Enquête au coeur de la brigade des mineurs de Caen : " Témoigner, c'est essentiel pour la reconstruction"

Ce sont des affaires sensibles où le poids du silence reste lourd de conséquences. Si la parole semble se libérer depuis quelques années, les enquêteurs de la brigade des mineurs de Caen sont souvent confrontés à la prescription et l'absence de preuves. Nous les avons suivi pendant trois mois.

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Au commissariat de Caen, Mickaël Nicolas s'entraîne au centre de tir et l'avoue "Cela fait 21 ans que je suis policier, et je n'ai tiré qu'une seule fois. C'était à mes débuts, en région parisienne. Mais depuis, plus jamais. En tant qu'enquêteur à la brigade des mineurs, j'ai d'autres armes, mon clavier par exemple ". 

La patience, le sens de l'écoute, la mise en confiance, ici, c'est primordial. Son collègue, Rodolphe Boulestreau ajoute "On ne peut pas être dans des services comme ça et s'en foutre, parce que oui, c'est dur".  

Toute la journée, ils entendent l'indicible et sont confrontés à l'horreur de la nature humaine. Des paroles qui choquent et contrastent avec les jeux, peluches et puzzles, qui se trouvent dans leur couloir. Symboles d'une innocence, peut-être perdue. "Le fait que cela concerne des enfants nous donne une sacrée motivation", précise Frédéric Fresse, enquêteur à la brigade des mineurs de Caen.

Des enquêtes qui reposent principalement sur le témoignage et la confrontation

Pendant trois mois, nous avons suivi le quotidien de ces policiers, qui empilent un nombre considérable d'affaires sur leurs bureaux. "Entre 60 et 100 en moyenne, par enquêteur". Des dossiers plus ou moins épais où se répètent les mêmes accusations : Viol, inceste, agression sexuelle. Et où le flagrant délit n'existe pour ainsi dire pas.

Tout repose sur les témoignages, qu'il faut vérifier et sur la confrontation entre les victimes et les "mis en cause". Mais là encore, c'est délicat. Des plaignantes refusent d'être dans la même pièce que l'individu qui les fait tant souffrir et c'est légitime. Alors, comment faire dans pareil cas ? Comment trouver des preuves quand les faits se sont déroulés il y a plusieurs années ? 

"On s'accroche, on interroge l'entourage, on essaie de trouver d'autres victimes", explique Frédéric Fresse, qui traque depuis plusieurs mois un jeune homme, accusé de viol et d'agression sexuelle par plusieurs femmes, lycéennes, au moment des faits en 2017. L'auteur présumé était mineur également, "poli, intelligent, bon élève, le gendre idéal" décrit la maman d'une plaignante. *Angélique dit avoir été violée, dans les toilettes du lycée. Renfermée, la tête penchée et encore traumatisée, elle ne parvient à s'exprimer que par écrit. Et refuse toute confrontation, tant la peur la tiraille. Faustine, la meilleure amie du suspect, confesse avoir été également agressée et accepte d'affronter son regard. Le jeune homme est en garde à vue et nie tout en bloc.

* prénom d'emprunt

Se retrouver dans la même pièce que cette personne, c'est très compliqué, ça prend au coeur. Tant qu'il nie, on ne peut pas faire notre chemin et avancer. On n'arrive pas à se réparer.

Faustine, lycéenne en juin 2017 au moment des faits

 

Des jeunes femmes qui s'exposent réseaux sociaux, sans percevoir les dangers

Dans le bureau voisin, la confrontation a permis de faire avancer l'histoire de *Camille. Au moment des faits, elle a 16 ans et s'expose sur les réseaux sociaux. Elle a rendez-vous avec un jeune homme dans un parc. Ils s'embrassent et ça dégénère. Elle l'accuse aujourd'hui de viol. Au début, il nie mais finira pas avouer qu'il y a bien eu sodomie. Sauf que Camille n'était pas d'accord, ce qui pose la question du consentement.

Extrait de notre magazine pour "Enquête de région", diffusé mercredi 10 novembre à 23H20 sur France 3 Normandie.

Cette affaire met en lumière un phénomène nouveau, explique la cheffe de la brigade, Virginie Frémont : "En ce moment, ce sont les nudes, des jeunes filles qui envoient des photos d'elles nues et puis aussi les sites de rencontres. Elles ne réalisent pas qu'elles peuvent se faire piéger. C'est devenu un vrai fléau."

Il y a plus de violence du fait de cette pornographie qui est présente partout et très facilement accessible sur les réseaux sociaux

Mickaël Nicolas, enquêteur à la brigade des mineurs

Nouer un lien de confiance

Avec sa voix posée et son regard attendri, Mickaël Nicolas rassure Manon, effondrée après une énième confrontation. Agée de 18 ans, elle a vécu un calvaire, enfant. Elle accuse son père de viol, ainsi que son grand-père et son grand-frère d'agression sexuelle. Les faits se seraient déroulés pendant son adolescence. Elle s'est d'abord tue puis une amie a réussi à lui faire rompre ce silence. Dans cette affaire, le policier n'a aucune preuve. Son travail consiste donc à recueillir des témoignages, à vérifier et à confronter des dires contradictoires. La quête de la vérité est un chemin sinueux et souvent douloureux. Manon se bat toute seule et encaisse.

Mickaël Nicolas tente de la consoler "Ce qui compte, c'est ce que tu as dit, Manon. Tu as eu le courage de venir, tu as eu le courage de dénoncer. Tu as eu le courage de te confronter à lui. C'est sûr que ça fait mal mais pour le futur, pour ta reconstruction, c'est primordial Manon."    

Extrait du magazine "enquêtes de région"

Au fil des jours, on réalise que ces policiers, investis dans leur mission, marchent sur une ligne de crête entre faits et affects. Ils ne peuvent rien promettre, ils le savent. Leur seule obsession ? Faire aboutir chaque dossier, en étant précis et rigoureux, pour éviter qu'ils se trouvent classés sans suite, faute d'éléments, comme c'est le cas aujourd'hui pour deux affaires sur trois. 

L'intégralité de notre magazine "enquêtes de région" sur la brigade des mineurs sera diffusée le mercredi 10 novembre à 23H20

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