Monji Essana témoigne du traumatisme psychologique subi après un acte de violence policière survenu le 26 mai 2016 à Caen. Le policier avait été condamné à deux mois de prison avec sursis, sans inscription au casier judiciaire.
Nous avons rencontré Monji Essana au TGI de Caen avant que sa demande des dommages et intérêts au titre du préjudice subi ne soit examinée. La décision sera rendue dans un délibéré ultérieur.
Comment allez-vous aujourd'hui, nous sommes plus de 2 ans après les faits, le policier auteur a été condamné, est-ce derrière vous?
Depuis 15 jours, je vais moins bien car l'échéance de ce nouvel épisode judiciaire me travaille, me réveille la nuit. Pourtant ces derniers mois, j'ai l'impression d'aller mieux. Après avoir vécu une violente dépression. Les larmes aux yeux dans différentes situations, des crises de larmes imprévues...Concrètement, mon état psychologique a eu de fortes conséquences physiques, après un trauma comme celui que j'ai vécu, j'ai somatisé. Je ne pouvais plus marcher, je boîtais, j'avais des douleurs lombaires, mal aux hanches, aux épaules, je ne pouvais plus conduire ma voiture, je ne supportais plus le contact d'un pantalon, j'étais en jogging tout le temps. J'ai passé des scanners, y avait rien. C'est le traumatisme qui me mettait dans cet état. Le travail avec un psy m'a permit de me soulager physiquement.
Aujourd'hui, j'essaye d'occulter ce qui s'est passé, de ne plus y penser, j'essaye de le rayer de ma mémoire.
Peut-on selon vous maîtriser un tel traumatisme?
Je crois que non. Surtout, ce qui est fou, c'est que je n'ai pas pu répondre physiquement. J'ai été frappé par derrière, dans le dos, au sol, un véritable acharnement. A un moment, la seule chose que je me suis dit, c'est "mets toi en boule, protège ton ventre" tandis qu'il me collait des coups de bottes dans la poitrine. Je me suis préparé à ramasser et j'ai ramassé.
La scène de violence policière a été filmée, vous l'avez visionné. Quelle rôle cette vidéo a joué pour vous d'un point de vue psychologique?
D'abord, j'ai porté plainte avant de savoir que cette vidéo existait. Et puis je l'ai vu. Je me suis vu. Je me suis senti minable, humilié, tabassé comme un voyou. Et puis je l'ai rereregardé. Ca m'a permit de refaire le film de façon globale car moi, j'étais au sol, j'ai le souvenir d'avoir ensuite le choix entre encore de la matraque et un énorme nuage de gaz lacrymo. La vidéo, ça m'a aidé ensuite et surtout c'était accablant pour le policier. Je n'ai pas compris quand certains media ont flouté le policier. Moi je suis la victime, mon nom et mon visage, y a une étiquette dessus désormais. Le policier condamné qui s'acharne à lui eu le droit à un traitement bien plus anonymisé!
Qu'est ce que vous gardez aujourd'hui de cet épisode traumatique?
Un beau décollement de la plèvre! Et puis que j'ai eu du sang-froid, de la ténacité. Vous savez, affronter le ministère de l'Intérieur, l'Etat, c'est dur. On a essayé de réécrire l'histoire en racontant que j'avais des trucs bizarres dans mon sac. Je rappelle que j'étais simplement assis sur un banc en train de remettre mes lunettes. Je garde en mémoire l'officier qui m'a reçu au commissariat, quand il a vu mon état, il a tout de suite demandé à un photographe de faire des clichés des coups. Quelqu'un de bien. Mais aujourd'hui, j'éprouve de la méfiance quand je croise un policier, ça devient vite irrationnel, je me dis que tout peut arriver.
J'ai des regrets aussi. Je voulais obtenir que ce policier ne soit plus sur le terrain, il l'est toujours, qu'il s'explique et qu'il s'excuse. Ca n'arrivera jamais. pourquoi a-t-il fait ça? Sur ordre, par zèle, par peur, a-t-il pété les plombs? Je reste avec ces questions sans réponses.
Récit du procès Jérôme Ragueneau septembre 2016: