Le rêve d'agriculteur de Kévin tourne au cauchemar : "si rien ne se passe, dans six mois je ne suis plus là"

Kévin Guillon, jeune éleveur laitier installé près de Coutances, a lancé sur internet une cagnotte pour tenter de sauver son exploitation. En quatre ans d'activité, il a enchaîné les difficultés et n'arrive plus à s'en sortir.

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"Je savais que j'allais en chier un peu mais pas à ce point là." En quatre ans, Kévin Guillon, bientôt 28 ans, est passé du rêve au cauchemar. Ce jeune éleveur laitier installé au Vernay, non loin de Coutances, lance aujourd'hui "un gros appel au secours". Comme on jette une bouteille à la mer, l'agriculteur a créé récemment sur internet une cagnotte pour tenter de s'en sortir. 

Pour Kévin Guillon, l'agriculture n'est pas une tradition mais une vocation. "Mes parents ne sont pas du tout de ce milieu." Son père est chauffeur routier, sa mère aide-soignante. Il a deux ans quand il quitte la région parisienne avec ses parents pour s'installer dans la Manche. Un événement qui va bouleverser sa vie et conditionner la suite de son existence. A proximité de la maison familiale, une ferme, celle du voisin, où très vite il se rend dès qu'il a du temps libre. "Depuis tout gamin, j'allais voir les bêtes."

C'est donc tout naturellement qu'en âge de choisir une voie professionnelle, Kévin se tourne vers l'agriculture : une formation en alternance à la Maison Familiale Rurale de La Haye-du-Puits et un bac CGEA (conduite gestion exploitation agricole) décroché à Granville. Pour l'épauler, lui qui ne vient pas d'une famille de paysan, Kévin peut compter sur son voisin qui sera son maître de stage et dont il reprend l'exploitation en 2016, à tout juste 24 ans.
 

"Quand vous avez 24 ans, vous foncez tête baissé"

Mais aujourd'hui, le jeune homme reconnait que tout est peut-être allé un peu trop vite. "Ce n'était pas prévu au départ que mon voisin parte en retraite aussi vite. Dès qu'il a su qu'il pouvait partir, on a lancé le parrainage. L'installation a été trop vite faite." 

Pour s'installer, Kévin bénéficie de la dotation aux jeunes agriculteurs (DJA) et de l'aide l'association Terres de liens qui fait l'acquisition pour lui de près de 11 hectares de terres. Mais l'éleveur se retrouve trop vite seul, à devoir assumer certaines dépenses qu'il n'avait pas prévues. "J'ai été obligé de remettre toute l'électricité aux normes." Pour autant, pas question pour lui de blâmer quelqu'un d'autre. "J'étais pressé. Quand vous avez 24 ans, vous foncez tête baissé."

Kévin veut aller vite et sait ce qu'il veut. "J'ai tout de suite voulu me lancer dans le bio, j'aime cette façon de travailler, et je suis plus vache que matériel, le tracteur ne me passionne pas plus que ça, je préfère être avec mes bêtes."

La conversion sera effective deux ans seulement après avoir repris l'exploitation. Mais entre-temps, les premières difficultés sont apparues. Une vingtaine de veaux meurent durant l'hiver 2017-2018 en l'espace d'un mois. "Trois maladies ont été détectées par le vétérinaire à l'autopsie." Un premier coup dur. Mais le jeune éleveur garde le moral. La nature s'en mêle alors.
 

"La première année a été la moins catastrophique"

A l'été 2018, Kévin Guillon prend de plein fouet sa première sécheresse. "La première année a été la moins catastrophique", raconte aujourd'hui l'éleveur laitier, "là, la sécheresse, je l'ai sentie passer."

Il est contraint de vendre une dizaine de bêtes pour pouvoir nourrir les autres. "Je n'avais pas la trésorerie pour racheter du foin." Une véritable spirale infernale s'enclenche. Bientôt, ce sont des cellules qui sont détectées dans le lait de ses animaux. Et l'été suivant (2019) est marqué par le retour de la sécheresse. "Je ne pouvais plus vendre de vaches. J'ai dû acheter pour 5000 euros de foin et les factures se sont accumulées."  

Le jeune éleveur est contraint de demander une restructuration de son prêt aux banques. Ce qui l'empêche de contracter un nouvel emprunt pour acquérir la maison qu'il louait jusqu'à présent et que son propriétaire a décidé de mettre en vente. Aujourd'hui, Kévin Guillon vit dans un mobile-home avec un bilan comptable dans le rouge. "J'ai droit à un découvert à - 8000 euros. Là je suis à - 15 000. Les fournisseurs, j'essaye de les faire patienter. Parfois, je me planque quand je les vois arriver à la ferme."
 

"la seule solution"

Sa dette, elle, s'élève à 39 830 euros. "Si je pouvais déjà remettre ça à jour, ce serait bien." Kévin Guillon espère y parvenir grâce à la cagnotte qu'il vient récemment de lancer sur le site internet Leetchi.

"C'est la seule solution, si rien ne se passe, dans six mois je ne suis plus là", estime le jeune homme qui se sent peu soutenu. "Dès que vous avez un système différent des autres, vous en prenez plein la gueule."

L'éleveur a toutefois et heureusement été relativement épargné durant l'épidémie de coronavirus. "La laiterie avait du mal à écouler le lait et a demandé de réduire la production. Mais moi, en tant que jeune installé, je n'ai pas été impacté." Une maigre consolation. "Moralement c'est très dur", confesse Kévin qui tente encore de résister :" J'ai la chance d'avoir des bons copains qui m'aident."


Des structures de soutien

L'histoire de Kévin Guillon n'est malheureusement pas exceptionnelle. Depuis de nombreuses années, le monde agricole exprime une véritable détresse, une détresse qui parfois tourne au drame. Si le jeune éleveur de la Manche ne souhaite pas, pour le moment, faire appel à leur aide, différentes structures ont vu le jour pour tenter d'apporter une réponse à ce mal-être. En 2014, la Mutualité Sociale Agricole a ainsi mis en place un numéro d'écoute téléphonique, ainsi qu'une cellule de suivi. Deux ans plus tard, elle recensait déjà 70 dossiers dans les départements de la Manche et du Calvados. L'association Solidarité Paysans apporte également soutien et accompagnement dans la recherche de solutions aux agriculteurs en grande difficulté.  
 
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