Quatre migrants jouent pour le petit club de football normand de Saint-Aubin-sur-Mer

Venus d'Afrique, Mohamed, Bachir, Sosthère et Raymond se sont battus pour arriver jusqu'à Saint-Aubin-sur-Mer, près de Caen. Mais aujourd'hui, pas question pour eux de viser l'Angleterre. Ils ont trouvé un toit et un travail chez Emmaüs, ainsi qu'un club chaleureux pour jouer au football. Une nouvelle vie qui les confronte à la solidarité de certains, mais aussi au racisme.

Ils ont sans doute rarement eu aussi froid de leur vie. Le thermomètre indique 0 degré ce soir-là, de quoi vous picoter sérieusement les doigts de pieds et les mains, même en étant bien couvert. Un de leurs coéquipiers a même enfilé une cagoule pour s'entrainer !

Mohamed, lui, a préféré gardé le survêtement. Bachir est en short, collant et bonnet. Sosthère, en vieil habitué, paraît défier la météo normande : on a froid pour lui, en voyant son crane lisse et ses jambes nues… Mais c'était lui le premier migrant à débarquer sur ce terrain de football de Saint-Aubin-sur-Mer. Enfin, plutôt un demi-terrain, aux rebonds capricieux en plus... "On n'a pas le choix, c'est le seul possible le soir en hiver, le seul éclairé", nous confie Kevin Boutamine, l'entraîneur ; celui des matchs n'a pas la chance d'être équipé de projecteurs.

"Plus qu'un club, une famille"

L'ESSA est un petit club qui avait disparu, avant de revenir à la vie grâce à la motivation d'une bande de potes. Leur slogan est affiché sur beaucoup de murs : "L'ESSA, plus qu'un club, une famille".

D'ailleurs, le nom de Boutamine ne vous est peut-être pas étranger si vous suivez le Stade Malherbe... Salah Boutamine, a été son plus fidèle supporter pendant plus de trente ans. Il était aussi président du club de Saint-Aubin-sur-Mer. La notion de famille est donc plus qu'un simple mot. Pour Kévin, c'était une évidence de venir ici.

Aujourd'hui, le club de l'ESSA compte deux équipes, en Départementale 3 et 4. "Le foot, ca reste une compétition donc quand on rentre sur le terrain c'est pour gagner ; après ca reste un club famille, un club de district, donc on est là pour se faire plaisir également", explique Anthony Harel, l'un des joueurs. "On joue pour le club et les copains." 

Voilà le décor est planté, il ne restait plus qu'à faire grandir ce groupe de copains. Et c'est finalement à moins de deux kilomètres de là, au centre Emmaüs de Tailleville, qu'ils ont trouvé du renfort. Un renfort venu de très très loin.

Le foot au bout de l'exil : le long format de France 3 Normandie avec le club de Saint-Aubin-sur-Mer :

Un long voyage gardé secret 

Cameroun, Soudan, Guinée, Nigéria... Chacun, ici, a son histoire, beaucoup ont quitté leur pays d'origine, un jour, pour rallier le vieux continent. "On est bien chez soi", nous confie Mohamed, 37 ans, qui était juriste dans sa vie précédente. "Il n'est pas facile de quitter son chez soi. On ne quitte pas son chez soi parce qu'on veut le quitter ; on le quitte pour une cause bien déterminée, et c'est pour ça qu'on est là aujourd'hui."

Ici, on a des compagnons qui sont là depuis 20 ans, parce que c'est vraiment Emmaüs leur famille. Si Emmaüs n'était pas là, ils seraient à la rue.

Natalie Lepesqueur

Co-responsable Emmaüs 14

Leurs raisons pour avoir tout quitté ? Ils préfèrent souvent les garder pour eux. "C'est compliqué, très très compliqué. C'est la situation familiale, la situation géopolitique. Politiquement ça va pas… C'est trop compliqué à expliquer."

Pas question en tout cas pour Emmaüs de les forcer à tout dire. "Notre principal devoir c'est d'accueillir, de façon inconditionnelle", nous explique Natalie Lepesqueur, co-responsable d'Emmaüs 14. "Toute personne qui se présente, à partir du moment où on a de la place, hé bien on fait au moins un petit bout de chemin ensemble, pour voir si ça convient à tout le monde. Si ça fonctionne bien, on peut y rester jusqu'à temps d'avoir un autre projet, d'autres perspectives. Ici, on a des compagnons qui sont là depuis 20 ans, parce que c'est vraiment Emmaüs leur famille. Si Emmaüs n'était pas là, ils seraient à la rue." 

