Des soirées d'Halloween sont organisées depuis 2018 dans l'ancienne prison de Pont-l'Évêque (Calvados) dans laquelle des résistants et des Juifs ont été enfermés pendant l'occupation allemande. Un collectif demande à la municipalité, propriétaire des lieux, d'organiser cette fête ailleurs pour respecter la mémoire des prisonniers.
En ce samedi 28 octobre 2023, une foule de visiteurs déguisés vient fêter Halloween dans l'ancienne prison de Pont-l'Évêque, dans le Calvados. À l'intérieur, un décor de film d'horreur attend les curieux. Le bâtiment est surnommé "La Joyeuse Prison", en référence au film éponyme de 1956.
Mais il est aussi connu pour son passé beaucoup plus sombre. Sous l'occupation allemande, des centaines de prisonniers français transitèrent par ces murs. Nombreux sont ceux qui ont été déportés dans des camps. Parmi eux, le père de Serge Lesaulnier.
"L'antichambre de la mort"
"Mon père est arrivé ici le 4 juillet 1941 après avoir été arrêté à Dives pour distribution de tracts communistes. Il est resté trois mois enfermé ici, dans un cachot, avec des rats", relate ce fils de déporté, membre du collectif Histoire et Mémoire. "Après, il a été envoyé à Melun où il a passé deux ans en prison. Puis, il a été récupéré par la Gestapo, et il a passé deux ans à Buchenwald."
Le grand-père de Jacques Ridel a été incarcéré dans cette prison en 1944 après avoir été dénoncé pour avoir caché un parachutiste anglais chez lui au moment du débarquement.
"Ils sont arrivés ici, ils ont séparé les hommes des femmes. Les hommes entendaient les femmes pousser des cris d'horreur et de douleur", raconte Jacques Ridel, petit-fils de déporté, et membre du collectif Histoire et Mémoire.
Selon lui, cette ancienne prison n'est "pas le bon endroit" pour fêter Halloween. "Ça a quand même été l'antichambre de la mort pour de nombreux résistants et de nombreux Juifs", souligne Jacques Ridel.
"Tout est fait pour nier cette histoire"
Pour le collectif Histoire et Mémoire, il est inconcevable que ce lieu chargé d'histoire soit transformé, le temps d'un week-end, en maison hantée. "C'est totalement indécent ! Les gens ont souffert dans ces lieux", appuie Christine Le Callonec, membre du collectif Histoire et Mémoire.
C'est nier leur histoire que de s'amuser à se faire peur dans cet endroit. Les gens ont vraiment eu peur. Il y en a qui sont partis, qui ont été remis aux autorités allemandes et ils sont morts.
Christine Le Callonec, membre du collectif Histoire et Mémoire
Elle aimerait que l'histoire de cette prison soit reconnue. "Aujourd'hui, il n'y a rien de visible. Tout est fait pour nier cette histoire", estime-t-elle. "Ce qui serait bien, c'est qu'il y ait une plaque pour expliquer aux gens que ça a été un lieu d'enfermement de résistants", abonde Serge Lesaulnier.
"On ne peut pas me reprocher de ne pas honorer la mémoire des victimes"
Parmi les visiteurs, rares sont ceux qui savent les drames qui se sont joués derrière ces murs. "Je n'étais pas au courant. Là, on en fait quelque chose de plutôt festif, alors il y a forcément un décalage entre les deux. On peut comprendre que ça puisse créer un problème et que des gens réagissent mal", remarque une visiteuse.
Le collectif a sommé la mairie, propriétaire des bâtiments depuis 2005, d'organiser l'événement dans un autre lieu. "On ne peut pas me reprocher de ne pas honorer la mémoire des victimes [...]. En tant que maire, j'ai conscience de devoir concilier le devoir de mémoire avec une adaptation de la ville à ses besoins actuels et futurs", déclarait Yves Deshayes, le maire de Pont-l'Evêque à Ouest France, le 13 octobre dernier.
Organisées depuis 2018, les soirées d'Halloween dans l'ancienne prison de Pont-l'Évêque attirent, chaque année, près d'un millier de visiteurs.
Avec Lara Dolan / FTV