Presque quatre mois après la fermeture brutale de son restaurant pour raison de sécurité, le chef étoilé Anthony Caillot cherche toujours un endroit à Caen ou ses environs pour rouvrir A Contre Sens.
Lundi 9 octobre 2023, l'annonce tombe comme un couperet. Les deux immeubles situés aux 8 et 10 rue des Croisiers à Caen menacent de s'effondrer. Les locataires sont sommés de quitter les lieux. Parmi eux, le restaurant étoilé A Contre Sens, établi ici depuis 14 ans. Le maire de Caen leur laisse une semaine pour tout vider. "Un moment affreux", pour le chef Anthony Caillot et toute son équipe.
On a beau avoir une équipe, un savoir-faire, sans lieu, on n’est rien.
Anthony Caillot, chef et propriétaire du restaurant A Contre Sens
Quatre mois après, Anthony Caillot arrive enfin à en parler, et se remet petit à petit à cuisiner. "J'ai été très touché. Il y a encore cette colère qui m’empêche de me libérer totalement. J’y travaille et on m’aide." Il y a la colère d'avoir été chassé brutalement, du jour au lendemain, d'un immeuble toujours peu sécurisé pour les passants. L'incompréhension d'avoir pu racheter le "Boeuf Ferré" en 2017, pour agrandir son restaurant, alors que l'immeuble n'était sans doute pas sûr. Et l'angoisse d'avoir investi dans deux fonds de commerce dans des immeubles différents, qui risquent aujourd'hui tous les deux de s'effondrer. Des fonds de commerce qu'il n'a pas fini de payer.
"On a construit A Contre Sens avec notre cœur, notre émotion"
Aux côtés d'Anthony Caillot, il y a sa femme, Cindy, qui s'occupe de la comptabilité, des ressources humaines, des relations client et de tout ce qui ne se voit pas. "Elle est très combattive et positive", mais le chef avoue, lui, avoir eu "un moment psychologique très compliqué."
La cuisine, c’est tout mon univers, quand on m'a retiré mon joujou, ça a été très compliqué.
Anthony Caillot, chef et propriétaire du restaurant A Contre Sens
Ils ont reçu beaucoup de mails de soutien de leurs clients et ont décidé de se battre. Ils ont appris la semaine dernière que leur assurance devrait prendre en charge le préjudice. Un premier soulagement, après quatre mois d'angoisse.
Depuis le mois d'octobre, leurs huit salariés et leurs huit alternants sont au chômage partiel. L'entreprise a choisi de prendre en charge les 20% manquants pour payer les salaires, et ainsi garder son équipe. "A Contre Sens, c'est Anthony et Cindy Caillot, et toute son équipe". Pour le chef, pas question de redémarrer sans son équipe au complet. Mais l'argent reste le nerf de la galère et Anthony Caillot se trouve aujourd'hui dans l'incapacité de racheter autre chose. Seule solution envisageable : la location.
"J’ai repris de l’énergie. De nouveau, on se projette dans la suite. Comment ? Je ne sais pas."
Anthony Caillot cherche un lieu pour rouvrir son restaurant, mais pour l'instant, rien ne correspond à l'âme de ce lieu situé aux 8-10 rue des Croisiers, dans cette "ruelle de Caen qui a une histoire".
Dans ce lieu, il y avait quelque chose, ça ne ressemblait à rien d’autre à Caen. Dans une autre cuisine, les sensations ne sont pas les mêmes. J'ai visité des endroits qui ne provoquent rien.
Anthony Caillot, chef et propriétaire du restaurant A Contre Sens
Les biens en location sont rares. Ils ont visité des endroits à Falaise, Bénouville et Ouistreham. Mais Anthony Caillot ne souhaite pas retourner en bord de mer, là où il a travaillé pendant 25 ans. Les conditions de travail n'y seraient pas les mêmes pour ses salariés. "Si on va en bord de mer, les équipes ne vont pas suivre."
La mairie de Caen les accompagne dans leurs recherches, et leur a notamment proposé le WIP à Colombelles, ce tiers-lieu qui a fermé ses portes en juillet 2023 sur l'ancien site de la SMN. Un lieu qui ne correspond pas à la clientèle de ce restaurant étoilé.
"On risque de perdre notre étoile"
A Contre Sens fait partie des deux seuls restaurants étoilés de Caen, l'autre étoilé étant Yvan Vautier, situé Avenue Henri Chéron. Anthony Caillot a obtenu son étoile en 2012, mais sans restaurant, il risque de la perdre.
"Michelin nous a déjà appelé deux fois, en nous informant que le guide sortait fin février et que si on n’y était pas d'ici fin janvier, ils ne pourraient pas nous mettre dans le guide."
Mais pour ce chef, cela reste secondaire. Ce qu'il souhaite, c'est retrouver l'âme de son restaurant.
"Moi, mon moyen d’expression, c’est la cuisine. J'ai besoin de donner de l’émotion à mes clients." Sous quelle forme ? Aujourd'hui, Anthony Caillot ne le sait pas encore, mais il espère trouver une solution dans les deux mois à venir. Ce sera alors la fin de la période des six mois de chômage partiel auxquels ses salariés ont droit.