Ils sont 45 ici, en majorité des étrangers dans l'attente de papiers. "Ce sont des gens très pudiques, qui n'ont peut-être pas envie de s'éterniser sur ce qu'ils ont pu vivre… Evidemment une traversée quelle qu'elle soit, à pied ou en en bateau, on sait ce que ça veut dire. Je crois que quand ils arrivent ici, ils sont bien contents d'avoir une main tendue, et cette main tendue leur permet de se ressourcer. Peut-être pas d'oublier, parce que je pense pas qu'on puisse oublier, ça reste des traumatismes, mais au moins de vivre autre chose."

Y'avait un problème de logement, un problème de nourriture. Y'avait plein de choses qui nous faisaient barrière, faut être courageux pour les franchir.

Mohamed Kourouma

Compagnon Emmaüs

Mohamed accepte plus facilement nos questions sur sa vie d'aujourd'hui. "Quand tu sors de chez toi, c'est une nouvelle expérience qui commence. Tu seras confronté à plein de choses, mais quand tu as des objectifs dans la vie, tu peux atteindre ce que tu veux. A l'instant T, je me sens heureux en France. Mais quand je suis nouvellement arrivé, c'était très compliqué. Y'avait un problème de logement, un problème de nourriture. Y'avait plein de choses qui nous faisaient barrière, faut être courageux pour les franchir." 

Etre francophile lui a été précieux pour s'intégrer plus rapidement, et il n'hésite pas à répondre aux sollicitations, tout comme Bachir ou encore Sosthène d'ailleurs. Raymond, lui, est plus réservé, et préfère rester discret. Mais tous sont venus quand il a fallu témoigner de leur belle histoire avec le club, lors du forum pour la paix, l'an dernier à Caen.

Aujourd'hui, ça va, ça va", répète Mohamed deux fois comme s'il voulait s'en convaincre totalement, "on attend". Mohamed sait la chance qu'il a d'être logé et nourri chez Emmaüs depuis 3 ans, mais voudrait aussi tellement que le monde se rende compte de tous les efforts que font lui et ses compagnons au quotidien.

Le racisme du quotidien

Au standard, il est parfois confronté aux réactions déplacées de certains interlocuteurs. "Une fois qu'ils entendent l'accent, ça veut dire autre chose." Ce matin-là, encore, il s'est fait raccrocher au nez alors qu'il appelait une dame qui avait laissé un message pour demander le passage d'un camion. "Je l'ai rappelé, elle a commencé à hausser le ton. Je lui ai dit : moi je n'y suis pour rien, je fais mon travail, je vous ai appelé, je me suis présenté à vous, je vous ai dit que c'est Emmaüs et vous m'avez entendu avant de raccrocher... Y'a plein de choses qui se passent, mais les responsables ne sont pas au courant de tout ça."

Le plus surprenant, c'est qu'il vous explique ça avec le sourire. Impossible d'imaginer que cela ne le touche pas, mais il fait front. "C'est pas tout le monde. On n'est pas obligé de répondre à ce genre de propos. C'est une question d'éducation. Il faut être patient et courtois avec les gens."

Je faisais du mal à leurs défenseurs, je les faisais courir. Après, ils ont pris ça en mal, ils m'ont traité de sale nègre, ils ont craché sur moi.

Mohamed Kourouma

Attaquant de Saint-Aubin-sur-Mer

Malheureusement, au foot aussi, il a dû affronter certains comportements plus que déplacés. "C'était le derby face à Langrune. Je faisais du mal à leurs défenseurs, je les faisais courir. Après, ils ont pris ça en mal, ils m'ont traité de sale nègre, ils ont craché sur moi." Ses coéquipiers sont venus le soutenir, on était au bord de la bagarre générale, son équipe a voulu rentrer aux vestiaires en signe de protestation. Mais là encore, il préfère relativiser plutôt que s'énerver. "C'est normal, ce sont des gens qui ne se sont jamais déplacés dans leur vie."

Des actes isolés la plupart du temps sur lesquels les clubs essaient de réagir rapidement, comme ce communiqué quelques jours après le match.

Le but : être régularisé

Heureusement, avec ses supporters, tout se passe bien. "J'ai été très très bien adopté. L'accueil a été très favorable." Et ça donne tous envie de tout donner sur le terrain. Sosthère, le doyen, nous confie, amusé, qu'il a d'ailleurs dû apprendre à se freiner un peu. "J'ai commencé avec les vétérans, et j'y suis allé à fond. Au premier tacle, on m'a fait comprendre tout de suite que c'était interdit dans cette catégorie !" Quand on raconte ça à Kevin, l'entraîneur en rigole : "il a fait ça devant le banc adverse !"

Cette motivation est ancrée en Sosthère. C'est sans doute ça aussi qui lui a permis de passer la barrière ultime : avoir ses papiers, enfin, après 8 ans en France. Il s'est trouvé un travail, vient d'emménager dans son propre appartement. Ca change tout !

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