La crise sanitaire a entrainé un allongement des délais d'attente pour passer le permis de conduire. Un an après le premier confinement, le problème persiste et ce d'autant plus que certains départements, comme le Calvados, manquent cruellement d'inspecteurs.
Au volant, Oumnia est plutôt à son aise. Si la jeune femme est stressée, elle le cache bien. A ses côtés, son moniteur d'auto-école ne trouve pas grand chose à redire. L'étudiante commence à accumuler les kilomètres à son compteur d'expérience. Mais pour autant, elle n'a toujours pas le précieux sésame. "J'ai validé mon permis blanc le 15 mars dernier et si tout se passe bien je dois passer l'examen le 8 juin", raconte Oumnia, "Ça commence à faire long. Je suis étudiante, j'ai pas mal de choses à faire. Devoir repousser, repousser, repousser alors que j'ai besoin de ce permis, ce n'est pas terrible."
Et mieux vaut pour la jeune femme qu'elle l'obtienne du premier coup comme 65% des primo-candidats dans le Calvados. "Si je ne l'ai pas, on m'a dit qu'il faudrait que j'attende entre six et huit mois, c'est énorme. J'aurais peut-être mon permis en 2022." Chaque auto-école dispose d'un quotas de place à l'examen qu'elle attribue ensuite à sa guise. Et les "nouveaux" candidats sont privilégiés. Mais cette pratique n'explique en rien la longueur des délais d'attente qui ont, selon la profession, atteint un niveau déraisonnable.
Le poids du premier confinement
Selon Patrick Mirouse, président de l'UNIDEC (Union Nationale Intersyndicale des Enseignants de la Conduite), cette situation, que l'on retrouve dans plusieurs départements, découle du premier confinement. "Les auto-écoles ont été fermées dix semaines et les examens n'ont repris qu'un mois après la réouverture, et pas à plein régime dans un premier temps." Selon ses estimations, ce sont près de 325 000 examens qui n'auraient pas pu avoir lieu durant ces trois mois d'interruption (on recense en moyenne 1,3 millions de nouveaux permis de conduire chaque année).
Et la crise sanitaire, outre l'important retard accumulé au printemps 2020, continue à peser sur le déroulement des examens. "Les inspecteurs mettent plus de temps pour examiner les élèves, il faut aérer, nettoyer le véhicule. Au lieu d'examiner neuf candidats par jour, ils n'en examinent que sept", indique Emilie Denis, représentant de l'UNIDEC dans le Calvados et gérante d'une auto-école à Carpiquet.
"Là, on va droit dans le mur"
Mais dans le Calvados, cette crise sanitaire est venue aggraver une situation déjà très compliquée. "En théorie, il y a 13 postes d'inspecteurs dans le département", explique Loïc Kerzrého, lui aussi gérant d'une auto-école sur l'agglomération caennaise et membre du CNPA (Conseil national des professionnels de l'automobile), "Mais sur le terrain, on en retrouve à peu près sept en moyenne, entre les aléas de la vie, comme les maladies, mais aussi les congés. Sans compter trois postes vacants et le délégué et son adjointe (ndlr : l'encadrement) qui ne sont pas à 100% sur le terrain."
Selon ces professionnels, cette situation dure depuis quelques années. Mais elle restait supportable, avant que ne survienne la pandémie. "Il y a encore un an, on avait des renforts qui venaient d'autres départements. Depuis la crise sanitaire, les autres départements n'ont plus le droit de nous les envoyer", déplore Emilie Denis. "Dans l'immédiat, il faudrait absolument que la Délégation à la sécurité routière (DSR) nous accorde des renforts, tout de suite, immédiatement", estime son confrère Loïc Kerzrého, "On arrive sur la période d'été, où on a le plus de jeunes à former parce qu'ils sont en vacances. Là, on va droit dans le mur."
Le caractère critique de la situation n'a pas échappé à certains élus locaux. Le maire d'Hérouville-Saint-Clair, Rodolphe Thomas, a récemment interpellé le préfet sur ce sujet, demandant au représentant de l'Etat de "débloquer des moyens supplémentaires" auprès de ses services. "La pénurie d’inspecteurs du permis de conduire dans le département du Calvados constitue un frein majeur pour les usagers, jeunes et adultes, dont l’avenir professionnel est conditionné par l’obtention du permis de conduire, pour suivre une formation ou obtenir un emploi", souligne le premier vice-président de l'agglomération de Caen-la-Mer, en charge notamment de l'emploi.
Un cercle vicieux
Xavier Rouet, responsable mobilité à l'agence caennaise de l'Infrep, un organisme de formation qui intervient dans l'insertion professionnelle, le confirme : "la mobilité est un frein à l'emploi. Il y a un cercle vicieux : pas d'emploi, pas de permis, pas de voiture, pas d'emploi". Cette structure essaye de "donner la caisse à outils nécessaires" à ses bénéficiaires pour passer le permis: aide au passage du code, aide à l'obtention de micro-crédits pour boucler le financement de son permis mais aussi acccompagnement dans les démarches administratives. "Pour pouvoir passer son code, il faut avoir un numéro qu'on va chercher sur l'ANTS (l'Agence nationale des titres sécurisés) et ça n'est pas forcément simple pour des personnes éloignées de l'emploi et du numérique."
Avec la crise sanitaire, s'est enclenché un second cercle vicieux. "On a des bénéficiaires qui avaient leur date d'examen de prévue, qui avaient fait tout le cursus de code et conduite et qui ont été contraints de reporter", raconte Xavier Rouet, "Reporter ça veut dire envoyer quelqu'un à l'examen qui a eu un manque de conduite pendant un certain temps, c'est forcément aller à l'échec. Du coup, on doit reprogrammer des heures et après, il y a l'aspect financier. Et sur ce plan là, ils n'ont pas forcément les moyens de suivre : ils n'ont pas pu travailler entre deux parce qu'ils n'avaient pas de moyen de locomotion. On repart de zéro. On fait un four."
Au plus haut niveau de l'Etat
Le manque d'inspecteurs n'est pas spécifique au Calvados. "C'est un problème national. Il y a des départements où tout va bien et d'autres qui sont très en tension, comme le Calvados." Patrick Mirouse, président de l'UNIDEC, cite également dans la conversation les cas de la Seine-Maritime et de la Bretagne. Le problème semble pris en compte au plus haut de niveau de l'Etat puisque le ministre de l'Intérieur a récemment demandé à l’Inspection Générale de l’Administration (IGA) un rapport proposant des mesures susceptibles d'améliorer rapidement la situation.
Les conclusions de ce rapport ont été communiquées fin avril aux organisations professionnelles lors d'une réunion avec la Délégation à la sécurité routière. Parmi les mesures proposées, la reconduction des 90 000 places d’examens complémentaires accordées au printemps 2020, la réorientation des tâches des délégués et des adjoints vers les examens du permis B (comme c'est déjà le cas dans le Calvados) ou la constitution d'une réserve d'inspecteurs, constituée de gendarmes et de retraités. "Avec les risques Covid, c'est une fausse bonne idée", juge Patrick Mirouse.
Recruter à La Poste ?
Pour le président de l'UNIDEC, la priorité c'est le recrutement, un processus qui semble en panne aujourd'hui. "Le recrutement de fonctionnaires aujourd'hui... je ne sais pas si c'est très à la mode. Notre organisation est très attachée au fait que l'examen du permis de conduire reste une mission de l'Etat, pour des questions de sécurité déjà. Et puis c'est le premier examen de France: 1,3 million par an. Ce n'est pas aberrant que l'Etat garde ce passage et cette solennité."
Alors, son organisation a fait une proposition qui a été retenue dans le rapport de l’Inspection Générale de l’Administration. "Il faut recruter des inspecteurs mais pas forcément des fonctionnaires. Ça pourrait être des contractuels, issus de la fonction publique, le temps de résorber le retard. Et on a une cible parfaite : des gens qui sont issus de la Poste. La Poste a déjà le pied à l'étrier en faisant passer les examens de code", indique Patrick Mirouse.
Dans les faits, cette proposition est déjà une réalité : une trentaine d'agents ont ainsi été recrutés. "Mais il faudrait que ce soit au moins cinq fois plus, il en faudrait 150 sur tout le territoire pour pouvoir résorber le stock actuellement en cours." Le rapport de l'IGA est sur la table du minsitre de l'Intérieur. C'est désormais à lui de trancher.