Scholastique Mukasonga : "le coronavirus doit être un électrochoc pour recréer de la solidarité"

Confinée sur la côte de nacre, Scholastique Mukasonga continue de travailler pour ses "protégés". Assistante sociale et romancière, couronnée du prix Renaudot, la rwandaise et tutsie de Normandie espère que cette crise sanitaire marquera un tournant dans notre relation à l'autre mais pas seulement.

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Scholastique Mukasonga est un rayon de soleil, capable d'illuminer un dimanche matin, pluvieux. L'écouter fait du bien. Et ce n'est pas un hasard si cette assistante sociale consacre sa vie à aider son prochain.

C'est une ambassadrice de la résilience. A chaque épreuve, elle se rélève, toujours plus forte. La perte d'une partie de sa famille lors du génocide au Rwanda, en 1994. La maladie d'un de ses enfants, quand il était petit. Pour elle, les voeux de bonne santé en janvier ne sont pas des paroles en l'air. 


Cette épidémie nous fait prendre conscience que notre santé dépend de notre voisin et de notre environnement. Cela va forcément changer notre rapport à l'autre, à la nature et à la vie tout simplement. Nous avons été trop loin. Nous étions devenus artificiels, déconnectés de certaines réalités. On avait oublié que nous étions de simples humains, pouvant nous contenter de peu. C'est comme un électrochoc qui nous amène à tout repenser. Scholastique Mukasonga


Scholastique Mukasonga pense avant tout aux soignants, qui réclamaient à cor et à cri, depuis des années, des moyens humains. "Combien de fois les professionnels de santé ont-ils tiré l'alarme ? Combien de fois on a voulu ne rien entendre ? Si on avait su le faire, en serions-nous là aujourd'hui ?"
 

Au Rwanda, le génocide nous appris à faire bloc, tous ensemble

 


Celle qui a fait une rentrée éblouissante dans le milieu littéraire, avec son récit autobiographique "Notre-Dame-du Nil", prix Renaudot en 2012, ne peut s'empêcher de revenir à ses racines : le Rwanda. Elle s'excuse même, alors que franchement ...

L'énergie et la combativité du peuple rwandais, face à cette épidémie, nous invitent à l'humilité. 

"Le génocide nous a donné un réflexe de réactivité, de créativité et de solidarité surtout. Si bien qu'aujourd'hui, nous sommes l'un des rares pays africains à n'avoir aucun décès lié au covid-19. Et c'est lié."

Son frère, médecin virologue, lui a raconté toute la mobilisation du pays. Dans les campagnes, tout le monde porte un masque. Les habitants ont fait des concessions. Et le gouvernement aussi.
 

Les salaires des ministres ont été gelés. Pendant un mois, ils n'ont pas touché un sou et ça a permis d'investir dans des drones, qui ont apporté des médicaments, même dans les endroits le plus reculés. Ils se sont équipés de robots dans les hôpitaux, pour être auprès des malades. Ils ont eu ce réflexe de sortir de l'égoïsme et de faire bloc tous ensemble.

 
 

"Il faudrait commémorer le 11 mai pour ne pas oublier"


Cette solidarité, Scholastique Mukasonga l'aperçoit aussi en France, où tous les soirs, à 20 heures, les applaudissements donnent du baume au coeur des soignants. Le pays s'était aussi rassemblé après les attentats de Charlie Hebdo. A chaque traumatisme, la nation sait faire corps mais l'oubli guette aussi.

"Je n'y crois pas. Il y a un message fort derrière et on ne peut pas oublier. Il faut être vigilant. Et pourquoi ne pas déterminer un jour de commémoration, comme le 11 mai, pour que chaque année, on pense à tous ces enseignements ?

L'hôpital doit devenir prioritaire. Il faut que nous apprenions à faire des concessions, à penser à l'autre et à recréer une solidarité. C'est incontournable."


La tutsie de Normandie se souvient alors de ses visites dans les campagnes du Calvados, comme assistante sociale. Les grands-mères savaient se contenter de peu. Un héritage de la guerre.

"Chaque évènement nous laisse un enseignement, un réflexe. On a toujours traîné des pieds sur l'écologie. Et puis le confinement nous a fait goûter l'air pur. Plus de bruit. Plus de pollution. Il faut s'en souvenir.

Le Rwanda est un modèle de propreté, pourquoi à votre avis ? A chaque fois, les visiteurs sont estomaqués de constater l'effet de la politique "zéro plastique".

Mais c'est parce qu'au lendemain du génocide, les rues étaient jonchées de cadavres et d'asticots. Et c'est devenu une forme de manie d'être propre."


 
 

"J'ai retrouvé le sens de mon métier d'assistante sociale"


Ses succès littéraires ne lui ont pas fait tourner la tête. Son dernier roman "Kibogo est monté au ciel", paru en mars, enchante la critique.

De Jérôme Garcin, dans l'Obs, qui salue "la princesse Mukasonga" et ses talents de "conteuse" à Bernard Pivot qui qualifie son récit de "tendre, truculent et mordant".
 



Mais jamais, elle n'a abandonné ses "protégés" pour se retrouver dans les salons dorés de Saint-Germain-des-Prés. 

"Schola", comme disent ses collègues, est restée assistante sociale. Le confinement l'a obligée à se réinventer pour maintenir le lien avec ces personnes fragiles et vulnérables. Paradoxalement, elle n'a jamais été aussi proche d'eux.

"J'ai retrouvé le sens de mon métier d'assistante sociale, que j'étais en train de perdre, à cause de l'informatique et d'internet. Souvent, on se parle par mail alors qu'on est face à face dans un bureau. On court après le temps, lors des visites. Tout est minuté.
 

Cette crise remet les pendules à l'heure, il faut revenir à l'humain. Prendre le temps d'écouter l'autre.


Alors que l'orage grogne sur la campagne normande, la très solaire Scholastique Mukasonga parvient à le faire taire en nous donnant le sourire. Et quand on lui demande d'où vient son énergie, elle répond :
 

Des autres, bien entendu. De mes protégés. Je ne peux pas faiblir devant eux. Je dois me montrer plus présente et rassurante. C'est un échange, vous savez. Ils m'aident beaucoup à relativiser.

 

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