Les analyses effectuées par un laboratoire de Caen mettent en évidence la présence de Cesium-137 dans des échantillons de poussières du Sahara. Sans risque pour la santé. L'année dernière déjà, l'ACRO avait observé cette pollution radioactive. Quand le vent du sud soulève le sable du désert, il ramène en France des particules héritées des essais nucléaires effectués dans les années 1960... La radioactivité est un poison lent.
En Espagne, le phénomène est courant. Il porte même un nom. Le fort vent chaud chargé de poussières provenant du Sahara, est appelé la "calima". L'atmosphère prend alors une teinte orangée et une fine pellicule se dépose au sol. Quelquefois, les résidus de sable franchissent les Pyrénées, quand le vent vient du Sud. À la mi-mars, ils étaient particulièrement visibles dans le sud-ouest et dans une moindre mesure en Normandie.
Le phénomène n'a rien de rare. L'année dernière déjà, des poussières sahariennes s'étaient déposées partout en France. L'ACRO (Association pour le Contrôle de la Radioactivité dans l'Ouest) avait eu la curiosité d'effectuer "une analyse de radioactivité artificielle par spectrométrie gamma". Conclusion : "Le résultat est sans appel. Du césium-137 est clairement identifié."
Le 17 mars,, un préleveur bénévole de l'ACRO a fait parvenir au laboratoire un flacon contenant 30 grammes de poussières. "C'est un super échantillon !". Les résultats d'analyse ont confirmé la présence de cette particule radioactive. "Nous sommes sur des niveaux équivalents", explique Mylène Josset, la responsable du laboratoire de l'ACRO situé à Hérouville Saint-Clair près de Caen (Calvados). "En supposant d’un dépôt homogène sur une large zone, on estime que, durant ce nouvel épisode, il est retombé environ 75 000 Bq de césium-137 au km2 dans la région Touraine (ou 75 mBq/m2)", écrit l'association sur son site internet. "On mesure des traces", insiste Mylène Josset. Lors du précédent épisode en février 2021, l'IRSN parlait d'un "impact dosimétrique négligeable".
"Le Cesium-137 est issu de la fission mise en jeu lors d’une explosion nucléaire"
Le Cesium-137 est un marqueur infaillible : "Il s’agit d’un radioélément artificiel qui n’est donc pas présent naturellement dans le sable et qui est un produit issu de la fission nucléaire mise en jeu lors d’une explosion nucléaire", explique l'ACRO. Il provient sans aucun doute possible "des essais de la bombe atomique pratiqués par la France dans les années 60".
Cette pollution a quelque chose d'ironique. "Elle nous revient comme un boomerang", note l'ACRO. Depuis le début des années 2000, l'Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire constate la présence de Cesium-137 lors de ces épisodes météorologiques. L'IRSN attribue cette radioactivité à "l’ensemble des essais nucléaires atmosphériques effectués dans les années 60 (...) par l’URSS (219 tirs), les Etats-Unis (219 tirs), La Chine (22 tirs), la France (50 tirs, 4 tirs au Sahara et 46 en Polynésie) et le Royaume-Uni (23 tirs).
À Reggane, dans le sud de l'Algérie, le sable est pollué pour longtemps par les quatre tirs effectués dans les années 1960. C'est ce que montre ce reportage de France 24 :
"Ce marquage radioactif issu de la fission nucléaire militaire concerne des milliers de tonnes de poussières sahariennes", souligne l'organisation écologiste Robin des Bois.
"Les sables du Sahara ont de la mémoire"
C'est le propre du nucléaire, "on est sur des temporalités longues", rappelle Mylène Josset, la responsable du laboratoire de l'ACRO. Lors des tirs effectués il y a désormais plus de soixante années, des particules radioactives sont tombées au sol. "Les éléments ont été dispersés. Certains ont aujourd'hui disparu du fait de leur période physique, mais d'autres ont une vie très longue".
Le Cesium-137 "perd la moitié de son activité tous les 30 ans, explique Mylène Josset. Il faut une dizaine de périodes pour qu'il ne soit plus mesurable". Autrement dit, les poussières sahariennes resteront contaminées pendant entre 240 ans...
Cette pollution radioactive – encore observable à de longues distances 60 ans après les tirs nucléaires – nous rappelle cette situation de contamination radioactive pérenne dans le Sahara dont la France porte la responsabilité.
Association pour le Contrôle de la Radioactivité dans l'Ouest
Avec ce "retour à l'envoyeur", l'association Robin des Bois sourit de ce que ce soit la nature qui nous oblige à regarder l'histoire en face : "Les sables du Sahara ont de la mémoire".