La ville d'Ifs (Calvados) est propriétaire depuis juin 2024 d'une parcelle de 4000 m2 sur la Lune. Vraiment ? Explications.
La Normandie : ses fromages, ses paysages côtiers et... son enclave lunaire ? Vous l'ignorez peut-être, mais la Lune compte depuis juin 2024 un territoire de 4043 m2 sous pavillon normand. N'y voyez ni une intervention régionaliste de Thomas Pesquet – lui-même Normand – ni une mission spatiale secrète du conseil régional. Il s'agit en réalité d'un cadeau insolite offert à la ville d'Ifs, dans le Calvados, par la commune de Niederwernn (Bavière). Mais la ville est-elle réellement propriétaire d'un territoire sur la Lune ?
"Nous avons tous été surpris par ce cadeau"
La bourgade de 11 980 habitants a eu la surprise de recevoir un certificat d’émission d’une parcelle équivalente à un terrain de football sur la face éclairée de la Lune. C'est la ville allemande de Niederwernn, avec qui Ifs est jumelée depuis 32 ans, qui est à l'origine de ce présent peu banal. "Nos amis allemands sont toujours très originaux dans les échanges de cadeaux pour lesquels ils portent beaucoup de soin, évoque le Maire d'Ifs Michel Patard-Legendre. Après des transats personnalisés en 2022, le cadeau 2024 s'inscrit d'ores et déjà dans l'histoire des échanges du jumelage : "Nous avons tous été surpris par ce titre de propriété de la Lune !", ajoute l'édile, venu pour sa part avec un panier gourmand et une peluche Phryge.
Le certificat, qui s'accompagne d'un zonage et d'un numéro de parcelle, a été émis par la société allemande Mondland. Sur son site internet, l'entreprise spécialisée en titres en tous genres (lord en Irlande, oliviers de Toscane, comètes et météorites) revendique "vendre la propriété la plus folle de notre époque : la Lune".
Pour devenir "un propriétaire foncier majeur" sur l'astre sélène, il vous en coûtera 64 euros les 177 âcres (0.7 km2). "Grâce à une lacune juridique dans le Traité sur l'espace extra-atmosphérique des Nations Unies, il est possible pour des particuliers et des entreprises de posséder des biens immobiliers sur la Lune. Les droits miniers sont également inclus dans la propriété lunaire si votre concession contient des ressources minérales" poursuit la société, dans une mise en scène douteuse.
Viser la Lune, ça ne fait pas peur aux promoteurs
Au-delà du clin d'œil loufoque, peut-on réellement posséder un morceau de Lune ? "C'est impossible, tranche d'emblée Valentin Betting, juriste spécialiste du droit de l'espace chez Exotrail. La Lune ne peut faire l’objet d’appropriation nationale par proclamation de souveraineté, ni par voie d’utilisation ou d’occupation, ni par aucun autre moyen", expose le juriste, en citant l'article II du Traité sur l'Espace de 1967.
Cet accord, promu par les États-Unis et l’URSS au plus fort de la course à l'espace (et ratifié par 113 pays dont fait partie la France), stipule que la Lune n'appartient à personne. Mais les entreprises de propriété lunaire se sont engouffrées dans un flou juridique : si le traité s'applique bel et bien aux Etats signataires, qu'en est-il des particuliers ? Rien ne semble empêcher un acteur privé d'en revendiquer la propriété.
Le premier à avoir exploité cette faille est le désormais célèbre Dennis Hope. En 1980, l'Américain – en plein divorce et au chômage – cherche à remonter la pente financièrement. Après s'être renseigné sur le Traité sur l'Espace, ce dernier a envoyé une lettre aux Nations Unies, annonçant posséder la Lune et neuf autres planètes. L'entrepreneur, ne manquant pas d'idées, a ensuite fait part de son souhait de les parceller pour en vendre leur surface. Depuis, c'est ce qu'il fait. Ce business juteux lui a rapporté plus de 9 millions d'euros ! Et sa société compte parmi ses clients des célébrités, à l'image de Tom Cruise, de Nicole Kidman, de trois présidents américains (Jimmy Carter, Ronald Reagan et George W. Bush) ou encore des hôtels Hilton et Marriott.
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"Ça reste une chimère juridique, une fantaisie, balaye Valentin Betting, passé par l'Agence spatiale française. Les États endossent la responsabilité de faire respecter ce traité par les organismes gouvernementaux ou par des entités non-gouvernementales. Cela concerne donc les villes par exemple. Malheureusement, Ifs ne sera pas propriétaire de cette parcelle, pas plus que Dennis Hope".
De nouveaux programmes spatiaux sur la Lune
Reste encore que la tendance voit se multiplier depuis plusieurs années les sociétés proposant de donner son nom à une étoile ou d'acheter une parcelle de planète."Ça n'a aucune valeur puisque le certificat d'authentification n'est valable qu'auprès de la société commerciale qui l'a émise. Mais ça témoigne d'un intérêt grandissant du grand public pour la Lune, lié à un retour en force des programmes spatiaux américains et chinois", évoque Nicolas Simon, directeur du planétarium Ludivers, dans La Hague.
You know what they say: Artemis rocks! 🪨
— NASA Goddard (@NASAGoddard) November 30, 2024
Celebrate the two-year anniversary of the #Artemis I mission and learn about the people driving @NASA’s lunar exploration into the future with #NASAExplorers: Artemis Generation.https://t.co/0t5koSGHc0 pic.twitter.com/ik9dXDbEt2
Les ambitions démesurées du milliardaire Elon Musk, propriétaire de Space X, et le développement de premiers vols commerciaux ont réactivité l'intérêt porté à l'astre sélène. Le milliardaire américain envisage d'envoyer des astronautes sur la Lune en 2025 dans le cadre d'un accord avec la Nasa. Une première depuis 1972. Plusieurs projets de vols commerciaux sont également en cours de développement. "On a beaucoup de questions à ce sujet au planétarium et on a organisé plusieurs animations sur la Lune récemment", ajoute Nicolas Simon.
Si le cadeau de la ville d'Ifs n'est pas réaliste, il n'en reste pas moins un joli témoignage d'amitié entre les deux communes. Il faudra en revanche encore patienter avant de voir le drapeau normand flotter sur la Lune.