ENQUETE. Les villes ont-elles recours à des "méthodes cruelles" pour empêcher les pigeons de proliférer ?

L'association de défense des animaux PAZ suspecte des communes, dont deux du Calvados, Caen et Ouistreham, d'avoir recours à des méthodes de dépigeonnisation "cruelles". Avipur, la société en charge de la régulation des oiseaux, dément.

"Caen commandite des campagnes de capture, mais sans préciser comment les pigeons sont tués : nous pensons qu’ils sont gazés. Ouistreham commandite des campagnes d’effarouchement et autorise son prestataire à tuer des pigeons installés dans le pigeonnier contraceptif", affirme Paris Animaux Zoopolis (PAZ) dans un communiqué publié ce vendredi 20 janvier 2023.

 

Cette association de défense des animaux, créée en 2017, a enquêté pendant un an sur les méthodes utilisées par 141 communes de France, pour limiter les populations de pigeons. Cinquante-deux communes ont refusé de divulguer leurs méthodes de contrôle des oiseaux, Caen fait partie de ces communes qui n'ont pas joué d'emblée la carte de la transparence. L'association a alors sollicité la très officielle Commission d'accès aux documents administratifs, pour obtenir ces documents internes. La municipalité caennaise a finalement transmis les justificatifs (devis, bons de commandes et factures) relatifs aux campagnes de "dépigeonnisation" des années 2019, 2020 et 2021. Mais tous ces documents sont "caviardés", c'est-à-dire expurgés des principales informations. Il manque le détail des mesures mises en place, prix des prestations, nom des signataires, coordonnées des employés de mairie en charge des dossiers, etc, ce qui les rend illisibles. Un exemple parmi d'autres : sur un devis établi en 2021 par la société Avipur, il est indiqué qu'une "campagne de capture de pigeons" durera "dix semaines", mais les douze lignes suivantes, énumérant les opérations préconisées, sont noircies, ce qui en empêche la lecture.

Ce secret organisé autour des contrats de régulation des volatiles suscite donc la suspicion de l'association PAZ. Pour Amandine Sanvisens, co-fondatrice de l'association : "Il n'est pas précisé ce qui se passe après la capture. Or, les sociétés de dépigeonnisation tuent les pigeons par gazage. À notre connaissance, il n'y pas d'autre méthode". Cette technique est légale, mais "cruelle", selon l'association. "Les pigeons sont entassés dans des caissons, dans lesquels on injecte du CO2, explique Amandine Sanvisens. La mort est lente et douloureuse, comme une sensation de noyade… Les oiseaux sont ensuite congelés et envoyés à l'équarrissage. Mais s'il y a un mauvais dosage du CO2, ils peuvent être congelés à moitié vivants".

Nous venons de changer de logiciel, je n'ai plus accès à ces documents

Guillaume Winiarz, directeur d'Avipur Basse Normandie

interviewé par France 3

La société Avipur Basse-Normandie, que nous avons contactée, dément avoir recours au "gazage". "Certaines sociétés le font, admet Guillaume Winiarz, le directeur, "mais pas nous. Nous ne disposons pas du matériel nécessaire pour effectuer ce type d'opération". Plus largement, Guillaume Winiarz réfute toute euthanasie de pigeons, lors des opérations de régulation menées par sa société (qui compte vingt-sept filiales, un peu partout en France).

Il affirme même que plus aucune "capture" n'a été effectuée depuis 2020, ce qui est contredit par les documents fournis par la mairie de Caen (un devis d'Avipur date du 22 janvier 2021, un autre du 13 décembre 2021 et deux factures sont datée des 04 février et 18 novembre 2021). Face à ces éléments, le responsable finit par admettre que : "des opérations de capture peuvent être organisées, mais uniquement ponctuellement, à la demande des communes. Et aucun oiseau n'est tué. Ils sont simplement relâchés dans d'autres départements".

Quand on lui demande le détail de ces devis et contrats, caviardés par la mairie, il n'est pas en mesure de les fournir : "Nous venons de changer de logiciel et je n'ai plus accès à ces documents". Contactée depuis vendredi 20 janvier, la mairie de Caen n'a pas donné suite à nos demandes d'interview.

