Au lycée Augustin Fresnel à Caen, les mêmes exclamations se font entendre chaque année dans la cour lorsque sont affichés les résultats. C'est un moment fait d'émotions fortes pour les élèves comme pour les profs. "On les a vus grandir. Maintenant on les lâche dans leur vie d'adulte".
Devant les vitres du hall d'entrée, quelques candidats sont arrivés bien en avance. Fébriles. "Moi je connais les résultats depuis hier soir, sourit la proviseure Christine Barbe. On a travaillé jusque tard hier soir pour dresser la liste. C'est mon vingtième bac comme cheffe d'établissement. On a le coeur qui bat aussi. Cela reste un moment particulier." À l'heure d'internet et des réseaux sociaux, elle a son petit truc pour assurer la survie de ce rituel : "maintenant tout est en ligne à 10h. Alors j'affiche les résultats avec quelques minutes d'avance. Cela incite les élèves à se déplacer. Je tiens à ce qu'ils viennent : les résultats du bac, c'est une émotion marquante."
Attention, sensations fortes.
L'affaire est rôdée : à 9h45, les panneaux sont posés derrière les baies vitrées. Quelques paires d'yeux inquiets et curieux scannent les listes de noms. "C'est notre journée kiss and cry", prévient Fabrice Guincestre, le proviseur-adjoint. Un bref silence. Puis des cris, des étreintes. Comme chaque année. La petite cohue est mouvante. Ceux qui ont pris connaissance de la sentence s'en extraient, parfois en larmes. Ils croisent des camarades anxieux qui se fraient un passage vers la délivrance, en s'aidant d'un bras, la main agrippée au smartphone.
Je pensais rester chez moi et regarder sur internet. Finalement je me suis dit que ce serait mieux de venir. Mais je ne pensais vraiment pas que ça me ferait ça.
Elle sanglotte, elle tremble. Sarah est incapable de parler. "Je ne pensais pas l'avoir". C'est donc de la joie, du soulagement, du vertige peut-être. Jeanne-Marie l'épaule. Les amies sont faites pour ça. "J'ai une mention Bien. Je suis contente. Je pensais rester chez moi et regarder sur internet. Finalement je me suis dit que ce serait mieux de venir. Mais je ne pensais vraiment pas que ça me ferait ça." Un peu à l'écart, Mathilde savoure l'instant. Elle-a-le-bac ! "J'ai fait une insomnie cette nuit. Deux semaines d'attente... J'avais hâte de retrouver les copines. C'est vraiment une joie, et ça fait du bien de le montrer aux amis, et de les voirs contents aussi".
Un pont vers la vie d'adulte
"Ce sont des moments très forts. Moi, je revois mon lycée, je revois l'amie déçue parce qu'elle était collée. C'est un peu un rite initiatique", observe Sylviane Van Gyseghen, qui enseigne l'histoire-géo. "C'est important qu'ils partagent cela ici, renchérit Fabrice Guincestre. Ils ont vécu ensemble depuis la classe de seconde. Moi aussi, je me souviens du jour où je suis allé voir mes résultats il y a 45 ans. Je suis revenu voir ceux de ma fille il y a 20 ans. Et c'est toujours pareil. C'est un moment fort à vivre. L'humain prend le dessus sur le smartphone, même si le naturel reprend vite le dessus..."
Bac en poche ! Au revoir fresnel ???
— ???? & ????? (@emmy_dchr) 5 juillet 2019
"J'en ai le frisson !" Corine Hazan enseigne la marketique. Les années passent, les élèves aussi. Mais le moment reste toujours aussi intense. Beaucoup de profs font donc en sorte d'assister à cette scène qui referme une année d'enseignement, et même un cycle. Sylviane Van Gyseghen résume : "après, on les lâche dans leur vie d'adulte".
Les lycéens ont tourné les talons. Certains trâinent un peu dans un cour inondée de soleil. Ils savourent l'instant avec des amis, avec leurs parents. D'autres partagent la nouvelle sur leur smartphone. Des blouses blanches et rose s'avencent discètement devant les panneaux d'affichage. "On vient voir les noms des élèves qu'on connaît". Patricia est agent d'entretien. Elle fait le ménage dans les classes, et à l'internat. Bruno se tient à ses côtés. Lui s'occupe du gymnase. "Tous les ans, on vient voir si nos chouchous ont le bac". Derrière lui, deux adolescentes s'étreignent. Leurs yeux sont embués.
Le lycée, c'est un peu une famille. On les a eus trois ans. On les voit grandir. Ça fait plaisir de les voir heureux.
D'autres sanglots. Des mines défaites. La proviseure est sortie dans la cour afin de réconforter les élèves qui devront en passer par les oraux de rattrapage lundi. "Certains vont passer un drôle de week-end, dit Christine Barbe avec tendresse. Pour cette raison, j'insiste pour que les élèves soient présents au moment des résultats. On peut les consoler et aider". À l'étage, des profs assurent une permanence. "Nous leur donnons les relevés de notes. communique les notes. On leur donne des conseils sur les épreuves qu'ils doivent choisir, sur l'attitude à tenir, sur la posture, égrène Sylviane Van Gyseghen. Parce qu'on les connait bien nos élèves..."
La cour se dégarnit. La proviseure observe ceux qui sont déjà ses anciens élèves. "Ils vont partir. Certains vont quitter leurs parents. C'est un moment particulier, parce que c'est peut-être la dernière fois qu'on les voit" dit Christine Barbe avec un brin de mélancolie. "L'établissement se vide. D'habitude, il résonne de conciliabules et de mouvements. Là je vais me retrouver à préparer la rentrée dans ce grand bâtiment silencieux."