Déjà grandement fragilisé par la première vague du Covid-19, l’Orchestre Jérôme Ortet porté par deux musiciens du Calvados accuse le coup alors que de nouvelles restrictions prendront effet dès lundi 28 septembre. Entre incompréhension, frustration et incertitude, ils se confient.
"On se sent oublié. Si ça continue, on va crever." Si la formule est désormais connue, elle n’en est pas moins forte et révélatrice de la détresse dans laquelle bon nombre de travailleurs ont été plongés par l’épidémie de coronavirus. Emily et Jérôme n’y ont pas échappé. Musiciens sous le statut d’intermittents depuis près de 20 ans, ces habitants de Morteaux-Couliboeuf, une commune nichée non loin de Falaise dans le Calvados, sont le parfait exemple de ces travailleurs à l’activité bouleversée, rongés par l’incertitude de ne peut-être jamais retrouver le monde d’avant. Et la crainte, d’être dans l’obligation d’abandonner un jour prochain le métier pour lequel ils se sont donnés corps et âme."Beaucoup de collègues repartent sur d’autres activités parce qu’ils étaient déjà juste financièrement et que le Covid les a poussé à bout", commente Jérôme. Si le couple au fondement de l’Orchestre Jérôme Ortet n’en est pas encore là, c’est une possibilité qu’Emily n’écarte pas à moyen terme. "On a pas mal entendu -vous êtes tranquilles avec votre année blanche- (le ministère du travail a entériné en juillet dernier une prolongation des droits d’indemnisation des intermittents du spectacle jusqu’à fin août 2021), mais on est censé travailler un certain nombre d’heures chaque année pour alimenter notre dossier et bénéficier du statut d’intermittent. Mon dossier a été réouvert en février et en mars on a été confiné. Si je ne remets pas d’heures d’ici là, je vais perdre mon statut et être obligée de quitter le métier", confie-t-elle désemparée.« Il faut garder espoir. Il y aura peut-être des changements, mais c’est compliqué. On reste dans l’inconnu le plus total. On a fait une seule fête d’anniversaire en septembre en six mois et c’est tout. Les restrictions reviennent alors qu’on n'a pas vraiment repris. Les organisateurs des événements publics annulent et pour ce qui est des repas privés beaucoup se déroulaient en salle des fêtes… Et les maires ne ré-autorisent pas leur ouverture.
"C’est tout un tissu associatif local qu’on a oublié et qui s’écroule"
Et les dernières restrictions entourant les événements festifs -coeur de métier du duo- annoncées vendredi par la préfecture du Calvados ne vont pas arranger les choses. Le planning rempli jusqu’en juin 2021 s’écaille au gré des annulations. "En soit, ces dernières mesures n’ont pas tant d’impact que ça parce qu’on n'a même pas eu le temps de reprendre… Mais de manière globale, cette situation est un vrai coup de massue. Ça fait 20 ans qu’on avait une activité très régulière. Le calendrier se remplissait sans qu’on ait vraiment besoin de démarcher. Les dancings, les bals sont prévus plusieurs fois dans l’année. Quand on fait une manifestation privée pour une famille, on est souvent amené à en faire pour un autre membre. Au bout de 20 ans, ça se renouvelle facilement. Et on a l’'impression que tout ce travail régulier est tombé à l’eau et n’a pas du tout été valorisé et pris en compte par les mesures d’aides", expose Emily.Et si la période est propice au découragement pour les musiciens ou encore les danseurs qui les accompagnent parfois, elle l’est aussi pour les organisateurs, souvent des associations à l’équilibre déjà fragile avant la pandémie. "Certaines nous ont déjà annoncé qu’elles arrêtaient. C’est tout un tissu associatif local qu’on a oublié et qui s’écroule. Un tissu dont on ne mesure pas l’importance pour les gens et qui emploit beaucoup de personnes", poursuit Emily.On a parlé à juste titre des grosses structures, mais nous tous, les orchestres, les petits maillons, on s’est senti un peu oublié parce qu’on touche énormément de gens et eux aussi se sont sentis oubliés.