Ukraine : au Mémorial de Caen, les démons du passé semblent s'échapper des vitrines pour refaire la une de l'actualité

En Normandie, le Mémorial pour la Paix ne se cantonne plus à la seconde guerre mondiale depuis 2002. Son directeur et ses visiteurs ont l'impression aujourd'hui de voir ressurgir une histoire qu'on pensait achevée en 1989 avec la chute du mur de Berlin.

Visiter le Mémorial de Caen n'est jamais une partie de plaisir. Entendez par là que les événements qui y sont relatés charrient leur lot de souffrances et de tragédies. Et de la première guerre mondiale jusqu'aux attentats du 11 septembre, l'humanité, souvent, ne s'y montre pas sous son meilleur jour. On arpente les allées du musée pour apprendre et se souvenir. Mais le souvenir implique une distance. Or ces derniers jours, la frontière entre passé et présent semble quelque peu se brouiller.

Inauguré en 1988, le Mémorial de Caen, appelé aussi Musée pour la Paix, s'est attaché à raconter aux nouvelles générations la seconde guerre mondiale dans sa globalité, des divisions naissantes jusqu'aux réconciliations, un long chemin pavé de larmes et de sang. Depuis 2002, des pages ont été rajoutées à ce grand livre d'histoire, celle du XXe siècle qui ne s'est pas arrêtée le 8 mai 1945. Les photos des chars dans les rues de Budapest en 1956 ou dans celles de Prague en 1968 ramènent ainsi les visiteurs à l'époque de la guerre froide, une époque qu'on croyait révolue avec la chute du mur de Berlin, dont des vestiges sont présentés au public. Autant d'images qui renvoient soudainement un écho pas si lointain. " On dit qu'on apprend de l'histoire mais pas forcément. Preuve en est", constate gravement  André Negropontes, venu passer des vacances en Normandie. " Mine de rien, le début de la seconde guerre mondiale, c'était dans un pays qu'on estimait être loin (invasion de la Pologne par l'armée allemande). Et j'ai l'impression que ça se reproduit aujourd'hui. J'ai un peu peur que ce soit un élément déclencheur, quelque chose de plus grand avec un front est contre l'ouest."  

Garder ses distances, c'est ce que tente de faire Anaëlle  Boudy. " J'essaye de suivre le gros de l'action, les informations principales mais en restant un petit peu plus éloignée quand même des informations qui sont martelées sans arrêt, des infos qui se répètent, qui se répètent, j'évite", nous confie cette professeure d'espagnol. Car, comme l'explique sa collègue Manon Fueyo, " c'est quelque chose qui fait peur : je me dis qu'au XXIe siècle, on en est encore réduit à des guerres." Et en observant les vitrines du musée, " même si on pense que c'est assez éloigné, j'ai l'impression que ce sont des sujets qui reviennent sans cesse.

"Un scénario ancien que nous pensions avoir oublié"

A la tête du Mémorial de Caen depuis 2005, Stéphane Grimaldi fait à peu près le même constat. " Ce qui se passe en Ukraine me fait penser qu'on a oublié 1989, la chute du mur, que c'est déjà une histoire un peu ancienne et que le monde va très très vite", estime le directeur du Musée pour la Paix, au regard de l'émotion mêlée d'incompréhension que suscite l'invasion russe en Ukraine. " Nous allons revenir à un scénario ancien que nous pensions avoir oublié. On voit bien que des tensions se créent depuis des années avec la Russie, on voit bien que des mêmes tensions se créent avec la Chine. Il y a une reconfiguration du monde qui est en train de s'opérer sous nos yeux. Et ça va durer très très longtemps. On est parti pour des guerres très longues.

A 2500 kilomètres du Musée pour la Paix, la guerre aujourd'hui fait rage. " Difficile de raconter la paix. Vous observerez qu’il n’existe d’ailleurs aucune histoire de la paix pour la simple et bonne raison qu’elle n’est pas racontable", confiait, l'an dernier, Stéphane Grimaldi à nos confrères de Ouest-France. A défaut de raconter la paix, il est possible de raconter la guerre pour tenter de la comprendre. " Poutine est un Russe. Comme beaucoup de Russes, il a une nostalgie d'une histoire russe qui n'est pas forcément l'histoire soviétique. Il a en mémoire l'histoire de son pays, ce grand pays, et la mer noire fait partie de sa géographie. Si on ne voit pas ça, on ne comprend pas non plus très bien pourquoi ils sont allés en Ukraine. Il y a un monde slave comme il y a un monde occidental. Ce sont des mondes différents, qui se sont côtoyés, qui se sont battus, aimés, qui ont commercé pendant des siècles."

Quand la mémoire joue des tours

Sin on peut apprendre de l'histoire, la mémoire peut parfois se révéler être une prison, empêchant de voir le monde évoluer. " En fait, Poutine fait fi de l'histoire récente de l'Uktaine depuis 1991 où l'Ukraine est devenue une nation", explique Stéphane Grimaldi, " Il fait fi du nationalisme ukrainien. Si l'Ukraine résiste - je ne sais pas encore combien de temps elle va résister- c'est bien parce qu'il y a un peuple ukrainien qui ne veut pas de cette invasion d'un pays frère."

Ces tensions entre ces deux ex républiques soviétiques, le Mémorial de Caen s'en fait l'écho depuis déjà plusieurs années. En 2015 déjà, avec la fondation Warm (Fondation internationale sur les conflits contemporains), le musée normand avait organisé une conférence consacrée à la guerre dans le Donbass en présence du photographe Guillaume Herbaut et du journaliste du  Monde Benoît Vitkine. " Ce que j'ai compris, en allant plusieurs fois dans ce pays, c'est que les Ukrainiens sont avant tout ukrainiens avec en plus, ce que Poutine ne supporte pas, une vraie tentation occidentale que vous voyez dans la rue, dans la manière dont les gens s'habillent, dans les restaurants. Kiev est une ville moderne qui ressemble à toutes les villes occidentales", raconte Stéphane Grimaldi, " Les Ukrainiens sont des gens qui veulent se rapprocher de l'Europe occidentale et ça, Poutine ne le supporte pas. Si loin et pourtant si proches.

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