L'université de Caen vient de mettre en ligne une vidéo montrant le travail des archéologues qui se ont eu le privilège d'étudier ce trésor unique en Europe : en 2011, dans la Manche, un particulier a retrouvé un pot contenant 14 528 pièces datant de la fin de l'empire romain.
Les plus extraordinaires découvertes sont souvent le fruit du hasard. Le trésor de Saint-Germain de Varreville est mis au jour en 2011 à la faveur de travaux agricoles. Un objet étrange apparaît dans la terre grisâtre, un sorte de grosse boule recouverte de boue. Elle ne fait pas penser à une munition de la seconde guerre mondiale, comme il est fréquent d'en retrouver dans la région. En y regardant de plus près, l'agriculteur découvre une espèce de pot dont l'ouverture brisée laisse apparaître un amoncellement de pièces.
Il faut à ce stade souligner le reflexe civique de cet "inventeur de trésor" qui ne cherche pas à en découvrir davantage. Les autorités sont prévenues. Commence alors une aventure archéologique et scientifique unique. "Cela n'arrivera pas deux fois dans la ma carrière", sourit Pierre-Marie Guihard, le responsable du service de numismatique de l'université de Caen (Centre Michel de Bouärd, Craham).
Un bas de laine au bas empire : dix ans d'économies en petite monnaie
Des recherches sont menées sur les lieux de la découverte. Les archéologues ne retrouvent rien, aucune trace d'habitation, aucun indice de présence humaine. L'hypothèse d'une cache est alors privilégiée : quelqu'un aurait enfoui de l'argent, pour le mettre en lieu sûr, pour le soustraire aux regards, aux convoitises. S'agit-il d'un butin, d'une tirelire, de la trésorerie cachée d'un commerçant ? Quelle est la valeur du magot ? La découverte soulève bien des questions pour former une énigme.
#FDS2019 Dans les coulisses de la recherche au CRAHAM à #Caen samedi 5 octobre : Archéologues et historiens ouvrent les portes de leur laboratoire pour faire découvrir au public leurs activités de recherche et leurs métiers @umr_craham
— CNRS Normandie (@CNRS_Normandie) September 30, 2019
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Les archéologues décident ensuite d'explorer le trésor. "Nous avons effectué une fouille archéologique à l'échelle d'un pot", raconte Pierre-Marie Guihard. Les travaux durent deux semaines, au cours de l'été 2012. De prime abord, les pièces semblent former un bloc. Elles sont agglomérées entre elles par la corrosion. Mais "nous avons constaté que des monnaies étalées à plat (...) cohabitaient avec des séries de monnaies inclinées sur la tranche, et souvent très concrétionnées, constituant des ensembles de tailles et de formes variables, aux contours nets et arrondis" écrivent Pierre-Marie Guihard, Cécile Allinne et Éric Broine dans un article scientifique. Des pièces devaient donc être contenues dans des sacs. Le temps a fini par avaler le tissu.
L'université de Caen a filmé la fouilles effectuée sur le trésor :
Les pièces en bronze sont détachées, une à une, et nettoyées. Elles datent de la première moitié du IVe siècle, ce qui correspond à la fin de l'empire romain. Le service de numismatique en a dénombré plus de 14 000... "Nous avons regardé quel empereur figure sur les pièces, explique Pierre-Marie Guihard. Beaucoup ont été frappées à Trève, dans l'actuelle Allemagne, mais aussi à Lyon et à Arles. Les dates nous permettent d'affirmer que ces pièces de monnaie ont été accumulées en une dizaine d'années".
En 2013, les archéologues avaient livré leurs premières conclusions dans ce reportage de France 3 Normandie :
La tésorisation est une pratique vieille comme l'argent. Xenophon, philosophe et historien grec du Ve siècle avant JC y voyait un trait de l'esprit humain :
Si l'on possède une grande quantité d'argent, on ne prend pas moins de plaisir à enfouir le surplus qu'à en faire usage
Le trésor serait donc une tirelire, dans laquelle quelqu'un a entassé ses économies, des nummus, de la menue monnaie accumulée au fil des ans. "C'était probablement une cachette, de la part de quelqu'un qui était mêlé à des activités financières. Peut-être un commerçant", explique Pierre-Marie Guihard. Huit ans après la découverte, l'étude numismatique est toujours en cours. Chaque pièce font chacune l'objet d'observations précises. "Nous en avons étudié plus de la moitié". Il reste donc quelques années de travail.
Le trésor est entré au musée
Ce bas de laine constitué à la fin de l'empire romain est un témoignage précieux. Il renseigne sur l'usage quotidien des pièces de monnaie pour les échanges. "L'économie était très monétarisée", insiste Pierre-Marie Guihard. En 2015, le trésor est entré dans les collections du musée de Normandie à Caen. Il est depuis exposé dans les salles évoquant la préhistoire et l'antiquité. Cet intrigant trésor sera prêté au musée des Antiquités de Rouen pour l’exposition « Mon précieux » du 24 novembre 2019 au 23 février 2020.