"Que pourra faire l'Etat avec seulement 1% du capital ? Qu'on le veuille ou non, c'est le financier qui dirige". Les syndicalistes de Sanofi restent inquiets pour l'avenir.
Un nouvel accord vient d'être finalisé pour la vente du Doliprane par Sanofi. Il prévoit la participation d'une banque publique d'investissement Bpifrance, des sanctions de 40 millions d'euros en cas de non-production du médicament en France et également en cas de "licenciement économique contraint" à hauteur de 100.000 euros par emploi.
À Lisieux, la grève illimitée lancée il y a une semaine continue. Une trentaine de grévistes siégeaient devant l'usine Sanofi depuis 6h30 ce lundi matin et c'est la déception qui se lisait sur les visages. Les salariés sont toujours aussi inquiets pour leur avenir. Ils ne croient pas au maintien de l'emploi et de la production en France, sur du long terme.
"C'est un réel coup de massue" explique Eric Barbet délégué syndical CGT Sanofi Lisieux, après l'annonce de l'accord, "c'est bien des promesses mais on veut de l'écrit. On veut du concret et de l'engagement à long terme. On va peut-être partir pour deux, trois ans et après ? Qui nous dit que la production restera sur Lisieux ? On est en colère depuis un an. Qu'on le veuille ou non, c'est le financier qui dirige".
Le Doliprane, va pouvoir être vendu
Le Doliprane, médicament le plus vendu en France, va pouvoir passer sous contrôle du fonds d'investissement américain CD&R. Le groupe pharmaceutique Sanofi a formalisé lundi 21 octobre 2024 son choix de lui céder 50% de sa filiale Opella qui produit l'antalgique, une opération dans laquelle l'Etat dit avoir obtenu des garanties "extrêmement fortes".
"Sanofi et CD&R sont entrés en négociations exclusives pour la cession et l'acquisition potentielles d'une participation de contrôle de 50% dans Opella", a confirmé le groupe français soulignant que l'offre de CD&R est "ferme et entièrement financée".
La valorisation d'Opella est basée sur une valeur d'entreprise d'environ 16 milliards d'euros, détaille le géant pharmaceutique, un an après avoir annoncé son intention de se séparer de sa filiale de médicaments sans ordonnance, vitamines, minéraux et compléments alimentaires.
La banque publique d'investissement Bpifrance va participer au capital de cette entreprise à hauteur "de 1 à 2%", soit "entre 100 et 150 millions d'euros", pour "assurer l'ancrage français d'actifs stratégiques", a précisé le directeur général de BpiFrance, Nicolas Dufourcq lors d'une conférence de presse aux côtés des ministres de l'Industrie Marc Ferracci et de l'Economie Antoine Armand. Et "quand Bpifrance est présent au conseil d'administration de l'entreprise, nous sommes vocaux, actifs, parfois activistes, si nécessaire, si la gouvernance dérape", a-t-il mis en garde.
SANOFI reste majoritaire
Sanofi devrait donc rester actionnaire à hauteur d'environ 48% pour l'instant. "Rien ne change pour le Doliprane", a assuré le directeur général de Sanofi, Paul Hudson, lors d'un point presse distinct.
Mais grâce à cette opération, le groupe pourra "se concentrer encore davantage" sur les médicaments et les vaccins innovants pour se transformer en "un pur acteur" biopharmaceutique et "un leader mondial en immunologie", a-t-il fait valoir.
Nous croyons à la création de valeur d'Opella. C'est pour cette raison que nous restons à bord
Paul Hudson, directeur général de Sanofilors d'un point presse
Il s'est toutefois montré plus évasif sur la durée de son implication dans Opella: "Sanofi n'a pas fixé de délai" mais "nous nous attendons absolument à être impliqués et en partenariat pour longtemps", "le plus longtemps possible", a-t-il dit.
CD&R, qui investit en France depuis une quinzaine d'année (notamment dans Rexel, Spie, Socotec, But et Conformama), ambitionne de son côté "d'accélérer" la croissance d'Opella, qui détient 115 marques dans le monde et compte 11.000 collaborateurs dans environ 100 pays pour "créer un champion français mondial de la santé grand public".
Le projet de cette cession suscite une vive émotion au sein de l'opinion publique et de la classe politique parce qu'il concerne un médicament de base utilisé par un grand nombre de Français pour soulager la douleur et la fièvre. L'Etat a été en discussions avec Sanofi pour définir certaines conditions liées à cette acquisition afin de s'assurer que les garanties pour la sécurité sanitaire était maintenues.
Un accord avec l'Etat français
L'accord tripartite entre l'Etat, Sanofi et CD&R, annoncé dimanche soir par le gouvernement, comprend "la pérennité des sites de production de Lisieux et Compiègne", le maintien du siège et des activités de recherche et développement en France, la protection de l'emploi, des points sur lesquels le gouvernement refusait de transiger.
Cet accord "extrêmement exigeant" avec des "garanties extrêmement fortes", "n'a pas vocation pour un certain nombre de ses dispositifs à échouer dans le temps", a fait savoir M. Armand, insistant sur le fait que l'Etat restait sur ses gardes sans "aucune forme de naïveté".
40 millions de sanctions en cas d'arrêt de la production
L'accord garantit "le maintien des volumes minimaux de production en France pour les produits sensibles d'Opella", à savoir le Doliprane (paracétamol), le Lanzor (contre les troubles digestifs) et l'Aspegic (aspirine), ont précisé les ministres Antoine Armand et Marc Ferracci.
Un objectif d'investissement en France, fixé à 70 millions d'euros sur 5 années en cumulé, fait également partie de la liste des engagements signés.
L'accord prévoit des sanctions financières, "pouvant s'élever jusqu'à 40 millions d'euros" en cas d'arrêt de la production sur les deux sites français d'Opella et de "100 000 euros par emploi supprimé par licenciement économique contraint".
Une pénalité pouvant atteindre 100 millions d'euros est stipulée en cas du non-respect du "maintien de l'approvisionnement d'Opella auprès de fournisseurs et sous-traitants français" tels que le chimiste Seqens.
La finalisation de la transaction est prévue au plus tôt pour le deuxième trimestre 2025.
La sénatrice du Calvados et vice-présidente de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation Corinne Feret "reste fermement opposée à cette vente". Dans un communiqué, elle maintient que "le gouvernement devait empêcher cette dernière, car elle poste de sérieux enjeux de souveraineté sanitaire et constitue une menace directe pour les emplois liés à l'activité industrielle et commerciale d'Opella en France et les 250 salariés sur Lisieux".
Le coordinateur de La France insoumise Manuel Bompard a quant à lui réitéré lundi sur TF1 son appel à "bloquer la vente" d'Opella. Ce "n'est pas avec 1% de participation dans le capital que l'Etat aura quelque mot à dire sur les décisions stratégiques qui seront prises par le groupe", a-t-il argumenté.