"Vends droit à produire, 300.000 litres, 220 euros la tonne". Depuis plusieurs mois, ce genre d'annonce se multiplie sur le site internet Le Bon Coin émanant
de producteurs de lait frappés par la crise qui sévit dans la filière, des transactions qui inquiètent des responsables syndicaux
8 mois. "J'allais droit dans le mur", justifie cet homme, qui tient à garder l'anonymat.
Si on décide de vendre, c'est que le prix du lait est tellement bas qu'on ne s'en sort plus
témoigne de son côté Nathalie, productrice en Normandie.
Depuis plusieurs semaines, nombre de producteurs manifestent leur colère, assurant qu'ils travaillent à perte, leur prix de vente étant inférieur à leur coût de revient. Pour Nathalie et son mari, la page du lait va se tourner: ils ont décidé de céder leur contrat, portant sur 250.000 litres par an. Lui va continuer dans la viande.
"Et moi, j'irai chercher du travail à l'extérieur", confie Nathalie, 42 ans, installée depuis 15 ans dans l'Eure.
La mise en place d'un contrat --un droit à produire-- entre un producteur de lait et un groupe industriel qui le transforme en produit fini, a été instaurée par la loi de modernisation de l'agriculture de 2010. Dans le contexte de la fin des quotas laitiers, il s'agissait de formaliser une relation commerciale durable, avec un double enjeu: "stabiliser le revenu des producteurs en leur assurant par contrat un débouché pour leur lait, tout en garantissant aux entreprises de transformation un approvisionnement ajusté à leurs débouchés", souligne un rapport de décembre 2015 du Conseil général de l'alimentation et de l'agriculture.
De plus en plus d'éleveurs vendent leur ancien "quotas", les contrats de producteurs qui les lient aux coopératives. Seulement juridiquement ces ventes sur le bon coin risquent de n'avoir aucun caractère légal.
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©France 3 Normandie
Reportage dans le Bessin de T Cléon et C Duponchel. Intervient Philippe Marie responsable de la section lait FDSEA du Calvados
Reste, explique-t-on à la FRSEA de l'Ouest, que si la durée du droit à produire et le volume à livrer sont déterminés, le prix lui, ne l'est pas. Or le prix, revu mensuellement, est depuis plusieurs mois orienté à la baisse, conséquence, entre autres, de la surproduction européenne et de la fermeture de certains marchés internationaux.
Suite de nos directs au salon de l'agriculture avec des éleveurs de vaches normandes posez vos questions.🐄🐄🐄🐄🐄🐄
Posté par France 3 Normandie sur mercredi 2 mars 2016
De 365 euros les 1.000 litres en moyenne sur l'année 2014, le lait est passé à 305 euros sur l'année 2015, selon la Fédération nationale des producteurs de lait. Et aujourd'hui, il tourne autour de 270-280 euros les 1.000 litres, selon son secrétaire général, Pascal Clément.
"Nous, on a fait des investissements, notamment pour la mise aux normes, et on a encore des remboursements de prêts, témoigne Nathalie. Le problème, c'est le prix du lait. C'est ça qui nous plombe", dit-elle.
Ces ventes sur Le Bon Coin, quelquefois pour 220 euros les 1.000 litres, "ça sent le désespoir et les dernières armes qui restent à ces producteurs" acculés financièrement, commente François Lucas, vice-président de la Coordination rurale. "C'est un peu
une bouteille à la mer".
"Donc ils trouvent une opportunité en vendant leur contrat", explique Pascal Clément, par ailleurs vice-président de la FRSEA Ouest. Les acheteurs ? "Des producteurs qui pensent qu'en augmentant leur volume, ils vont accroître leur marge". "Mais, poursuit-il, c'est un non-sens économique" : dans un marché en crise, "les éleveurs laitiers souffrent et c'est donc une charge supplémentaire quand ils achètent des droits à produire".
Ces transactions de gré à gré "nous inquiètent fortement", confie Pascal Clément qui, comme François Lucas, s'interroge sur cette "situation bancale juridiquement", selon le responsable de la Coordination rurale. Car le vendeur "vend quelque chose qu'il n'a pas acheté"..
Enfin, la transaction est soumise "à l'accord" du transformateur, qui pourrait, prévient Pascal Clément, "voir un intérêt dans la concentration chez les plus puissants". Une concentration qui conduirait à la baisse du nombre des collectes, qui sont à la charge de l'industriel. Avec, à terme, la perspective d'une "désertification laitière", avertit François Lucas.