En mai 2024, Jean Claude Gandur a choisi Caen pour implanter un gigantesque musée pour abriter son incroyable collection d'antiquités et de tableaux contemporains. Comment le milliardaire suisse a-t-il fait fortune, et pourquoi a-t-il fini par choisir la Normandie ? Enquête.
"Plus on s'entoure de gens qui sont soi-disant là pour vous protéger, moins on vous protège, et plus on vous expose", Jean Claude Gandur est un milliardaire pas comme les autres. Le richissime homme d'affaires suisse a largement les moyens d'affréter un jet pour parcourir les 700 km séparant Caen et Genève. Pourtant, c'est en voiture qu'il a fait le trajet entre la Suisse et la Normandie au début de l'automne. Avec son épouse, sans chauffeur et sans garde du corps.
Un musée faramineux pour abriter ses collections d'art et d'antiquité
Ce jour-là, il force sa nature pour rencontrer le monde politico-artistique normand. L'aréopage est aux petits soins de l'homme qui a choisi la cité de Guillaume le Conquérant pour bâtir un incroyable musée qui abritera bientôt ses collections d'antiquités et de tableaux contemporains, près du Mémorial de Caen.
Le richissime entrepreneur helvète a obtenu gratuitement un terrain, et c'est à ses frais qu'il érigera l'infrastructure. Pour lui, c'est le projet d'une vie, un autocadeau à plusieurs centaines de millions d'euros. Mais au regard de sa fortune, estimée à 2 milliards d'euros, c'est un investissement raisonné.
Du nez et de la chance, à l'origine de la fortune de Jean Claude Gandur
Comment Jean Claude Gandur a-t-il rempli son compte en banque ? En réussissant dans le négoce de matières premières. Il se distingue d'abord en Roumanie, en vendant du cuivre sous le régime de Ceausescu. Au début des années 90, il monte sa première entreprise, une mine d'or en Tanzanie. Toutefois, c'est au Nigéria que sa vie va basculer, grâce à l'or noir.
Il y a eu un alignement d'étoiles de manière incroyable. Au moment où nous achetons les concessions, le pétrole vaut 9 dollars. Personne n'en veut. L'année suivante, il passe de 9 à 40 dollars, c'est un miracle ! On a réussi avec très, très peu de moyens à développer une société qui a quand même été revendue pour plusieurs milliards.
Jean Claude Gandur
En 2008, un groupe chinois rachète ses forages, ses plateformes pétrolières et ses stations essence pour 7,2 milliards de dollars. "L'argent simplifie la vie, c'est incontestable, mais je ne crois pas que je vive comme un milliardaire. Je n'ai pas de yacht, je n'ai pas d'avion, je n'ai pas de voiture de luxe... Je consacre mon argent pour de l'art".
Certains ont bien tenté d'enquêter sur les dessous de la fortune de l'entrepreneur helvète. À une question sur la collusion entre exploitation pétrolière et régime dictatoriaux posée par le journaliste Darius Rochebin sur RTS en 2021, il répond sans sourciller : "J'ai un principe, se tenir toujours loin des régimes politiques".
Dans les locaux de la Tribune de Genève, notre confrère Rachad Armonios nous explique que peu de choses sont ressorties des fouilles dans le passé professionnel du désormais ex-homme d'affaires. De ses recherches, il est ressorti qu'un des employés de son entreprise Adax a été condamné pour corruption. Jean Claude Gandur a toujours dit qu'il n'avait toujours rien su de tous ses agissements, d'ailleurs il n'a jamais été condamné à quoi que ce soit".
Une fortune au service de sa passion
À la fin des années 2000, le Suisse a des moyens presque illimités pour assouvir sa passion pour l'art, forgée lors de ses années étudiantes à Paris. Archéolgie, art contemporain : Il devient au fil des ans l'un des plus grands collectionneurs privés de la planète.
Peu à peu, il se prend à rêver d'exposer ses collections au public. Naturellement, Jean Claude Gandur cherche d'abord à s'établir chez lui, en Suisse. Appuyé par la municipalité, il tente de bâtir une extension au musée d'Art et d'Histoire de Genève, en s'attachant les services de la star de l'architecture, Jean Nouvel, pour un projet de 40 millions d'euros. Mais les défenseurs du patrimoine et l'extrême gauche genevoise s'opposent au projet.
"La critique c'était la privatisation rampante, c'est-à-dire l'achat pratiquement du musée par Gandur" raconte Tobia Schnebli, militant du Parti du Travail Suisse. Après des mois d'une campagne électrique, les habitants de la ville rejettent la proposition lors d'un référendum.
Ce n'était pas un "non" dirigé contre lui. C'était un "non" qui voulait dire "même à Genève, l'argent ne peut pas tout permettre".
Rachad Armanios, journaliste à La Tribune de Genève
La Suisse n'a pas voulu de lui, alors le milliardaire se tourne vers la France. "Des politiques français de très, très haut niveau sont intervenus", raconte Jean-Yves Marin, un de ses amis. Le fait qu'il choisisse Caen plutôt que Bordeaux, Strasbourg ou Rouen est une "preuve que personne ne l'a influencé, qu'il a choisi en toute indépendance".
"C'était un choix très difficile, les deux villes offraient des choses très similaires, de beaux terrains, explique Jean Claude Gandur, qui s'est donné cinq ans pour que son musée sorte de terre. "J'espère qu'il sera merveilleux, plus que beau", rêve-t-il. Il contiendra près de 3 000 œuvres et deviendra l'un des plus grands centres d'art de France.
Enquête réalisée par Florent Turpin et Simon Le Pape