Alexandre Levallois est doctorant en biologie marine à l'université de Caen. En parallèle de la réalisation de sa thèse, il a lancé voilà près de trois ans, une chaine de vulgarisation scientifique sur YouTube pour faire mieux connaître les animaux. Une démarche à la fois pédagogique et écologique.
Dans Pokemon, l'aspirant dresseur ne fait pas que capturer des monstres de poche, il emmagasine de nombreuses informations dans son pokedex, une encyclopédie recensant les différentes espèces et caractéristiques des pokemons. Le créateur du jeu, Satoshi Tajiri, s'est inspiré de son enfance passée à chercher et collectionner les insectes. Certains font des jeux vidéo. D'autres des vidéos.
Alexandre Levallois a lancé en 2019 sa chaine YouTube Arthropsida. A l'époque, ce " gros consommateur de vidéos de vulgarisation scientifique" ne trouve pas tout à fait son bonheur sur la toile. " Mon projet c'était de réaliser des vidéos sur la classification d'un groupe d’animaux méconnus, que les gens n’apprécient pas forcément mais moi qui me passionnent, les arthropodes." Un projet ambitieux puisque cette population, qui regroupe les insectes, les crustacés et les araignées, recouvre pas moins 1,5 million d'espèces. Et un gros travail de documentation en amont pour le vidéaste. ” Je ne suis pas vraiment spécialiste. Je ne fais pas une thèse là-dessus.”
Car la spécialité d'Alexandre Levallois, c'est la biologie marine. “ Je travaille sur l’impact des anodes galvaniques à base d’aluminium. Ce sont des plaques en métal qu’on met sur les structures métalliques immergées en mer pour les protéger de la corrosion. Ces plaques se sacrifient à la place des structures et, en faisant cela, relâchent les éléments qui les constituent dans l’environnement : de l’aluminium et du zinc. L’objectif de ma thèse c’est de voir si ces rejets ont un impact sur les organismes marins, des animaux comme les mollusques ou les algues.“ Le doctorant de 25 ans a débuté sa thèse peu après le lancement de sa chaîne YouTube. Fort de cette expérience de vulgarisateur sur la toile, il a relevé l'an dernier le défi du concours "Ma thèse en 180 secondes" : expliquer sur scène et en public, en trois minutes, l'objet de ses recherches.
Les fées de la science au-dessus du berceau
Originaire de Bayeux, Alexandre explique avoir fait " le parcours classique" de l'aspirant chercheur, du lycée jusqu'à l'université. Un parcours classique qui ne doit rien au hasard. " Mon père est prof de microbiologie. Ma mère a fait des études de biologie. Mes parents se sont rencontrés à la fac en licence de biologie. Mes deux parents m’ont inculqué la curiosité pour la nature. Tout petit, j’était dehors à attraper des insectes, je passais mon été à ça. Ça m’a forcément orienter vers des études de biologie que j’avais envie de faire.”
Actuellement, le doctorant passe plus de temps derrière un microscope ou sur son ordinateur à rédiger sa thèse. La réalisation de ses vidéos constituent des bouffées d'oxygène bienvenues. Ces deux activités ne sont pourtant pas si éloignées l'une de l'autre. " Je n’ai pas l’impression de travailler différemment quand je bosse sur mes vidéos ou quand je travaille sur ma thèse", estime Alexandre, "C’est un travail de recherche, de bibliographie sur le sujet pour essayer d’en connaitre plus et après essayer de le transmettre. C’est juste le format qui change. Je procède quasiment de la même manière." Mais le biologiste reconnait qu'il a " peut-être plus de liberté sur YouTube parce que je ne suis pas cloisonné dans l’aspect scientifique."
