A quel point le cinéma américain est il malade du coronavirus

Le 46éme Festival du film américain de Deauville ouvrira ses portes, cette année, dans un contexte mondial touché par la pandémie. Aux Etats Unis, les majors annulent les tournages, déprogramment les sorties mondiales. A quel point le cinéma américain est -il malade du coronavirus ? 

Tournages annulés, scénarios réécris, sorties nationales ou mondiales reportées, le cinéma américain, qui abreuve le monde entier de son 7eme art en films petits ou grands, subit de plein fouet la pandémie mondiale de coronavirus. Même la sortie du dernier James Bond a été retardée pour cause de pandémie. Alors qu'on attendait tous le dernier opus de Daniel Graig en 007 pour le mois d'Aout, "Mourir peut attendre" se voit décalé par Universal Production pour une sortie français fixée au 11 novembre 2020.

"Tenet ", le dernier Christopher Nolan, sort en France ces jours-ci mais ne sera pas visible (pour l'instant)  à New York ou en Californie. Les exemples abondent sur ce maelström créé par le coronavirus sur le 7eme art dans son pays d'élection:  les Etats-Unis.

Bruno Barde, directeur du Festival du Film Américain de Deauville a dû revoir toute l'organisation du 46eme Festival (du 4 au 12 septembre 2020) en l'absence de stars américaines sur le tapis rouge. Cette année, Deauville accueillera des films qui n'ont pas pu être projetés au Festival de Cannes pour le plus grand bonheur des cinéphiles. Cette annulation du Festival de Cannes a été un vrai choc pour Bruno Barde.

Cannes n'a pas eu lieu, ça a été un choc énorme pour moi. Je suis né professionnellement à Cannes. ...Si Cannes était annulée, tout était possible...

Bruno Barde, Directeur du Festival du Film Américain de Deauville

La pandémie mondiale a touché le vieux continent, puis le coronavirus s'est invité outre-atlantique. La réaction des grands studios a été très rapide : protéger l'outil de travail et les personnels. Télétravail, arrêt des tournages, report des sorties pour un meilleur rendement financier... Le Vieux Continent et ses acteurs culturels se sont, eux, mobilisés pour que, très vite, dans des conditions optimales de sécurité, les cinémas puissent fonctionner. Défendre le cinéma et les films, c'est aussi une question de fond comme Bruno Barde aime à rappeler : l'Art, c'est le vivant.
 

Autre observatrice très assidue de ce qui se passe aux States, Lisa Nesselson est critique cinéma sur France 24. Native de Chicago, elle vit et travaille depuis longtemps en France. Elle note les différences de fonctionnement pour maintenir les salles ou encore sortir les films coûte que coûte.

Le cinéma aux Etats Unis est un énorme business qui ne connaît pas de système de chômage comme en France. La pandémie est une catastrophe pour les techniciens ou les acteurs qui ne toucheront rien pour certains

Lisa Nesselson, critique cinéma sur France 24

Et puis les spectateurs sont laissés à leur libre arbitre dans les salles. "Il y a quelques semaines, dans le New York Times, le critique cinéma incitait les spectateurs à ne pas aller au cinéma et à ne pas prendre de risques pour voir un film. Le gouvernement se moque complétement du cinéma et des circuits de salles. Les gens doivent se débrouiller seuls devant le dilemme d'y aller ou pas. Quand c'est ouvert..."
 

Le cinéma américain est, aujourd'hui, malade du Coronavirus, comme tous les arts, dans le monde entier. Le problème principal posé par les grandes majors de production du 7 eme art aux Etats Unis reste la chaine de distribution. Aujourd'hui, laissées à l'abandon en Amérique, organisant leur résistance en France, les salles de cinéma souffent en premier lieu du manque d'oeuvres disponibles ou du chantage organisé par les maisons de production. Un film se regarde d'abord sur grand écran mais face à la maladie, le message envoyé par les Majors Compagnie US fait plutôt le jeu des plateformes de diffusion. Netflix, Amazon, OCS et autres consoeurs sortent renforcées de la crise du cinéma américain actuelle. 

