Ce sont des souvenirs de plage, de grand air et de vie en collectivité. Jean-Jacques se souvient de la sieste obligatoire et du sable qui s'infiltrait partout, jusque dans les tartines. La colonie de vacances, joyeuse et spartiate était "un apprentissage de la vie".
Il fut un temps, pas si lointain, où les gamins étaient lâchés dans la nature, sans que quiconque n'y trouve à redire. "On était des bandes d'enfants", raconte Jean-Jacques, né en 1949, à Venoix près de Caen. C'était un quartier de baraques où les sinistrés de la guerre avaient été relogés. "Des UK 100 fabriqués dans le Connecticut, bien conçus avec un poêle central, une cuisine, une salle de bains et des toilettes". Le provisoire a duré une bonne quinzaine d'années. "Il y en avait des dizaines et des dizaines. Dans ce quartier de bungalows, on jouait toujours ensemble. Nous étions toujours dehors".
L'été, Jean-Jacques se souvient que "jusqu'au 14 juillet, nous avions des activités à l'école avec notre instituteur. Il ne faisait pas la classe, mais des jeux collectifs, des sorties natures". L'été, c'était aussi le cahier de vacances, les séjours chez les grands-parents. "Je me souviens aussi de la pêche à pied avec mon père. On allait aux étrilles à Saint-Aubin, c'était extraordinaire". L'été, c'était enfin et surtout la colonie de vacances : un mois loin des baraques, au grand air, à la mer, dans le sable.
Il s'appelle : "Ne rétrécit pas"
"Le voyage se faisait en autocar. Le départ était à la gare routière. C'était un car Chausson, je le revois encore. Il y avait une galerie pour mettre les valises sur le toit. Je me souviens des odeurs de skaï et de gazole que je n'aimais pas parce que j'ai un peu le mal des transports. Le trajet durait à peu près une heure et on arrivait à Courseulles-sur-Mer".
"Nous étions logés dans un grand bâtiment de forme un peu normande avec de faux colombages. C'était une colo de l'UNCMT (Union Normande des Centres Maritimes et Touristiques, NDLR). Il y avait de grands dortoirs avec des lits en tubes métalliques. On arrivait avec notre linge marqué. Avant de partir, les parents faisaient faire un ruban de tissu avec notre nom qu'on cousait ensuite dans le col. Je me souviens que les animateurs regardaient dans notre col pour savoir qui on était. Un jour, il y en a un qui a dit : lui, il s'appelle Ne rétrécit pas !"
Il y avait encore quelque chose du Front populaire
"La vie était cadrée. Le matin était occupé par des jeux. Cela tournait toujours autour d'une règle qu'il fallait observer. Il y avait des chants. Je peux encore vous chanter À la vue du grand arbre. Je me souviens avoir joué Davy Crockett au théâtre. Dans ces années 50, il y avait encore quelque chose du Front populaire avec une ambition éducative et émancipatrice pour l'enfant. Parfois, on retrouvait notre instituteur comme directeur de colo".
"Au repas, on servait des choses qu'on ne pourrait sans doute plus donner à manger aux enfants d'aujourd'hui. Des choses nous faisaient horreur, comme le pilchard (du hareng à la sauce tomate, ndlr)
et la macédoine de légumes en boîte de 5 kg. On détestait, mais il fallait manger et je pense qu'il n'était pas autorisé d'en laisser dans l'assiette. Ensuite, c'était la sieste. Nous dormions si un animateur restait avec nous. Sinon, c'était le chahut".
"Il n'y a que la laine qui tient chaud, même quand c'est mouillé"
"L'après-midi, nous allions à la plage. Un moniteur délimitait un rectangle dans l'eau avec des flotteurs. On n'avait pas le droit d'en sortir. Quand il ne faisait pas beau, pareil, mais la météo, les gamins n'y font pas attention. Certains d'entre nous se baignaient avec des maillots de bain en laine tricotés par leur maman. Vous imaginez ce que ça peut faire après la baignade... Ma grand-mère me disait qu'il n'y a que la laine qui tient chaud, même quand c'est mouillé".
(Reportage réalisé dans les années 1960 à Jullouville)
"Ensuite, nous prenions le goûter sur la plage. Il n'y avait pas les cochonneries emballées d'aujourd'hui. C'était une tartine de pain avec une barre de chocolat ou une pâte de fruit. Je pense que tout le monde a encore en mémoire cette sensation désagréable du sable qui grince sous la dent. Le sable allait partout, dans la laine du maillot de bain et dans la mie du pain".
"C'était un mois au grand air. Parfois je trouvais ça long, mais c'est comme cela que l'on devient un être social. Aujourd'hui, les enfants sont protégés de tout. Il faut qu'ils ne rencontrent aucune difficulté et surtout qu'il ne leur arrive rien. En colonie de vacances, il y avait des moments heureux, d'autres beaucoup moins, mais dans ces années-là, on nous laissait affronter des choses difficiles. Je ne le regrette pas. Cela vous construit."