Des "mini-documentaires animaliers"
Au fil des mois, Alexandre a élargi sa palette de vidéaste. " Pour souffler entre deux grosses vidéos de classification, je me suis dit : pourquoi ne pas faire d’autres formats. Au même moment, je venais d’acquérir un nouvel appareil photo et je faisais beaucoup de terrain pour observer des animaux, des insectes mais aussi des oiseaux. Je me suis mis à les filmer. Et avec ces images, j’ai commencé à faire des mini-documentaires animaliers." Alexandre a ainsi réalisé des vidéos sur la faune du parc naturel régional des marais du Cotentin, de la Prairie de Caen mais aussi du marais poitevin, de la Camargue et même de Suède, au fil de ses voyages.
Depuis cet été, le biologiste emmène régulièrement son appareil photo à Sallenelles, dans l'estuaire de l'Orne. " Mon objectif, c’est de faire un épisode en mode sortie naturaliste, emmener les gens avec nous sur le terrain et leur montrer la diversité qu’on peut voir ici." La star de la future vidéo sera le phoque veau marin. " C’est une des deux espèces qu’on a en France. L’autre c’est le phoque gris qui est beaucoup moins présent sur les côtes sableuses qu’on a en Normandie. On le retrouve beaucoup plus en Bretagne."
En cet après-midi d'automne, une quinzaine de spécimens sont alanguis sur le banc de sable, de l'autre côté de l'estuaire près de Ouistreham. Des membres de la brigade phoque du groupe mammologique normand sont sur place pour les observer mais aussi pour répondre aux questions des promeneurs. " À marée haute ils vont plonger dans l’eau pour aller chasser, ils se nourrissent principalement de poissons plats: de la sole, de la plie, ce genre de choses." Mais l'œil avisé repère dans le téléobjectif bien d'autres trésors. " A partir de cette période de l’année, ça commence à devenir encore plus intéressant pour les oiseaux. On peut observer des grands échassiers, des hérons, des aigrettes, des martin-pêcheurs aussi." Tous auront leur place dans cette "expédition" en Baie de Sallenelles.
"Toutes les vidéos ont une volonté pédagogique"
Après bientôt trois ans d'existence, la chaîne Arthropsida compte aujourd'hui plus de 2000 abonnés. Un succès tout relatif pour le vidéaste " Ça me surprend pas plus que ça par rapport à la croissance de certaines chaînes sur d’autres sujets qui sont plus du divertissement", sourit Alexandre, " Mais c’est cool. Je suis super content. Des fois ça encourage. Des fois tu te dis : pourquoi je perds du temps à faire ça. Mais au final, ce que j’aime bien aussi c’est la création, je prends du plaisir à écrire, à monter."
Créer mais aussi transmettre, c'est ce qui anime ce passionné de nature . "Toutes les vidéos ont une volonté pédagogique. C’est l’objectif principal. Essayer de partager des connaissances naturalistes en biologie, en zoologie. Dans le contexte actuel, ce sont des messages écologiques. Certes, c’est de la connaissance biologique mais c’est montrer toute la biodiversité qu’il y a sur terre, tout le passé évolutif qu’on doit sauvegarder et toutes les espèces qu’on doit protéger à l’heure actuelle", souligne Alexandre Levallois .
Beaucoup d'idées mais pas assez de temps
Pour faire passer son message , le biologiste a dû apprendre un nouveau métier. " Aujourd’hui, quand on regarde les premières vidéos, ça peut être un peu indigeste", estime Alexandre, " Ça a évolué, on s’améliore en montage, dans la diversité des formats." Ainsi outre les vidéos de classification, les "sorties nature" ou les "expéditions", le biologiste a également publié des quizz de reconnaissance d'oiseaux ou des entretiens "thèses" où certains de ses collègues essayent de vulgariser leur sujet de recherche. " J'ai encore beaucoup d'idées. Mais pas assez de temps." Parmi ses projets à venir, un court-métrage "dans une ambiance fiction et naturaliste", les dernières vidéos sur les arthropodes et, quand sa thèse sera terminée, un voyage au Costa Rica. "Je parle beaucoup d'insectes géants dans mes vidéos. J'aimerais bien aller les voir sur place."