C'est une opération délicate effectuée par les communes : repérer les tombes délaissées pour récupérer des emplacements nécessaires aux cimetières saturés. Au Tourneur (Calvados) elle a été réalisée juste après la Toussaint.
Liste sous les yeux et stylo à la main, la petite équipe municipale du Tourneur, commune déléguée de Souleuvre en bocage (Calvados) arpente les allées gravillonnées du cimetière municipal. Ce lundi 4 novembre 2024, au lendemain du week-end de la Toussaint célébrant les défunts dans la religion catholique, le maire et son équipe scrutent les tombes grises avec attention.
Ce ne sont pas les gerbes de fleurs fraîchement posées qui les intéressent, bien au contraire : le groupe est à la recherche de tombes délabrées que la mairie pourrait récupérer. Car, comme dans plusieurs communes en Normandie et dans le reste de la France, les cimetières se remplissent de plus en plus et les places viennent à manquer.
Le terrain compte un peu moins de 700 emplacements, dont environ 665 actuellement occupés. 62, 63, 64... les numéros des concessions défilent, à la troisième "il n'y a plus rien", constate le maire, Didier Duchemin.
"Vous voyez, on est dans un coin où tout est à relever, on a même des doutes s'il y a quelqu'un d'enterré ici parce que c'est bombé", explique-t-il à nos journalistes sur place, Florent Turpin et Pauline Comte.
"On connaît le cimetière sur le bout des doigts"
Il consulte sa liste faisant figurer les noms des défunts, lorsqu'ils sont connus, le numéro de l'emplacement et une description plus ou moins précise de son état. Le doute subsiste parfois pour déterminer l'âge des tombes. L'une d'elles paraît en mauvais état mais de récentes fleurs violettes se dévoilent dans une jardinière en pierre, fausse alerte, elle n'a finalement que huit ans d'existence.
L'exercice est une première depuis la création du cimetière dans les années 1600 et mérite toute l'attention de l'édile et son équipe, car une erreur peut vite arriver. "On ne se trompe pas, on connaît le cimetière sur le bout des doigts", assure pourtant Didier Duchemin.
"Moi, je suis né au Tourneur, je connais bien l'histoire de la commune, je connais les familles de la plupart des noms inscrits ici, même s'il n'y a plus de descendants."
Il s’agit généralement de concessions dites perpétuelles, c'est-à-dire sans date de fin de contrat. Si les communes sont toujours en droit de proposer ce type de concessions, plus aucune municipalité n’en propose réellement depuis la fin des années 1990.
Et malgré la tendance à la hausse pour la crémation - 50% des Français préféreraient être crématisés en 2023, une proportion qui a plus que doublé depuis 1970 (+ 30 points)-, la place vient à manquer dans les cimetières français.
Un an pour récupérer les tombes abandonnées
L'abandon peut être constaté si la tombe n’est plus entretenue, c’est-à-dire si elle n’est pas fleurie, si elle n’est plus étanche, s’il y a une invasion de plantes invasives ou de ronces, si le monument s’affaisse ou qu'il n'existe plus…, etc.
Avant de lancer une procédure de reprise, tout à fait légale, la mairie doit encore réunir quatre critères essentiels : la concession doit avoir plus de 30 ans, la dernière inhumation doit remonter à 10 ans au moins, la famille ou la personne chargée de l'entretien de la concession doit être informée de la décision et un délai d'attente d’un an à partir du constat d'abandon doit être respecté.
"C'est très touchant de voir les tombes abandonnées, pas entretenues, c'est important de penser à nos proches et de s'en occuper"
Fabienne James, conseillère municipale
Le délai était auparavant de trois ans et a été raccourci en 2022, notamment pour pallier la saturation des cimetières français. Malgré l'utilité de l'opération, Fabienne James, l'une des quelques conseillères municipales venue "donner un coup de main" ne peut retenir son émotion."C'est très touchant de voir les tombes abandonnées, pas entretenues, c'est important de penser à nos proches et de s'en occuper", s'émeut-elle entre les stèles.
Trois tombes de soldats napoléoniens
Seul cas spécial, si quelqu’un est inhumé avec la mention honorifique “mort pour la France”, réservée aux anciens combattants et victimes civiles dont la mort est imputable à un fait de guerre, la concession doit avoir plus de 50 ans pour qu'une procédure de reprise puisse être lancée. Dans le petit cimetière du Tourneur, on trouve justement trois tombes un peu spéciales, abritant les corps de soldats napoléoniens.
"Ce sont des tombes qui font partie de l'histoire de la commune, comme celles des prêtres, des maires ou d'autres anciens soldats. Il faut les réhabiliter pour l'Histoire mais aussi pour rendre hommage à ces hommes", explique le maire. L'idée n'est pas de faire table rase du passé mais de "leur donner une deuxième vie".