Grève des enseignants : quelle mobilisation contre le protocole COVID ?

Le ras-le-bol des professeurs des écoles a cette fois pris une autre dimension. Plus d'un enseignant sur deux participerait ce jeudi à ce mouvement de colère, pour protester contre la gestion de la crise COVID par le Ministre de l'Education nationale Jean-Michel Blanquer.

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Ils étaient nombreux ce matin à manifester à l'appel des syndicats et notamment du Snuipp-FSU, premier syndicat du primaire. Plus d'un millier à Caen ou encore au Havre, 500 environ à Rouen, 400 à Cherbourg.

Il y a encore quelques jours, beaucoup hésitaient. "Faire grève, ça veut dire mettre les collègues, les parents et les personnels de mairie en difficulté, alors que la situation est déjà intenable. Mais la dernière déclaration de notre ministre a provoqué de la colère. On se sent totalement incompris. Ce n'est plus possible, il faut faire quelque chose", assure Maud*, enseignante en maternelle dans une commune au sud de Caen.

La situation dans les écoles est catastrophique et elle a été rendue catastrophique par une gestion déplorable, par un mépris constant du ministre et du gouvernement. Que ce soit envers les enseignants, mais aussi les familles et les élèves

Valérie, enseignante retraitée

France 3 Normandie

Même à la retraite, Valérie a voulu participer elle au défilé havrais. "La situation dans les écoles est catastrophique et elle a été rendue catastrophique par une gestion déplorable, par un mépris constant du ministre et du gouvernement. Que ce soit envers les enseignants, mais aussi les familles et les élèves." Elle se sent aujourd'hui en colère pour ses anciens collègues. "Ils sont épuisés, ils n'en peuvent plus. Ca fait deux ans que ça dure, ils n'ont jamais été entendu, sur rien. Ce n'est juste plus possible maintenant."

Ce n'est pas une grève qui résout les problèmes, on ne fait pas une grève contre un virus

Jean-Michel Blanquer aux enseignants

BFM TV

Cette sortie de Jean-Michel Blanquer lundi n'a clairement pas été du goût des professionnels de l'éducation, déjà peu friands de sa communication depuis sa prise de fonction, et encore plus sur la crise du COVID. "Cette façon d'être mis au courant au dernier moment [sur les protocoles], et en plus par les médias...", déplore Dorothée, autre enseignante à manifester. "Je suis aussi mère de 3 enfants, et c'est extrêmement difficile de pouvoir gérer son travail, surveiller si l'école appelle pour aller les chercher. Au quotidien, c'est vraiment difficile à assumer. On a l'impression de ne toujours pas avoir d'outils efficaces pour travailler."

Un quotidien ingérable

A commencer par des masques... "On a eu au départ des masques qui n'étaient pas bons pour notre santé. Puis en septembre, 5 masques lavables et ce ne sont même pas des masques chirurgicaux. Ils sont nombreux aujourd'hui à se sentir dans l'insécurité. "On n'a pas de gel hydroalcoolique ; la mairie dit que c'est l'éducation nationale qui doit nous le fournir, l'éducation nationale dit que c'est la mairie... Ca fait deux ans qu'ils se renvoient la balle, qu'on a rien. On n'est pas protégé ; et si on est dans l'insécurité, les élèves le sont aussi !"

On n'a pas de masques chirurgicaux, on n'a pas de gel hydroalcoolique. On n'est pas protégé. Et si on est dans l'insécurité, les élèves le sont aussi.

Manifestante caennaise

France 3 Normandie

Mélanie est enseignante d'une classe double : grande-section / CM2. "On fait beaucoup de paperasse. C'est à nous de gérer le fait de donner les documents aux parents, c'est du H24 car il faut tout le temps aller sur la boite mail pour savoir où en est la situation de nos élèves."

Une mobilisation historique

Résultat : une mobilisation importante ce jeudi, "historique par son ampleur sur les vingt dernières années", selon le syndicat SNUIPP, qui annonce une école sur deux fermée en France, 75 % des enseignants du premier degré. En Normandie, il semblerait que ce chiffre soit plus proche de 50 %. L'ensemble des syndicats enseignants ont appelé à la grève dans les écoles, les collèges et les lycées. Ils dénoncent "une pagaille indescriptible" dans les établissements scolaires, et notamment les écoles, en raison de l'épidémie de Covid-19 et des protocoles sanitaireset "un sentiment fort d'abandon et de colère parmi les personnels".

Le Ministère de l'Education nationale a lui communiqué des chiffres différents : 38,48 % de grévistes pour les enseignants du 1er degré, 23,73 % pour le second degré.

