur mesure pour notre époque.