Scandale des cadavres de la fac de médecine Paris-Descartes : "on a sali nos proches, on n'a pas respecté leur volonté"

La maman de Laurence Dezélée a légué son corps à la science. Un article de l'Express  a mis en lumière les conditions indécentes de conservation des dépouilles de personnes ayant fait ce don à l'Université de Paris-Descartes. Laurence veut savoir ce qui s'est passé.
 

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Décédée en 2015, Marie-France, la maman de Laurence Dezélée, a légué son corps à la science. Depuis, un article publié au mois de novembre dernier a mis en lumière les conditions indécentes de conservation des dépouilles de personnes ayant fait ce don à l'Université Paris-Descartes. Le corps de sa maman est concerné. Laurence veut savoir ce qu'elle est devenue.

Comme elle, des familles de défunts se sont rassemblées jeudi 27 février devant la faculté de médecine de l'Université Paris-Descartes. Sur les panneaux brandis par les parents des personnes qui ont légué leur corps à la science, une inscription : "qu'a-t-on fait de lui ?"
Une question qui les hante depuis qu'ils ont appris.

Selon le magazine l'Express, jusqu'en 2008, le centre du don des corps de la faculté de Paris-Descartes a accueilli des milliers de dépouilles dans des conditions indignes. L'hebdomadaire évoquait des photos "insoutenables qui révèlent un charnier". Des photos qui ne seront jamais publiées, "par respect pour les défunts et leur famille".

"On a vendu nos défunts à la découpe, c'est inadmissible !"

La maman de Laurence Dezélée , Marie-France est décédée en 2015. Comme la plupart des parents réunis ce jeudi, elle a appris la nouvelle soudainement. "J'ai appris tout ça par la presse comme beaucoup de gens le mercredi 27 novembre. Quand j'ai ouvert l'article je suis un peu tombée à la renverse, dans tous les sens du terme. Je me suis sentie vraiment mal" explique-t-elle. "Quand j'ai lu ce qui s'était passé, je me suis dit c'est pas possible. Quand j'ai vu les années concernées, ça tombait pile sur l'année où ma maman a donné son corps donc je me suis dit, c'est sûr qu'elle est dedans. Au début j'étais abattue. Et la colère est montée et elle ne m'a pas lâchée.

Il y a de la tristesse mais il y a aussi beaucoup de colère toujours. Tant que cette colère m'animera, je ne laisserai pas tomber, j'irai jusqu'au bout.


"Aujourd'hui c'est primordial d'être là" explique Laurence, "pour montrer que quoi qu'il arrive, on ne baissera pas la garde. On ira jusqu'au bout, on va les faire tomber, ceux qui ont fait ça. C'est ma volonté et c'est la volonté de le groupe là. C'est inadmissible ce qui s'est passé. On a sali nos proches, on n'a pas respecté leur volonté."

Ce sont des gens généreux qui ont donné pour aider la science, pour aider la médecine. Et total, voilà ce qu'on en a fait, on les a laissé pourrir dans un coin, se faire manger par des bestioles, servir à des crash-test... c'est pas pour ça qu'ils avaient signé du tout. On les a vendu à la découpe, sous le manteau parfois au cinquième étage, c'est purement inadmissible.
 


"C'est inimaginable qu'au XXI ème siècle, dans un des plus grands centres d'anatomie européen, il puisse se passer ce genre de choses.
Je découvre tous les jours, qu'on va un peu plus profond dans l'horreur
" ajoute Laurence, " je ne peux pas concevoir qu'aujourd'hui il n'y ait pas un juge d'instruction de nommé pour instruire nos plaintes alors que des gens ont fait du business avec le corps de nos proches, ça ça me révolte, ce n'est pas possible."
 

Un jour Maman m'a dit "j'ai besoin de te parler"

"Ma Maman était atteinte d'un cancer du pancréas, donc elle savait que son temps était compté. Un jour elle m'a dit, j'ai besoin de te parler".

"Elle m'a dit qu'elle avait fait don de son corps à la science", continue Laurence, : "elle avait sa carte de donneur, et elle espérait que je téléphonerais à Descartes après sa mort. J'ai essayé de la dissuader au début, je lui ai dit que ça me gênait et j'ai expliqué pourquoi (les dissections, le respect pas toujours donné aux morts par les étudiants, ça arrive malheureusement). Elle m'a dit non, ça c'était avant, maintenant ça a changé, y a pas de problème, c'est carré. Elle m'a dit qu'elle ne changerait pas d'avis alors je lui ai assuré qu'elle pouvait compter sur moi."

