David Hockney peint le printemps dans sa maison en Normandie

L'artiste britannique a choisi de s'installer dans le Pays d'Auge pour y peindre l'éclosion du printemps à laquelle il assiste dans son jardin. Le peintre le plus cher du monde en a déjà tiré une centaine de tableaux. Entretien exclusif.

Oui, David Hockney possède bien une maison en Normandie depuis quelques mois. Et, ce n'est pas trahir un secret, elle est située près de Beuvron-en-Auge. Dans ce bourg classé parmi les plus beaux villages de France, le peintre aujourd'hui âgé de 82 ans a ses petites habitudes. "Je l'ai vu trois ou quatre fois l'été dernier, confie Jean-Jacques, l'un des 190 habitants. C'est un homme assez discret. Un Monsieur avec sa voiture, son chauffeur. Mais pas farouche du tout".

L'artiste britannique a séjourné dans le coin durant quelques mois en 2019, assez longtemps pour devenir un client régulier dans quelques restaurants. Il est revenu s'y installer cet hiver. "Il vient ici chercher le calme, il faut respecter son anonymat. Il ne faut pas l'embêter, sinon on va le faire fuir, dit cet autre habitant que le souvenir de leur dernière rencontre fait encore sourire : je l'ai rencontré il y a deux mois et demi. Le bourg était en travaux. Je lui ai expliqué pourquoi. Il m'a répondu : heureusement que je l'ai peint avant !"

Une équipe de France 3 Normandie a vainement tenté de le rencontrer. Après une petite partie de cache-cache, David Hockney a accepté de fournir une vidéo par l'intermédiaire d'un de ses amis. "Je suis venu en Normandie pour les fleurs", dit-il. Reportage de Florent Turpin et Guillaume Le Gouic.
 

L'artiste britannique réside dans le Pays d'Auge. Il s'y est installé pour assister à l'éclosion du printemps à laquelle il assiste dans son jardin. Il en a tiré une centaine de tableaux. ©France 3 Normandie



Le peintre contemporain le plus cher du monde


Cet homme presque ordinaire que les habitants de Beuvron prennent soin de ne pas importuner est aujourd'hui le peintre le plus couru sur le marché de l'art. En 2018, son tableau Portrait of an artist a été adjugé à plus de 90 millions de dollars américains, établissant alors un record absolu pour une oeuvre contemporaine. Et dire qu'il avait lui-même vendu cette oeuvre en 1972 pour... 20 000 dollars.
 


Ce peintre, dessinateur, photographe et illustrateur a longtemps vécu à Los Angeles où il a fait des piscines californiennes un de ses thèmes de prédilection. Mais cette ville l'enquiquine, parce que s'y appliquent des lois anti-tabac parmi les plus restrictives au monde. "Les Français savent vivre, ils s’y connaissent en plaisir" expliquait-il il y a quelques semaine dans le Wall Street Journal pour justifier son exil normand.


"Il a surtout voulu se mettre en retrait des lieux où il vit habituellement, Londres et Los Angeles, où il est très connu et où il est harcelé", explique son ami Jean Frémon, le pdg de la galerie Lelon qui expose régulièrement les oeuvres de l'artiste. Le galeriste et écrivain qui réside lui aussi près de Beuvron-en-Auge n'est pas pour rien dans la venue de David Hockney en Normandie.


"Souvenez-vous que personne ne peut annuler le printemps..." David Hockney

 

L'artiste entend surtout profiter de son havre de verdure pour peindre. "Je veux que mes œuvres soient vues. Mais moi, je n’ai pas à être vu", disait-il encore au journaliste du Wall Street Journal. Dans le Pays d'Auge, David Hockney tente de saisir cet environnement si peu commun avec celui de la Californie. Dans une vidéo qu'il nous a confiée par l'intermédiaire d'un de ses amis, il explique :
 

Je suis venu en Normandie parce qu'il y a plus de fleurs ici que dans le Yorkshire. Des fleurs dans les cerisiers, les pruniers, les pommiers. On a trouvé une maison tout simplement parfaite. Même pendant le confinement, je n'avais pas besoin de sortir.



David Hockney a entrepris de saisir l'éclosion du printemps, ce miracle de la nature sans cesse renouvelé. "J'ai commencé à dessiner les arbres en hiver. J'ai ensuite dessiné l'arrivée des premières fleurs, les feuilles qui garnissent les branches, puis les arbres tout en fleurs". En Normandie, le peintre s'est aussi inspiré d'une oeuvre qui le fascine : "j'ai réalisé 110 tableaux. Et comme dans la Tapisserie de Bayeux, il y a une narration, même s'il n'est pas question ici de raconter une bataille. Il y a un cheminement. Tout commence en hiver, et vous assistez à l'éclosion du printemps".
 