Nous sommes opposés à toute contraception des oiseaux

Jean-Pierre Frodello, président de la Ligue de Protection des Oiseaux de Normandie

Interviewé par France 3

L'association PAZ a aussi sollicité la ville de Ouistreham. Suite à l'intervention de la CADA, la commune a fini par communiquer ses contrats relatifs à la régulation des pigeons (sans les caviarder).

Le premier document (daté du 24 avril 2019) est un contrat d'entretien d'un pigeonnier contraceptif par la société Avipur de Basse-Normandie (toujours elle). Cette technique de régulation consiste à fidéliser les volatiles en un point précis (en les nourrissant), afin de maîtriser leur prolifération. Une clause suscite la colère de l'association : elle indique qu'en "cas de surpopulation, des prélèvements seront effectués pour maintenir le bon taux de la colonie". Pour PAZ, cette formulation veut tout simplement dire que des oiseaux sont tués, ce que conteste à nouveau Guillaume Winiarz. D'après le directeur d'Avipur Basse-Normandie, seuls les oiseaux blessés ou déjà morts sont retirés du pigeonnier.

Pour preuve de sa bonne foi, il assure respecter scrupuleusement les recommandations d'une association de référence en matière de protection des oiseaux (la Ligue de Protection des Oiseaux, LPO), dans l'entretien des pigeonniers. Contacté, Jean-Pierre Frodello, président de la LPO de Normandie se dit très étonné : "Nous sommes opposés à toute stérilisation des pigeons et il n'existe d'ailleurs aucun protocole particulier pour cette espèce, qui n'est pas protégée".

L'arme des images chocs 

Le second document fourni par la ville de Ouistreham concernant la régulation de ses pigeons est un devis "d'effarouchement par rapace", établi le 17 mars 2021. Pour l'association PAZ, même si cette méthode est légale, elle est "cruelle, à la fois pour les pigeons et les rapaces : les pigeons sont stressés et peuvent être blessés, voire tués ; et le rapace, animal sauvage, est dressé et maintenu en captivité". Pascal Chrétien, adjoint au maire de Ouistreham, relativise : "J'étais présent lorsque la buse a été lâchée et j'ai vu comment elle a fait fuir les pigeons, mais elle n'en a blessé aucun. De toute façon, ça reste une méthode naturelle". 

L'objectif de l'association PAZ est que "le gouvernement et les parlementaires interdisent toutes ces méthodes : capture, gazage, tirs, stérilisations chirurgicales, effarouchement… "  Amandine Sanvisens préconise les pigeonniers contraceptifs, mais sans "prélèvement" et une toute nouvelle technique, venue d'Espagne : le maïs contraceptif, encore peu connu en France (seul Quimper l'utilise, selon l'association). D'après la militante, cet aliment contraceptif a fait ses preuves de manière spectaculaire à Barcelone, dans l'église de la Sagrada Familia, massivement colonisée par les volatiles.

Dans l'attente de décisions législatives, PAZ a décidé de sensibiliser l'opinion par des vidéos chocs, sur le modèle de L214. Un film posté le 13 janvier dernier a déjà porté ses fruits. Tourné à Asnières-sur-Seine (92), il montre des pigeons qui agonisent, piégés dans des cages. La mairie a aussitôt réagi en condamnant ces pratiques de la société Sapian et en annonçant qu'elle se séparait de son prestataire de service.

L'association dénonce également le fait que 52 communes, dont Evreux, Cherbourg et Flers, n'ont toujours pas transmis les documents demandés, malgré un avis favorable de la Commission d'accès aux documents administratifs (CADA). Pour obtenir gain de cause, PAZ a saisi le tribunal administratif, pour toutes les villes de plus de 50 000 habitants.

En Normandie, deux communes trouvent grâce aux yeux de l'association, car elles évitent les méthodes létales contre les pigeons ou ne procèdent à aucune action en particulier ; il s'agit du Havre et de Caudebec-lès-Elbeuf.

 

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