C'est l'incertitude et la colère à l'Université de Caen. Peu d'information sur la future rentrée universitaire et beaucoup d'inquiétude notamment sur l'organisation du premier semestre où seuls 20 % des cours auraient lieu en " présentiel."
Alors que timidement, les lycées et les collèges vont accueillir de nouveau des élèves, c'est l'incertitude qui prévaut du côté des universités. Comment se profile la rentrée universitaire? Quand aura-t-elle lieu? " Nous ne savons absolument rien de rien" , explique Lara Lemaire, étudiante élue au conseil d'administration de l'université et au CROUS. " La fac a fermé mi-mars, on a passé nos partiels à distance comme on a pu et nous n'avons aucune information sur l'année qui s'annonce, nous sommes très inquiets".
Côté présidence de l'Université, on évoque aussi l'absence d'informations précises , en attendant, on travaille sur des "scénarios" répondant aux consignes nationales du Ministère de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche. "Pour respecter les mesures sanitaires, 20 % des enseignements se feraient en présentiel et 80 % en distanciel sous forme de visioconférences ou cours à distance", explique le président de l'université de Caen, Pierre Denise, université qui accueille habituellement près de de 30 000 étudiants. " Attendu qu'une place seulement sur cinq serait utilisable, les cours magistraux pourraient être proposés aux étudiants à distance afin d’éviter des amphithéâtres bondés, avec des étudiants en présentiel qui y seraient par rotation. On verra comment organiser les Travaux Dirigés, nous réfléchissons à des enseignements de remédiation pour suivre les élèves".
" C'est tout simplement hors de question qu'on nous impose ça, que les choses soient claires, j'organiserai mes cours en pleine ville ou dans un champ s'il le faut mais je ne me résouds pas à faire cours par visio à la quasi totalité de mes étudiants" , tranche Frédéric Lemarchand, professeur de sociologie au Centre de Recherche Risques et Vulnérabilités. Et de s'interroger : "Depuis la mi-mai, un déconfinement progressif a lieu partout, en tenant compte de la présence persistante du virus. L'Université ne semble pas concernée ! "
" Je redoute un décrochage important pour les premières années notamment: ce sont les terminales qui n'ont pas eu de cours depuis mi-mars et qui vont devoir découvrir l'enseignement supérieur via des cours à distance . On sait que pédagogiquement, il est important qu'un cours soit un cours incarné, qu'un transfert ait lieu. On nous met devant le fait accompli, sans consultation, sans négociation" explique de son côté Patrick Vassort, maître de conférences en sociologie à l'UFR Staps. Ce dernier a cosigné dans une tribune sur Médiapart sa vision du recours au numérique comme outil pédagogique.
"Finalement, le vieux fantasme de l'enseignement numérique à la place des hommes, cette lubie des ministères qui existe depuis une vingtaine d'années trouve dans l'épisode du Covid un formidable tremplin, sans négociation, sans réflexion, cela accélère la casse de l'Université", poursuit Fréderic Lemarchand."Il reste à découvrir si, malgré tout, éduquer grâce à une pédagogie numérique est majoritairement efficace pour les élèves et étudiants. Et c’est ici que Blanquer et tous ses amis font œuvre de sorcellerie. En effet, désormais, tous les rapports sont à peu près d’accord, qu’ils soient effectués par des institutions indépendantes ou officiellement liés aux institutions politiques dominantes : le travail sur ordinateur non seulement détruit les capacités intellectuelles mais, de plus, induit des pathologies dangereuses pour l’avenir des individus. Les retards par manque de stimulation, par manque d’échanges et de présences humaines, les retards de développement cognitif, les retards orthophoniques, le développement de l’hyperactivité ou des troubles autistiques, les perturbations de l’attachement et l’engourdissement de la pensée, les addictions…, sans parler de la puissance commerciale intrusive, « invasive », de ces dispositifs (outils de visio-conférences par exemple)." Médiapart, Collectif Illusio
Il y aussi les professeurs qui vont devoir faire preuve de beaucoup mais beaucoup d'imagination. " La rentrée va être très complexe chez nous en STAPS (Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives ) où la pratique sportive représente une large part des 19 000 heures de cours par semestre ...Nous sommes très très inquiets, je ne le cache pas , la communication directe est au coeur de nos apprentissages"explique de son côté Philippe Breysacher, responsable de la commission Apsa à l'UFR Staps de Caen.
Des conséquences en avalanche
" Ce qui est clair, c'est que dans la configuration de rentrée imaginée, les familles vont y réfléchir à deux fois avant de prendre un appartement pour leurs étudiants. Quel intérêt en effet avec toutes ces incertitudes de consacrer un budget conséquent pour des études dont les trois quart du contenu n'auront pas lieu en présentiel? Je m'interroge aussi sur l'avenir du Crous et ses 4000 lits, le restaurant universitaire, si le nombre d'étudiants est divisé par 5?" se demande Lara Lemaire.
" La venue à la fac, c'est souvent le premier pas vers l'autonomie, en dehors du foyer familial, les premières responsabilités d'adulte, un cap important dans l'existence. La rencontre avec d'autres étudiants, la sociabilisation, l'appartenance à un groupe. Cela n'a évidemment rien à voir si on reste enfermé dans sa chambre", note Patrick Vassort.
Pour l'instant, la plate-forme de choix post-bac Parcours Sup fonctionne au ralenti: "On constate en effet que les étudiants sont moins actifs qu'habituellement pour affirmer leur choix, ils attendent, ils ne confirment pas, ils attendent", explique Pierre Denise.
"Et puis cela va accentuer les différences sociales et l'accès au numérique en est une expression, c'est très clair. Depuis mars, la fac a prêté près de 150 tablettes, 30 ordinateurs et des clefs 4 G pour les étudiants les plus précaires. Des camarades ont passé des partiels avec le petit frère qui fait du bruit dans la chambre! Cette fois, il s'agit aussi de créer tout un fonctionnement général autour du numérique " insiste Lara Lemaire.
Signe d'un déconfinement léger, la Bibliothèque Universitaire propose par drive le prêt d'ouvrages.
En attendant à une date encore non définie, la rentrée 2020 qui "va être super rock'n'roll " , s'amuse un professeur.