L'espoir au printemps : dessine comme David Hockney

 

Au début du mois, le Centre Pompidou, le théâtre du Chatelet et la radio France-Inter ont lancé un concours de dessin sur les réseaux sociaux. "Pas de limite d’âge, pas de prérequis, chacun est invité à se glisser dans les habits du peintre britannique et à s’inspirer de son arbre de printemps pour en proposer sa propre interprétation et la partager sur les réseaux sociaux sous le hashtag #HockneyPrintemps et/ou à l’envoyer à l’adresse mail : 

hockneyprintemps@sabir.paris


 

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Lettre de confinement de David Hockney : "Comme des idiots, nous avons perdu notre lien avec la nature..."


Dans cette lettre adressée à Ruth Mackenzie, directrice artistique du Châtelet, et diffusée le 16 avril 2020 sur France Inter, le peintre britannique esquisse les piliers d'une philosophie fondée sur la nature, l'amour et le réconfort. 




Nous sommes actuellement en Normandie, où nous avons séjourné pour la première fois l’année dernière. J’ai toujours eu en tête de m’organiser pour vivre ici l’arrivée du Printemps. Je suis confiné avec Jean-Pierre et Jonathan, et jusqu’ici tout va bien pour nous. Je dessine sur mon Ipad, un medium plus rapide que la peinture. J’y avais déjà eu recours voilà 10 ans, dans l’East Yorkshire, quand cette tablette était sortie. Avant cela, j’utilisais sur mon Iphone une application, Brushes, que je trouvais d’excellente qualité. Mais les prétendues améliorations apportées en 2015 la rendirent trop sophistiquée, et donc tout simplement inutilisable ! Depuis, un mathématicien de Leeds, en Angleterre, en a développé une sur mesure pour moi, plus pratique et grâce à laquelle j’arrive à peindre assez rapidement. Pour un dessinateur, la rapidité est clé, même si certains dessins peuvent me prendre quatre à cinq heures de travail.

Dès notre découverte de la Normandie, nous en sommes tombés amoureux, et l’envie m’est venue de peindre et de dessiner l’arrivée du printemps ici. On y trouve des poiriers, des pommiers, des cerisiers et des pruniers en fleur. Et aussi des aubépines et des prunelliers. 

J’ai immédiatement commencé à dessiner dans un carnet japonais tout ce qui entourait notre maison, puis la maison elle-même. Ces créations furent exposées à New York, en septembre 2019. Mais étant fumeur, je n'ai pas d’attirance pour New York et n’y ai jamais mis les pieds.

Nous sommes revenus en Normandie le 2 mars dernier et j’ai commencé à dessiner ces arbres décharnés sur mon IPad. Depuis que le virus a frappé, nous sommes confinés. Cela ne m’impacte que peu, mais JP et Jonathan, dont la famille est à Harrogate, sont plus affectés.

Qu’on le veuille ou non, nous sommes là pour un bout de temps. J’ai continué à dessiner ces arbres, desquels jaillissent désormais chaque jour un peu plus de bourgeons et de fleurs. Voilà où nous en sommes aujourd’hui.
Je ne cesse de partager ces dessins avec mes amis, qui en sont tous ravis, et cela me fait plaisir. Pendant ce temps, le virus, devenu fou et incontrôlable, se propage. Beaucoup me disent que ces dessins leur offrent un répit dans cette épreuve.

Pourquoi mes dessins sont-ils ressentis comme un répit dans ce tourbillon de nouvelles effrayantes ? Ils témoignent du cycle de la vie qui recommence ici avec le début du printemps. Je vais m’attacher à poursuivre ce travail maintenant que j’en ai mesuré l’importance. Ma vie me va, j’ai quelque chose à faire : peindre.

Comme des idiots, nous avons perdu notre lien avec la nature alors même que nous en faisons pleinement partie. Tout cela se terminera un jour. Alors, quelles leçons saurons-nous en tirer ? J’ai 83 ans, je vais mourir. On meurt parce qu’on naît. Les seules choses qui importent dans la vie, ce sont la nourriture et l’amour, dans cet ordre, et aussi notre petit chien Ruby. J’y crois sincèrement, et pour moi, la source de l’art se trouve dans l’amour. J’aime la vie.

Amitiés

D.  
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