Les 88 tirages exposés à l'hôtel de ville de Caen ravivent de vieux souvenirs à certains visiteurs. Doisneau voulait saisir "tout ce qui fout le camp". Ses photos rappellent l'immédiat après-guerre, la Reconstruction et les terrains vagues. Elles nous replongent dans un temps révolu.
Il chroniquait son époque en noir et blanc. Robert Doisneau photographiait les vedettes du moment autant que les petites gens. Ses portraits de Jacques Prevert et de Pablo Picasso ne sont pas moins célèbres que ceux des gamins des rues du Paris populaire de l'après-guerre. La sélection de 88 tirages exposée à Caen résume "la traversée d'un siècle" de ce photographe arpenteur et observateur.
"Ces photos traversent toute une période"
Après avoir accueilli les photos du 11 septembre en 2021 et celles de Steve McCurry l'année dernière, la ville de Caen assume cette année une certaine nostalgie. "Nous avons eu des expositions assez dures. Nous voulions revenir à quelque chose de plus positif, explique Cécile Cottenceau, adjointe au maire en charge du tourisme. Ces photos traversent toute une période. Certains thèmes ne sont pas sans lien avec la ville de Caen. On voit des représentations de la Reconstruction auxquelles les Caennais peuvent s'identifier".
"Photographier, c'est arrêter un moment qui m'enchante"
Robert DoisneauPhotographe
La force visuelle de ces images est intacte. Doisneau n'avait pas son pareil pour saisir les terrains vagues, les dents creuses de la ville, ces formidables espaces d'aventures livrés à l'espièglerie des enfants. "J'ai l'impression d'y être, confie un visiteur au regard brillant. J'ai connu cette époque-là". Quelques mètres plus loin, une dame confesse que "c'est très émouvant. Beaucoup de photos correspondent aux années où je suis née".
Huguette retrouve tout : la ville d'antan, les pavés luisants, les autos noires et odorantes. Elle est née en 1927. "Je suis très frappée par toute l'âme qu'il y a dans ces photos, en particulier celle qui montre les mains des travailleurs de chez Renault qui perdaient leurs doigts". La photo est prise devant les usines fumantes de Billancourt. Six mains mutilées se dressent au premier plan. Cocasse et terrible à la fois.
Robert Doisneau n'a rien édulcoré en immortalisant des visages marqués par la dureté de la vie, mais il avait ce don pour capter l'insolite, l'incongru. "On ressent un bien-être alors qu'il y avait beaucoup de malheureux à cette époque-là, avance une Caennaise mélancolique. Elle marque un temps, puis ajoute : "C'était plus calme que la vie de maintenant".
Armé de son appareil photo, il posait un défi au temps qui passe en inscrivant ce qu'il voyait chaque jour, pressentant que le monde était en train de changer. Il disait prendre des photos "pour retenir ce qui fout le camp". À l'hôtel de ville de Caen, l'exposition cite une autre de ses devises : "Photographier, c'est arrêter un moment qui m'enchante".
Sur l'esplanade se dresse en grand format la plus célèbre de ses oeuvres : le baiser de l'Hôtel de ville. Qu'importe qu'elle ait été mise en scène, la photo saisit un élan, un moment de grâce universel. Le temps s'arrête un instant dans la prime jeunesse, pour l'éternité.
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- Robert Doisneau, la traversée d'un siècle
(Jusqu'au 2 octobre 2023 à l'hôtel de ville de Caen. Ouvert tous les jours. Entrée : 5 euros. Gratuit pour les les habitants de Caen, personnes de moins de 18 ans, personnes en situation de handicap titulaires d'une carte d'invalidité ainsi qu'une personne accompagnatrice, anciens combattants, demandeurs d'emploi et bénéficiaires du RSA)