"Du deuil à l'enthousiasme", le réchauffement climatique contraint Caen à repenser l'ambitieux projet de sa Presqu'île

Projet phare de l'agglomération de Caen-la-Mer depuis 15 ans, le développement immobilier de la Presqu'île a du plomb dans l'aile. La copie des aménageurs doit être revue intégralement à cause du dernier rapport du GIEC, qui table sur une montée des eaux bien plus rapide que prévu.

En début d'année, le rapport du GIEC est tombé comme un coup de massue sur les mondes politique et immobilier caennais. D'ici à 2100, l'élévation du niveau de la mer pourrait rehausser de 80 cm à un mètre le niveau des cours d'eau.

"Le niveau de la mer qui augmente, c'est aussi le blocage des écoulements fluviaux, l'élévation du niveau des nappes phréatiques, des périodes de crues plus difficiles à gérer", explique Stéphane Costa, coprésident du GIEC normand. "Évidemment, l'estuaire de l'Orne ne serait pas épargné par ces phénomènes". 

Si le scénario envisagé par les experts du climat devait se réaliser, près d'un quart de la Presqu'île de Caen se retrouverait submergé, selon la carte réalisée par le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM). Ce serait un désastre pour la municipalité de Caen, qui misait gros sur la parcelle entourée d'eau pour repeupler et dynamiser la ville. 

Car le plan de reconquête de la Presqu'île, initié au début des années 2010 était aussi ambitieux que porteur d'espoir. 300 hectares répartis sur trois communes (Caen, Hérouville-Saint-Clair et Mondeville), 4 000 logements, 40 000 m² d'activités économiques. En somme, un nouveau poumon démographique et économique au cœur d'une ville qui ne cessait alors de perdre des habitants. 

Les politiques temporisent, les promoteurs dans l'expectative

Officiellement, le projet d'aménagement du quartier du nouveau bassin est juste suspendu, dans l'attente de nouvelles études initiées en août, qui devraient être rendues à la mi-2025. "C'est nous qui avons décidé d'appuyer sur pause, bien que nous avions tous les feux verts", détaille Emmanuel Renard, vice-président de Caen-la-Mer, chargé de l'aménagement et du foncier. "On devait signer avec les promoteurs mais on s'est dit qu'il fallait d'abord vraiment comprendre comment fonctionne le système hydraulique de la basse vallée de l'Orne avant de s'engager. Le PPMR (plan de prévention multi-risques) posait les risques d'élévation du niveau de la mer, et ceux d'inondation mais il ne les additionnait pas. Donc il fallait qu'on ait une étude là-dessus.".

L'élu met en avant la responsabilité de ce choix. "Nous ne voulions pas prendre de décision d'action publique qui expose de manière supplémentaire aux risques un espace majeur, à proximité directe du centre-ville". Il concède aussi qu'il faudra sans doute revoir à la baisse l'ambitieux projet initial de la ZAC du Nouveau Bassin et ses 2500 logements.

Les promoteurs ont bien compris notre décision. Certes, ils étaient déçus, mais mieux vaut qu'ils soient déçus maintenant que dans deux ans lorsqu'ils auront déjà engagé beaucoup d'argent.

Emmanuel Renard, vice-président de la Caen-la-Mer, chargé de l'aménagement et du foncier

Dès lors, que faire ? Sans nul doute, retravailler les programmes immobiliers, car les promoteurs qui avaient raflé les marchés ne se font plus d'illusions sur la faisabilité des projets initiaux. Pas plus que les gestionnaires du projet. "Quand on me l'a dit, au début, je n'y ai pas cru. On ne va pas se mentir, c'était douloureux, comme une période de deuil", relate Thibaud Tiercelet, directeur général de la SPLA Caen Presqu'île. Compréhensible, pour quelqu'un qui planche sur le développement de la parcelle depuis près d'une décennie.

D’autant plus qu'après six ans de démarches administratives, une phase plus concrète devait démarrer ces mois-ci. "Ça a été difficile pour moi, comme pour les promoteurs, mais en même temps, on est tellement content de ne pas être allé plus loin et de se retrouver dans des situations juridiques invraisemblables". En somme, tout le monde est rassuré d'avoir pu éteindre la machine avant qu'elle ne soit lancée.

Rassuré, et même finalement enthousiaste à l'idée de redessiner un plan de bataille complètement novateur. "Il faut qu'on invente une forme d'occupation de l'espace, un nouveau cadre juridique et d'urbanisme pour mettre en avant cet espace pour rendre service à la ville. De toute façon, on a toujours conçu le projet comme résilient, innovant, en prise avec les défis écologiques d'aujourd'hui et de demain", rappelle Thibaud Tiercelet.

La Presqu'île de Caen, pionnière mondiale ? 

Au lieu d'avoir un scénario de constructions qui vont durer un siècle ou plus, il faut désormais penser à "de l'urbanisme transitoire, plus éphémère. Des choses sur 40 à 50 ans. Peut-être un plan jusqu'à 2070, et on reverra la copie après en fonction de l'évolution de la situation", détaille Emmanuel Renard. 

Plusieurs études ont été diligentées pour savoir si le cas de figure caennais a déjà été traité quelque part. Et si des solutions existent ailleurs. Ailleurs en France, mais aussi ailleurs au monde. Car il n'est pas exclu que Caen devienne pionnier en la matière au niveau planétaire, car si des projets similaires existent en littoral, on n’en trouve pas, ou peu, en intérieur d'estuaire.

Touchée, pas encore coulée, la ZAC du Nouveau Bassin n'a pas dit son dernier mot. Après les doutes des derniers mois, l'espoir est de mise pour l'avenir. En attendant, la dépollution des anciens sites industriels se poursuit, tout comme l'aménagement du Parc des Rails, un poumon vert d'1,7 hectares, et la réhabilitation des grues portuaires. 

Non loin de là, sur la parcelle déjà urbanisée de la Pointe Presqu'île, la construction de l'école d'Ingénieur ISEN prévue pour 2026 n'est pas remise en cause. Toutefois, à l'avenir, il faudra trouver des moyens de protéger ce quartier menacé où sont aussi implantés la Bibliothèque de Tocqueville, le tribunal et des immeubles d'habitations.

Tandis qu'à l'autre bout de la Presqu'île, côté Hérouville-Saint-Clair, l'écoquartier Archipel s'apprête à sortir de terre. La parcelle étant surélevée par rapport au niveau de la mer, le projet n'est pas remis en cause. Un soulagement et un souci en moins pour les élus, les bâtisseurs et les futurs habitants de l'agglomération de Caen-la-Mer.

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