Un ras-le-bol général

Depuis 2000, la plus forte mobilisation dans l'éducation date du 13 mai 2003 (contre lla réforme des retraites de François Fillon). Le taux de grévistes avait alors atteint 74% dans le premier degré, 70,5% au collège, 65% en lycée général et technologique et 62,2% en lycée professionnel. "Depuis de nombreuses années, nous n'avons pas vu un ensemble aussi compact et unitaire de syndicats, à la fois du premier, du second degré, mais aussi de l'encadrement", explique l'historien de l'éducation Claude Lelièvre dans un entretien à Libération.

"Chez nous, c'est surtout l'infirmière scolaire qui est en surchauffe. Et l'équipe de direction un peu aussi.", reconnait Jérôme*, CPE dans un lycée normand. Même son de cloche de la part de Maxime, assistant d'éducation dans un lycée de Cherbourg. "Gérer les J+2, J+4, le test, les cas contacts, les cas positifs, ça fait une grosse masse de travail supplémentaire qui nous empêche de faire un suivi correct des absences pour les élèves."

Selon une manifestante caennaise FCPE, "on oublie tous ceux qui sont derrière, ceux qui doivent faire le protocole sanitaire de nettoyer les sols, des points contacts. Nos agents sont sur le terrain et sont eux aussi touchés par le COVID, et pas remplacés par manque de personnel".

La communication est la clé, mais ce n'est pas du tout la volonté de notre ministre.

Marine, professeur au collège

France 3 Normandie

Mais des professeurs du secondaires ont aussi voulu défiler, comme Marine au Havre. "On est essoré, face à un protocole qui est totalement absurde avec des changements constants. Nous, au collège, on n'a jamais des classes complètes ; nos élèves, quand ils reviennent en classe, n'ont pas forcément eu les moyens de récupérer les cours, donc ça fait un enseignement qui est extrêmement compliqué. On ne fait pas grève contre un virus, on fait grève contre la manière de gérer la crise de ce gouvernement. La communication est la clé, mais ce n'est pas du tout la volonté de notre ministre." Une vision partagée par ce collègue rencontré dans le cortège caennais. "Blanquer n'écoute pas les remontées du terrain, il décide tout par lui-même, ne prend que des décisions de papiers." 

Service minimum au cas par cas

Pour faire face à ce jeudi noir, la plupart des communes ont mis en place un service minimum. "Ce sont les Atsem qui vont prendre le relai et qui vont proposer des activités toute la journée." Une démarche importante selon Marine Prevost, directrice de l'accueil périscolaire des Grandes-Ventes (Seine-Maritime). Ici, 8 des 9 enseignants sont en grève ce jeudi. "Les parents n'ont pas toujours la famille qui est juste à coté, et on ne peut pas se permettre de les laisser complètement sans solution."

Nous avons seulement un enfant qui était inscrit, donc c'est vraiment à l'aveugle, mais nous serons là si d'autres familles ont besoin.

Séverine Henry, Adjointe aux affaires scolaires aux Grandes Ventes (76)

France 3 Normandie

Mais toutes les communes n'ont pas les moyens d'accueillir tout le monde, notamment en campagne. Officiellement, aux Grandes Ventes, seuls les enfants des parents qui sont personnel soignant ou prioritaire pouvaient être pris en charge. Et difficile d'y voir clair au petit matin. "Nous avons seulement un enfant qui était inscrit, donc c'est vraiment à l'aveugle", annonce Séverine Henry Adjointe aux affaires scolaires. "La préparation a été un petit peu chaotique, mais nous serons là si d'autres familles ont besoin. Ce sera au cas par cas." 

La grande majorité des enseignants grévistes avaient pris soin de prévenir les parents dès le début de semaine. Du coup, beaucoup ont réussi à s'organiser. Ce matin par exemple, dans cette école des Grandes Ventes, les seuls à être venus sont les élèves de petite-section de l'enseignante non gréviste.

Des parents plutôt solidaires des enseignants

Si cela va donc compliquer la journée de certains parents, le mouvement semble quand même plutôt soutenu. 

La FCPE, première organisation de parents d'élèves, a signé l'appel à la grève et invité les parents à se mobiliser ce jeudi.  L'Unaape (Union nationale des associations autonomes de parents d'élèves) appelle elle aussi "à soutenir par solidarité le mouvement de toutes les équipes éducatives" et à "ne pas envoyer les enfants à l'école jeudi", selon son président Patrick Salaün.

* : les prénoms ont été changés pour un souci de confidentialité

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