Quand elle est décédé, j'ai appelé le numéro et ils sont venus la chercher.

Ils m'ont expliqué qu'une fois qu'ils auraient pris le corps, je ne saurais plus rien, sauf quand ils auront incinéré ma Maman et dispersé ses cendres. Je n'ai jamais rien reçu.
 

"On demandait des dates d'incinération, de dispersion des cendres, ils ne savaient rien"

Depuis les révélations de l'Express, les familles n'ont pas été entendues. "On a lancé des appels au centre du don des corps. Au début on ne nous répondait pas du tout au téléphone, explique Laurence "Après ils ont mis une équipe de psy qui répondaient mais à-côté de la plaque parce qu'ils ne savent pas comment ça fonctionne au sein du centre de don".

On demandait des dates d'incinération, de dispersion des cendres, ils ne savaient rien. Personne ne les a reçu. Moi on m'a dit : est-ce que vous voulez être reçu par le président de l'Université ? J'ai dit oui. On m'a dit on va vous rappeler et on ne m'a jamais rappelé. Dans les ministères, personne ne nous rappelle, c'est l'omerta totale


"Ce qui est difficile c'est que pour faire un deuil, c'est bien d'avoir un corps, c'est bien d'avoir un endroit" ajoute Laurence "Aujourd'hui on a rien. J'ai même demandé au psy, s'il vous reste un bras, un doigt ou même une dent vous me la rendez s'il vous plait. Pour qu'elle puisse reposer en paix, et moi aller beaucoup mieux. Mais comme il n'y a aucune tracabilité. Personne ne sait où elle est."
 

L'avocat des familles des défunts réclame l'ouverture d'une information judiciaire

"Les familles attendent maintenant l'ouverture d'une information judiciaire", qui permettrait à un juge d'instruction de mener les investigations, a déclaré ce jeudi 27 février Me Frédéric Douchez, avocat des familles ayant porté plainte. "Elles ne comprennent pas que cela n'ait pas déjà été fait". Les familles souhaitent la nomination expresse d'un juge d'instruction.

Nous voulons que Frédéric Dardel (ancien président de l'Université et actuel conseiller de la ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, Frédérique Vidal) et le Pr Guy Vallancien répondent de leurs actes devant la justice,
a expliqué Baudouin Auffret, un des membres du Collectif "Proches des victimes du centre du don des corps à la science.


Selon l'Express, Guy Vallancien, ancien médecin de François Mitterrand et chargé de mission auprès de plusieurs ministres de la Santé, a monté en 2001 au sein de l'Université, une société anonyme - l'Ecole européenne de chirurgie -, qui revendait des corps notamment aux industriels pour leurs propres tests, comme des crash-tests automobiles.

"C'est du nécro-trafic", a estimé Jean-Jacques Guinchard, dont le père et la mère ont fait don de leurs corps en 2015 et 2017. "A terme, il serait normal que le donateur coche des cases pour dire à quels usages de son corps il est prêt".

Le Centre du don des corps à la science a fait l'objet d'une fermeture administrative depuis ces révélations. Et depuis, 24 familles de personnes ayant fait don de leur corps ont porté plainte pour "atteinte à l'intégrité d'un cadavre" au parquet de Paris et une dizaine d'autres devraient suivre.
 

Des parents reçus par la nouvelle présidente de l'Université

Ce jeudi, des parents des défunts ont été reçus par la nouvelle présidente de l'Université Paris-Descartes, Christine Clerici. "On a été reçus par des personnes qui ont l'air humaines" juge Laurence. L'université a embauché des archivistes professionnels pour pouvoir répondre aux questions des familles. "La présidente souhaite qu'il y ait une instruction sur ce dossier. On lui a demandé ce qui se passerait quand le rapport d'enquête tomberait, elle nous a dit : "si la culpabilité de Dardel et Vallancien est avérée, on attaquera avec vous". 


 
Comment fonctionne le leg du corps à la science en Normandie ?
Le laboratoire d’anatomie de l’école de chirurgie de Caen accueille 150 corps par an, légués à la science. Il recueille les dons des départements du Calvados, de la Manche et de l'Orne. En moyenne 500 personnes donnent leur corps à l'école de chirurgie chaque année.

A Caen, le don est gratuit (ce n'est pas le cas partout). Seuls les frais de transports du corps sont aux frais de la famille du défunt. 

Les corps sont utilisés pour l'enseignement et la chirurgie. Ils ne sont pas vendus.
Il arrive que des chirugiens se préparent à certaines opération de cette façon. 
 
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