 
Bertrand Tavernier : " Eclairer la Vie, c'est un beau programme" Plaidoyer de Bertrand Tavernier pour le retour du cinéma qui éclaire la vie
Cette lettre de Bertrand TAvernier, réalisateur, cinéaste, cinéphile a été lue dans l'émission " Lettres d'intérieur" d'Augustin Trapenard, le 12 Mai 2020 à l'intention de Xavier Giannoli, réalisateur

Sainte Maxime, le 11 mai 2020
Cher Xavier Giannoli,
Je vous imagine penché sur votre écran d’ordinateur, à peaufiner le montage de votre dernier film. Son titre, pourtant inventé par Balzac pour décrire la corruption de l’innocence,  le début de la destruction de la civilisation du mot au profit de la civilisation du chiffre, Les illusions perdues, prend une signification métaphorique dans la terrible crise que nous traversons : illusions d’un libéralisme sans entrave, d’une course au profit, de la délocalisation à outrance.
C’est un bon moment pour regarder en arrière, réapprendre le passé en revoyant ces chefs d’œuvre du patrimoine qui nous bouleversent, toujours autant, vous comme moi, Xavier. Vous m’aviez cité cette phrase de Borges : « Quand je regarde une œuvre moderne, je commence par me demander si elle mériterait d’être ancienne ».  Je pense à tous ces films en noir et blanc que boude le Service Public et que nous adorons. Ils parlent pourtant de nous, de ce que nous vivons, tout comme vos films. 
Pour m’aider à tenir le coup, je me suis par exemple réchauffé à l’humanisme lyrique de John Ford dans Les Raisins de la colère où des fermiers sont expulsés par des banques sans visage : « C’est notre terre, nous y avons enterré nos morts », lance Muley au conducteur de bulldozer qui veut écraser sa ferme. Comment oublier Jane Darwell, cette mère courage, qui, durant cette odyssée, réussit à souder la famille. J’ai revu deux Becker, ce cinéaste de la décence ordinaire, Le Trou et ses prisonniers qu’unit la solidarité, Antoine et Antoinette où des ouvriers qui vivent les uns sur les autres apprennent à vivre les uns avec les autres. Et Angèle, peut être le plus beau Pagnol où l’amitié d’un berger, d’un paysan et d’un simplet – admirable Fernandel avec son mensonge de finesse – vont sauver une malheureuse des violences paternelles. Je me suis projeté Le Corbeau sur les lettres anonymes (sujet toujours actuel, il paraît), film cinglant et douloureux que Clouzot arrache dans une époque dramatique, l’Occupation où sévissait une pandémie encore plus terrible qu’on appelait la peste brune. 
Imaginer que ces films n’ont rien à nous dire, ne nous concernent pas, est aussi stupide que de délocaliser les médicaments en Chine. Ces films, comme toute création culturelle, portent jusque dans leur âpreté, un message d’espoir, différent que celui qu’apportent les soignants, les professeurs, mais tout aussi essentiel. Dans une scène de Laissez-passer, mon ami Jean Cosmos m’avait écrit un magnifique dialogue entre deux scénaristes. À Jean Aurenche qui se reprochait de n’avoir rien fait durant l’Occupation, Pierre Bost rétorquait : «  Mais si, tu as écrit des films... Il y a des fabricants de draps, des fabricants de pains, nous nous sommes des fabricants d’histoires » – « Et à quoi on sert », demande Aurenche – « A éclairer la vie des fabricants de draps et  des fabricants de pains ».
Eclairer la vie, mon cher Xavier, c’est un beau programme. Comme l’écrivait Hugo : on allume des réverbères, dans les carrefours, les places publiques ; quand comprendra-t-on que la nuit peut se faire aussi dans le monde moral et qu’il faut allumer des flambeaux pour les esprits ?
Bertrand Tavernier  

 
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