Depuis les années 1980, le "team building" est la solution miracle pour favoriser la cohésion en entreprise. Pourtant, une enquête menée par un sociologue de l’EM Normandie révèle que ces activités rebutent les jeunes diplômés, en plus de manquer de faire leurs preuves.
La notion de sens au travail est une préoccupation montante dans les entreprises, bousculées par la "grande démission" des salariés après la pandémie de Covid-19. Dans ce contexte, les jeunes diplômés dénoncent les "absurdités" des programmes de "team building" dans leurs sociétés. C’est ce que révèle une enquête menée par Xavier Philippe, sociologue du travail et professeur à l’EM Normandie, aux côtés de Thomas Simon, enseignant à la Montpellier Business School.
Que penser du #TeamBuilding en 2023 ? Si les entreprises le voient comme une expérience amusante, les jeunes diplômés perçoivent plutôt des séminaires « ridicules » et « gênants ». L'étude de X. Philippe (@EMNormandie) sur @FR_Conversation 👇🏼https://t.co/QPjNzHV6cj
— Laboratoire Métis - EM Normandie (@EMNormandieLab) December 7, 2023
Les deux chercheurs ont mené des entretiens auprès de plus d’une trentaine de jeunes diplômés d’écoles de commerce et d’ingénieur. Leur étude a été publiée dans la Revue internationale de psychosociologie et de gestion des comportements organisationnels. Il en ressort que "les jeunes diplômés trouvent souvent le team building ridicule", avance sans ambages Xavier Philippe. "Ils ne voient pas l'intérêt d'aller auprès d'animaux, de se mettre dans des chariots. Ça n'a pas de sens pour eux et ça les met mal à l'aise", détaille-t-il, lui-même issu d’une école de commerce.
Les jeunes diplômés trouvent souvent le team building ridicule. Ça n'a pas de sens pour eux et ça les met mal à l'aise.
Xavier Philippe, sociologue du travailà France 3 Normandie
Scepticisme général
Pensées comme des solutions miracles pour réenchanter la vie d’entreprise en favorisant la cohésion entre collègues, les activités de team building ont fleuri depuis les années 1980. Entre chasses au trésor, escape games, cours de samba et jeux de cartes, 77% des entreprises y ont recours, selon l’Ipsos. Des prestataires proposent même d’organiser des journées d’activités clé en main. Pourtant, "il n'y a pas vraiment d'étude qui essaie de mesurer la pertinence du team building", explique Xavier Philippe, qui a donc voulu apporter sa pierre à l’édifice avec cette enquête.
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L’analyse des témoignages met en lumière les idées reçues sur les sessions de team building. "On pense qu’il suffit de mettre ensemble des gens, de faire une activité pour que la cohésion se fasse. Nos résultats ont tendance à montrer le contraire", explique le chercheur de l’EM Normandie. "L’injonction permanente au fun sur lesquelles ces sessions reposent a un effet contre-productif sur les participants. En brouillant les cartes entre amusement et travail, le team building peut faire surgir des sentiments de dissonance chez les collaborateurs, sources d’inconfort".
L’injonction permanente au fun sur lesquelles ces sessions reposent a un effet contre-productif.
Xavier Philippe, sociologue du travailà France 3 Normandie
Pire : en se focalisant sur la bonne humeur, ces activités risquent de mettre les problèmes internes sous le tapis, plutôt que d’y répondre. "Je ne connais pas de team building ayant apporté une solution sur des problèmes de fond", témoigne une jeune diplômée dans l’étude.
"Ils plaident pour l'informel"
Toute tentative de créer la cohésion d’équipe n’est cependant pas vaine, informe la recherche de Xavier Philippe et Thomas Simon. Mais "mieux vaut un évènement spontané, venant de la base", avancent-ils : "On ne remet pas en cause le principe du team building, plutôt son organisation".
La solution pour des moments d’équipes réussis, ce sont les salariés eux-mêmes qui la donnent : les jeunes actifs avancent l’idée que le team building serait plus agréable s’il n’était pas imposé. "Ils plaident pour de l’informel", souligne Xavier Philippe. "On ne résoudra pas les problèmes concrets que pose le travail réel en transformant les entreprises en bac à sable", concluent, avec un peu de sévérité, les deux chercheurs.